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5 novembre 2022

DANS LE CERCLE QU'AVAIT DESSINE MA RAISON

DANS LE CERCLE QU’AVAIT DESSINE MA RAISON

En feuilletant « Le Mystère de la Chambre Jaune », de Gaston Leroux.

1.
« C’est cette réminiscence aiguë de ton cher parfum, dame en noir, qui me fit aller vers celle-ci que voilà tout en blanc, et si pâle, si pâle, et si belle sur le seuil de la « galerie inexplicable » !

(Gaston Leroux, « Le Mystère de la Chambre Jaune » [Rouletabille cité par Sainclair])

Parfum revenant, porteur de passé.

2.
« La « Chambre jaune » était obscure sans doute, mais une petite veilleuse tout de même l’éclairait, ne l’oubliez pas. »

(Gaston Leroux, [Rouletabille])

Si la « Chambre Jaune » était « obscure », on n’en voyait pas la couleur. La « petite veilleuse » dénonce cette obscurité. La phrase introduit la lueur dans les ténèbres. Cette lueur qu’il ne faut pas « oublier » rappelle que le roman fonde l’énigme sur des oppositions dont la résolution permet l’élucidation.

3.
« … tout ceci prouve, selon moi, que l’assassin a voulu déguiser sa véritable personnalité. »
(Gaston Leroux, [Larsan])

Larsan qui « déguise sa véritable personnalité » déclare que « l’assassin a voulu déguiser sa véritable personnalité ». Ironie de la fiction.

4.
« La porte close et les volets fermés comme ils l’étaient, et la fenêtre fermée comme elle l’était, une mouche ne pouvait entrer ni sortir ! » 
(Gaston Leroux, « Le Mystère de la Chambre Jaune », [Sainclair]))

Ainsi est posé l’espace de l’énigme. Reste la question du temps.

5.
« Mlle Stangerson savait que l’assassin devait revenir… elle ne pouvait l’empêcher de revenir… »
(Gaston Leroux, [Rouletabille])

Qui pourrait empêcher un revenant de revenir ? Qui pourrait empêcher un assassin d’assassiner puisque la langue le désigne comme « assassin » et comme « revenant », et puisque, justement, c’est un « assassin » et un « revenant ». Reste à définir ce que sont exactement cet « assassin » et ce « revenant » : c’est là l’objet de la fiction, révéler des vérités sur la fiction.

6.
« Elles tiennent au passé, elles se rattachent à l’histoire, elles continuent quelque chose […]
(Gaston Leroux, [Sainclair])

Le narrateur déclare son amour des vieilles auberges, « de l’époque des diligences » (« Le Mystère de la Chambre Jaune » a été publié en 1907). Je note le réseau lexical de la pérennité : « tenir », « se rattacher », « continuer ».

7.
« elle n’a prévenu personne parce qu’il faut que l’assassin reste inconnu… »
(Gaston Leroux [Rouletabille])

Mathilde Stangerson fait tout pour préserver l’anonymat de son assassin. Elle en fait en quelque sorte son revenant personnel, son intime assassin, son démon. Motif que l’on retrouve dans bon nombre d’intrigues policières : la victime sait et, pour des raisons qui peuvent être diverses (chantage, honte, lien affectif,…) en dit le moins possible à l’enquêteur.

8.
Rouletabille aime parler par énigmes : ainsi, à Sainclair : « Je vais vous dire tout de suite ce que je suis allé faire en Amérique, parce que vous, vous êtes un ami ; je suis allé chercher le nom de la seconde moitié de l’assassin ! »

Notons que Rouletabille semble réserver ses énigmes aux amis. Ce faisant, il entretient l’atmosphère énigmatique de la fiction et donc, l’intérêt du lecteur amateur d’énigmes.

Ce que Rouletabille est allé chercher, c’est un nom. Ce sont des noms que les enquêteurs cherchent, des noms qu’ils peuvent faire coïncider avec des faits. D’une certaine manière, l’enquêteur cherche le nom de l’être responsable d’un étant réalisé.

9.
« Mais enfin, reprit-il [Rouletabille], il est quelquefois criminel de ne point, quand on le peut, raisonner à coup sûr !... »
(Gaston Leroux, [Sainclair])

Par son goût du raisonnement, Rouletabille est l’héritier de Sherlock Holmes et annonce les « petites cellules grises » d’Hercule Poirot. Le roman d’énigme est aussi un éloge de l’usage de la raison, celle qui triomphe, s’opposant au fatalisme, à l’arbitraire brutal du « roman noir ».

Que l’énigme apparaisse soudain comme « inexplicable », et Rouletabille d’évoquer le « déséquilibre de tout, […] la fin de mon moi pensant, pensant avec ma pensée d’homme ! » Ainsi Rouletabille lie l’usage de la raison à la condition humaine. L’humain, s’il ne veut pas subir le « déséquilibre de tout », se doit d’être celui qui cherche à comprendre.

10.
« Moi aussi, je me suis penché sur les « traces sensibles », mais pour leur demander uniquement d’entrer dans le cercle qu’avait dessiné ma raison. »
(Gaston Leroux [Rouletabille])

Autre énigme : celle du « cercle de la raison » sans lequel les faits n’ont guère de sens, sans lequel on risque de tomber dans la « cogitation animale ». Manière de faire système ? Etablissement d’une chaîne logique de causes et de conséquences ?
Cercle d’autant plus énigmatique que « bien des fois, le cercle fut si étroit, si étroit… Mais si étroit était-il, il était immense, « puisqu’il ne contenait que de la vérité » ! » explique Rouletabille.

Ce qui me rappelle ce paradoxe de l’ensemble plus grand que la somme de ses éléments, tendant vers l’infini cependant qu’il est constitué d’un nombre fini d’éléments.

Qu’est-ce aussi que ce « cercle de la raison », sinon le livre, le roman que je lis et où des faits énigmatiques font sens, cependant que dans le monde réel, en dehors du cercle, ils seraient livrés à toutes les indifférences, à toutes les dérisions, à toutes les interprétations, tous les complotismes, toutes les « cogitations animales ».

Patrice Houzeau
Malo, le 5 novembre 2022.

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