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BREFS ET AUTRES
21 août 2022

UN LOUP AU JARDIN

UN LOUP AU JARDIN

 

1.

Depuis 1941 que le cadavre est dans la bibliothèque du manoir de Gossington, la jeune Ruby Keene a dû en apprendre des choses…

2.

« Aucune de ces lettres ne donne à penser que son auteur connaissait bien celui ou celle à qui il la destinait. »

(Agatha Christie traduit par Michel Le Houbie, « La Plume empoisonnée » [Graves])

Les lettres donnent-elles toujours à penser ?

Cela dépend de la manière dont on les lit.

Si l'on a mis de bons yeux, on peut y trouver à penser, à condition qu'elles évoquassent quelque chose d'intéressant, sinon, bons yeux ou pas...

Si l'on a mis son œil de bœuf, il est probable qu'au bout de quelques lignes on ait envie d'aller se faire cuire un œuf.

Si l'on a oublié ses yeux dans le soutien-gorge d'une amie, -ce sont des choses qui arrivent -, alors on ne peut pas lire la lettre, et donc qu'elle soit anonyme ou pas, on s'en moque.

Si on a mis ses bons yeux, les yeux de la lucidité bien ordonnée commence par soi-même, des yeux du style « Connais toi toi-même », les belles mirettes introspectives qui servent à écrire des poèmes qui n'intéressent personne, alors on peut s'écrier « Mais c'est n'importe quoi !» parce qu'aucune « de ces lettres ne donne à penser que son auteur connaissait bien celui ou celle à qui il la destinait. »

Le corbeau s'est mis la plume dans l’œil.

Et comme la plume est empoisonnée, le corbeau, il est mort.

Vous pouvez alors refermer le très bon roman d'Agatha Christie et retourner à vos œufs. Faudrait pas qu'ils s'envolent.

3.

J'ai souvent pensé que les bons romans étaient comme des pièces de musique dont la composition fût assez fine et assez rythmique pour qu'on ait envie de les relire, sautant d'une cadence l'autre, étant distrait parfois par sa propre pensée, et tant pis.

4.

« Les choses traversent sa mémoire, mais n'y restent pas. Il va très probablement se tromper dans ses souvenirs. »

(Agatha Christie traduit par Michel Le Houbie, « Cinq petits cochons » [Meredith Blake])

Les choses traversent nos mémoires comme des ombres le jardin.

Les ombres ne restent pas. Elles sont attendues. Elles ont rendez-vous. Elles doivent être rentrées pour le dîner. Elles n'ont pas que ça à faire. Les ombres sont, elles aussi, très occupées.

C'est pour ça que nous ne nous souvenons pas de tout. Les souvenirs sont attendus ailleurs, dans d'autres têtes. Cela leur permettra, à ces têtes à souvenirs, d'assez souvent vous dire : « Est-ce que tu te souviens que... »

Et ce dont nous nous souvenons, avec le temps, des fois, c'est pas toujours très clair. Des ombres y passent. Elles sont revenues. Elles ont un peu bu et s'embrouillent. Vous alors, vous cherchez des noms, ils vous échappent, ils s'enfuient comme s'ils ne vous connaissaient pas, comme s'ils ne voulaient pas vous reconnaître. Vous vous mettez à courir le long de votre mémoire, vous vous trompez de chemin, et vous racontez l'histoire, toujours la même histoire, celle de l'éléphant dans la bergerie, cependant qu'un loup passe dans le jardin, emportant un de vos souvenirs, un de vos meilleurs souvenirs.

Patrice Houzeau

Malo, le 21 août 2022.

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