VOL CRIARD
VOL CRIARD
1.
« Nous nous emballâmes ainsi pour de pitoyables bohèmes qui tenaient boutique dans un vague cabaret au nom moyenâgeux. »
(Michel Leiris, « L’Age d’homme » [le narrateur])
Passé simple et passé futile.
2.
« Comme un vol criard d’oiseaux en émoi,
Tous mes souvenirs s’abattent sur moi, »
(Verlaine, « Le Rossignol »
D’la plume plein la figure (de style).
3.
« Par les forêts je tremble à la façon d’un lâche
Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts. »
(Verlaine, « Dans les bois »)
Remplacez « forêts » par « cités » et vous aurez une petite idée de la paranoïa, ou urgence lucide, qui s’empare des habitants de notre siècle surpeuplé.
4.
« - A quelle heure est-elle allée chercher de l’aspirine chez Mrs Hubbard ? »
(Agatha Christie traduit par Louis Postif, « Le Crime de l’Orient-Express » [Hercule Poirot, je présume])
Moi, j’en sais rien de l’heure qu’elle est « allée chercher de l’aspirine chez Mrs Hubbard. Zut non plus d’ailleurs, n’est-ce pas Zut ?
5.
- « Je n’y comprends plus rien. Tout s’embrouille ! »
(Agatha Christie traduit par Louis Postif, »Le Crime de l’Orient-Express » [Poirot])
Tout dans la tête, mais dans le désordre.
6.
« J’ai depuis un an le printemps dans l’âme »
(Verlaine, « La bonne chanson », XXI)
Floréal éternel ? Tu parles, Charles, et tu charries grave.
7.
« Un grand feutre à longue plume
Ombrait son œil qui s’allume
Et s’éteint. Tel, dans la brume,
Eclate et meurt l’éclair bleu
D’une arme à feu. »
(Verlaine, « Cauchemar »)
Cyrano ? Mousquetaire ? Spadassin ? Quelque cousin clownesque de carnaval ?
8.
« Par saint Gille,
Viens nous en,
Mon agile
Alezan ! »
(Victor Hugo, « Le pas d’armes du roi Jean »)
Agile, effectivement. Souple comme un vers de Hugo, oui, ça pourrait se dire, parfois.
9.
« Enfin, elle se mit à rire et déclara avec un haussement d’épaules : »
(Agatha Christie traduit par Louis Postif, « La Mort dans les nuages »)
Je ne sais pas ce qu’elle déclara mais le fait qu’elle « se mit à rire » suffit à mon tout petit bonheur.
10.
« Un orage éclata peu après que le bateau eut quitté Douvres, orage sec assez impressionnant, avec de longs roulements de tonnerre et une succession presque ininterrompue d’éclairs, sur tous les points de l’horizon. »
(Michel Leiris, « L’Age d’homme » [Le narrateur])
Batterie, timbales, ramdam fracas.
11.
« Courtisane au sein dur, à l’œil opaque et brun
S’ouvrant avec lenteur comme celui d’un bœuf »
(Verlaine, « Un dahlia »)
Lucide, lucide et vipérin, évidemment.
12.
« Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense. »
(Verlaine)
Je songe parfois que ce vers célèbre de Verlaine m’a tout l’air d’une phrase codée, du genre qui rappelle le presbytère à Rouletabille.
13.
« Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville »
(Verlaine)
Baba au rhum. Pâte mouillée, âme spongieuse.
14.
« De près, de loin, le Sage aura sa thébaïde »
(Verlaine, « Sagesse », III, XVI)
Thébaïde : lieu pas très fréquenté, voire sans personne d’autre dedans qu’un être qui médite, prie, compte les étoiles ou s’ennuie à cent sous l’heure en attendant Godot.
15.
« parce que tous les détails accessoires en sont rejetés et qu’il ne reste plus que l’essence même du mythe. »
(Michel Leiris « L’Age d’homme », à propos des éditions destinées à la jeunesse des Romans de la Table Ronde)
A l’os, le mythe. Dégraissé, sec, nerveux, essentiel.
Patrice Houzeau
Malo, le 29 juillet 2022.