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BREFS ET AUTRES
29 avril 2024

SERINE SUR LE GÂTEAU

SERINE SUR LE GÂTEAU

 

Défois quand du troquet d'à côté je m'en reviens
Avec un cœur tout troublé troublé troublé barbouillé
D'jus d'raisin pis d'déraison fermenté
Pis qu'je serine sur le gâteau
Un piano déglingué dans les oreilles
Un cœur tout troublé troublé troublé barbouillé
De chansons dont je comprends plus les paroles. 

 

Défois quand du troquet d'à côté je m'en reviens
Et que je retrouve ma fenêtre
Alors je jette mes yeux dans la rue
Défois que les Gilles passeraient et lanceraient des oranges
Et je jette mes yeux dans la rue
Y a qu'la mort qui les ramassera 
Y a pas plus rapide que mes bras
Pour récupérer mes mirettes
Mon cœur vinaigrette
Ce qui reste de l'alouette
Une fois qu'les costumes à grosse tête sont passés.

 

Défois quand du troquet d'à côté je m'en reviens
Avec un cœur tout troublé troublé troublé barbouillé
D'jus d'raisin pis d'déraison fermenté
Pis qu'je serine sur le gâteau
Un drapeau déchiré dans les oreilles
Un cœur tout troublé troublé troublé barbouillé
Du chant des partisans blancs dont je comprends plus les paroles. 

 

Défois quand du troquet d'à côté je m'en reviens
Et que je retrouve mon avenir
Alors je jette ma langue au chat
Défois qu'la fille Michèle passerait par là
Et je jette ma langue au chat
Y a qu'la mort qui la ramassera
Y a pas plus rapide que mon chat
Pour récupérer ma langue
Pis après évidemment je tangue
Et j'reprends mes kling et mes klang
Avant qu'les costumes à grosses têtes soient repassés

 

Car j'vas me couker
Car j'vas me couker
Car jvas me couker
Tout au fond de mon lit
Voir si elles m'attendent.

 

Patrice Houzeau
Malo, le 29 avril 2024.

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28 avril 2024

LE SEMBLABLE EST-IL LE MEME ?

LE SEMBLABLE EST-IL LE MEME ?

 

1.
« Quiconque a cette vocation d'éterniser vit dans son fleuve particulier. »
(« Notes » in « Le Marteau sans maître », de René Char Poésie/Gallimard, p. 182)

 

« Quiconque a cette vocation d'éterniser » devrait considérer que nul prodige, nul Jupiter, nulle promesse de jouvence, ne peut jaillir de son nombril. Quant au fleuve, il hausse les épaules et s'en va descendre, impassible, avec d'autres haleurs.

 

2.
Il n'y a pas plus de rapport entre quelque autre monde et un solo de saxophone qu'entre une machine à coudre et un recueil de prières.

 

3.
Ces autres mondes que pond la musique, je suppose que toujours ils s'évanouissent, étouffés par l'air.

 

4.
Il arrive qu'un pygmalion soit aussi un créateur par défaut.

 

5.
L’humain est un incurable créateur, poursuivant inlassablement son labeur jusqu’à ce que sa créature finisse par se rebeller et lui flanquer la gifle singulière qui marquera le début d'un nouvel âge de la matière consciente.

 

6.
Le conflit russo-ukrainien est d'une importance telle que les axes en sont désormais très clairs : l’axe Kyiv-Varsovie-Bruxelles-Paris-Washington face à l’axe Moscou-Pékin-Pyongyang-Téhéran.
En jeu, l'avenir politique et économique de la Triade, la pérennité de l'UE et de l'OTAN,  l'avenir des frontières du monde libre mais aussi la stabilité politique et économique de la Russie, la place de la Chine et de la Corée du Nord, la pérennité du régime des mollahs.
Alors quoi ? Geler le conflit en équilibrant tant bien que mal les forces, préparer en coulisses des négociations et des traités au sort incertain, ou contraindre les forces russes à se retirer des territoires qu'elles occupent ?

 

7.
La diplomatie ou l'art des sursis.

 

8.
France 2024 : Nous, gens humbles et de peu de récriminations, sommes encombrés, voire envahis par des gens qui se croient supérieurs à leur fonction.

 

9.
Je suis sans doute assez sot, mais je sais quand même que mon pays s'appelle la France, et que mes compatriotes, les Français, ne sauraient être comparés à des Russes. Je m'étonne donc, sot que je suis, que certains « Français » puissent souhaiter la victoire de Poutine dans sa sale guerre en Ukraine.

 

10.
Se demander pour qui exactement travaille Mélenchon, ou Zemmour, ou  pour qui exactement, en son temps, travaillait Jean-Marie Le Pen, revient à s'attendre à des réponses édifiantes.

 

11.
« Recréer la matière », c'est l’expression que le personnage de l’extra-terrestre du roman « La Soupe aux choux », de René Fallet, emploie pour désigner la restauration des morts en vivants. C'est que, puisque nous ne sommes que matière, sans doute serait-il possible de nous recréer tels que nous fûmes. Reste à déterminer la nature exacte de la conscience individuelle, et s'entendre sur une définition de l'âme. Le semblable est-il le même ?

 

12.
« Pas de superstitions d'un autre âge » : c'est ainsi que l’extra-terrestre la Denrée (cf « La Soupe aux choux », de René Fallet) nomme le « Bon Dieu » dont se réclame le rustique Ratinier. Superstitions, les pratiques religieuses ? Sans doute, quoique ce qui importe, ce n'est pas le « Bon Dieu », mais le respect des rituels qui caractérisent une communauté et les principes moraux qui en découlent.

 

13.
Cioran forçant souvent le trait, nous dit « visages d'hyènes à idéal ». C'est qu'elles sont nombreuses, les bonnes âmes et les politiques opportunistes prompts à se jeter sur une cause à défendre comme la misère sur le pauvre monde.

 

14.
« Quand la pègre épouse un mythe, attendez-vous à un massacre, ou pis encore, à une nouvelle religion. »
Ces mots de Cioran, dans les « Syllogismes de l'amertume » font songer à la situation de la Russie de Poutine, à cette propagande d'une Grande Russie soutenue par une activité mafieuse des plus intenses.

 

15.
« passer d'une contradiction à une autre » : ce constat attendu de Cioran sur l'agitation intellectuelle des bipèdes nourrit l'image d'un humain qui, ne sachant où il va, se demande d'où il vient et constate qu'entre un avenir incertain et un passé mythifié, les chemins se sont multipliés.

 

Patrice Houzeau
Malo, le 28 avril 2024.

25 avril 2024

ET SOUDAIN L'ABSOLU TOMBA SUR LE CUL

ET SOUDAIN L'ABSOLU TOMBA SUR LE CUL

 

1.
« C’était, à une quinzaine de kilomètres de là, une usine où les paysans qui avaient quitté la terre fabriquaient des tracteurs à l’usage des paysans qui étaient restés à la terre. »
(René Fallet, « La Soupe aux choux »)

 

2.
Ce village, nous ne le connaissons pas qui l’avons tant hanté, que le voilà gravé et mouvant dans ce que l’emphase appellerait la peau des songes. Les tatouages permettent des identifications périlleuses. La première personne est une activité éphémère. 

 

3.
« Les Grands Ducs » de Patrice Leconte (1996) prouve que l'on peut faire rire avec des acteurs qui surjouent. Mise en abyme : les acteurs de talent que sont Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Philippe Noiret, Catherine Jacob, surjouent les acteurs de complément qui surjouent une pièce de boulevard particulièrement gratinée crétine.
Le véritable « héros » de cette comédie est-il celui qui, au début du film, est présenté comme un complet dingo (le personnage de Georges Cox, acteur tonitruant, impulsif, lunaire et affairé) ? En tout cas, c'est celui qui fait face.

 

4.
Je songe que nous serions les exemples obscènes et grotesques pris par des dieux pédagogues. 

 

5.
« Devant les responsabilités du poème, » écrit René Char. C'est faire trop de cas d'un divertissement plus ou moins virtuose, d'une tromperie de l'ennui.

 

6.
Évidemment, quand on cesse de cogiter, reste le pifomètre, l'à-vue de-nez, l'intuition, « très séduisante souris de casino », écrit René Char ; et au mal de tête, on préfère les jolies jambes. C'est ainsi qu'on vit et dort content, avant qu'ça déraille, tout ce manège.

 

7.
« La bêtise aime à gouverner. » Lucidité de René Char. J'ajoute, car je le pressens fortement, que le gouvernement est un des privilèges de la bêtise. Elle ne manque pas d'écoles pour s'y préparer. 
Je lis, ce 24 avril 2024, que la Cour de cassation a rejeté les pourvois de François Fillon, le déclarant ainsi coupable dans une affaire d'emplois fictifs au profit de sa famille.

 

8.
Par peur d'être mal compris, nous ne savons pas nous arrêter à temps, et confus, nous bavardons.

 

9.
Contrairement à ce qu'affirme la pédagogie, l’explicite reste parfois lettre morte dans l’entonnoir des mémoires. La clarté elle-même est une énigme.

 

10.
Essayez de vous rappeler ce qu'a, dans la dernière demi-heure, raconté l'individu qui cause dans le poste, et vous comprendrez combien il est difficile aux élèves de retenir tout ce que peuvent débiter, tout au long d'une journée de cours, les bipèdes qui s'agitent devant eux.

 

11.
Que la foudre frappe un passant dans la rue et soudain l'Absolu n'est plus qu'agitation mortelle, frénésie de la matière.

 

12.
Absolu par rapport à quoi ? Éternel par rapport à quoi ? Infini par rapport à quoi ? Dieu par rapport à quoi ? Humain par rapport à quoi ? La seule référence du vivant, c'est sa mort.

 

13.
L’humain est l'être qui désespère de sa cause.

 

14.
Depuis les progrès récents et fulgurants des Intelligences Artificielles, je m'interroge sur la nature exacte de Dieu.

 

15.
Que notre mémoire s'efface de l'esprit des autres est chose tellement commune et attendue qu'il est étonnant que certains naïfs songent qu'ils pourraient passer à la postérité autrement que sous la forme de fiction. 

 

Patrice Houzeau
Malo, le 25 avril 2024.

25 avril 2024

VARIETES D'ETRANGES SECOUSSES

VARIETES D'ETRANGES SECOUSSES

 

1.
« Chaque année, plus de 100 000 étudiants français réalisent des études à l’étranger, tous cursus confondus. Cela concerne les cohortes d’Érasmus, mais également un nombre croissant de néobacheliers,... »
(« l'Obs » n 3098, 15-21 février 2024, « cahier spécial parcoursup » p. 43)

 

Que de plus en plus d’étudiants poursuivent leur cursus à l’étranger implique une expansion et une multiplication des talents qui semble compenser l’inflation de la bêtise et des populismes à l’œuvre en Europe. Nous n'oublions cependant pas qu’il est un poison, l'individu qui sait et qui, par conformisme, intérêt, lâcheté, ou parce qu'il faut bien vivre, met ses compétences au service de la foule et de sa contagieuse stupidité.

 

2.
« Avant de rejoindre les nomades
Les séducteurs allument les colonnes de pétrole
Pour dramatiser les récoltes »
(René Char, in « Poèmes militants » (1932))

 

On en sait la fin : les centaines de puits en feu de la guerre du Golfe (1991). Le pétrole flamba longtemps ; certains officiers rejoignirent les nomades assassins ; les séducteurs jetèrent leurs filets sur nos cités et leurs âmes perdues. En Occident aussi, larmes et sang.

 

3.
22 avril 2024. Le vote du Congrès américain d'une aide à Israël, Taiwan et surtout à l’Ukraine (60 milliards de dollars) prouve que l'Occident n'est pas près de se laisser dépecer. Trump lui-même semble avoir compris que laisser le champ libre à Poutine serait une erreur géostratégique majeure. Le Kremlin n'a pas fini de faire des cauchemars.

 

4.
Il est un présent de narration du songe qui évoque les présents de vérité apparente.

 

5.
Il est des vérités dont, comme la sœur du narrateur dans un récit de rêve de René Char, il nous tarde qu’elles nous donnent satisfaction pour les mettre dehors ensuite. Ce sont généralement des vérités professionnelles, et d'autres aussi qui doivent nous être dites pour que nous puissions passer à autre chose.

 

6.
Passer à autre chose passe souvent par cette chose à nos yeux qu'est soudain l'autre, cette dernière formalité avant de - avant de quoi ? D’exercer,  c'est l'évidence, notre si humaine mauvaise foi.

 

7.
Trouvaille dans un texte de René Char : « le cadavre récréatif ». Pour moi, celui des romans policiers à énigmes et des séries télés qui en dérivent. Rien de mieux qu’une fiction meurtrière, insolite et improbable, qu’une énigme aussi ciselée qu'une phrase de Cioran, qu'un enquêteur incongru quelque part entre la paix des champs de l'Angleterre et quelque confort cossu, pour passer une bonne soirée en attendant que le temps passe, nous prouve, et que la faucheuse nous couique plus ou moins proprement.

 

8.
« Nous fûmes le théâtre d’étranges secousses »
(René Char)
Me semble quand même que l'essence du théâtre est à demeure dans ces « étranges secousses ». Sinon, autant rester chez soi et se dire qu'on en a rien à secouer, de toute cette agitation de masques là.

 

9.
« Irma Vep », d'Olivier Assayas (1996) ; me suis demandé si une heure et demie de plus ou moins vraisemblables bavardages n'avait pas pour seul but d'amener le bref passage de cinéma expérimental qui en fait la fin. 
De cette sorte d’étrangeté finale, radicale, on en trouve exemple dans l'underground et le trash qui souvent s'y manifeste ; parfois malaisant, voire complaisant, il y a certainement des yeux pour ces images, des yeux complices, des yeux la nuit, d'étranges secousses.

 

10.
« Toute expérience un peu profonde se formule en termes de physiologie. »
(Cioran)
La tentation des neurosciences est d'autant plus grande qu'elle nous permet de mettre nos faiblesses sur le compte de déterminismes physiologiques dont des esprits éclairés prétendent même qu'ils pourraient être corrigés ; l'âme elle-même est devenue cobaye.
Je me souviens que lorsque l'illustre Blanquer devint ministre de l'éducation nationale et autres apprenances emphatiques, il fut beaucoup question, dans certaines émissions complaisantes de France Inter, de neurosciences et d'apprentissage de la lecture. C'était en 2017-2018 ; je ne crois pas que les progrès en 2024 soient si fulgurants et j'imagine assez que le taux d’illettrisme doit rester d'une exemplaire stabilité.

 

11.
Ne pas se laisser fasciner par certaines chaînes d’information en continu est un progrès de l'esprit humain. 

 

Patrice Houzeau
Malo, le 24 avril 2024

 

22 avril 2024

AUSSI INTACTE QU'UNE IDEE FIXE

AUSSI INTACTE QU'UNE IDEE FIXE

 

« Il n’y avait plus non plus de curé. Le vieux n’avait pas été remplacé par un neuf. »

(René Fallet, « La Soupe aux choux »)

 

Je ne crois pas en dieu ; sinon, je crois bien que je le saurais.

 

Cela fait longtemps que nous ne vivons plus là où sautaient des crapauds. Nous attendons les bêtes électroniques. Et c’est nous qui sauterons.

 

Certains se refusent à aiguiser leurs phrases, de peur sans doute de se blesser la raison.

 

Certes, être précis comme l'éclair et rapide comme la foudre... il y faut pourtant pluie, vent, tourment, car dans le ciel bleu des idées claires, ce coup de dés serait jugé déplacé, qui ne se fait pas, inélégant.

 

Ce n'est pas à un vieux singe que l'on apprend à faire le mauvais cheval.

 

Après l’œil sur les cartes, les noms qui étonnent, intriguent ou indiffèrent, les points d’interrogations et les sources, les innombrables yeux clos qui tissent la nuit nous sollicitèrent sans demande.

 

Puisqu’il faut bien, pour que l'histoire se dessine, qu'elle soit seule, la voilà seule. Le trèfle à quatre feuilles qu'elle avait posé sur son cœur lui parla longuement du valet amoureux de la tireuse de cartes. Je le sais, j'étais avec le sphinx cultivateur de braises.

 

Un seul être vous manque, et que voulez-vous que je fasse de tout ce fourbi ?

 

Revenant à la compagnie des mains méticuleuses (le passé étant leur présent), l'alerte la surprit et l'équation l'assomma. Elle ne scruta pas l'espace ce soir-là, l'ici-bas révélant de quoi poser un lapin à la certitude.

 

En attendant de revenir, le personnage (en l'occurrence, la seule) avala un sandwich au pâté accompagné (il y avait là un cornichon peu loquace mais de bonne composition) et but un demi, l'auteur étant sorti boire un café et acheter des allumettes.

 

Lorsqu’elle revint à elle, elle constata que son statut de puzzle n'avait été qu'un épisode supprimé de la version finale du scénario, celle où elle n'épouse pas l’aventurier aux dents de succès, mais rencontra Aurora, mais s'amouracha d'Aurora, mais s'assota d'Aurora, mais s'enticha d'Aurora et de ses belles moustaches, aussi de sa barbe à papa.

 

Le désordre dans les signes dynamite ordre des jours et emploi des temps.

Quel est cet anarchiste de papyrus qui, bousculant les collections, trappant les bibliothèques, jetant de bien mauvais yeux sur les découvreurs de palais enfouis, nous flanque de fatal et de fil blanc à étrangler la raison ?

 

La seule doit se résoudre. Ainsi seront élucidées les énigmes de la main disparue dans le miroir, des yeux perdus du tableau et de la statue manquante dans le parc. La lampe à pétrole lui fera-t-elle crier victoire ?

 

La lumière jette de nouveaux yeux sur le tapis. Combien feront-ils ? Le compte des points permettra-t-il d'empêcher le sphinx de convoquer ses étoiles foudroyantes ? Totor, Titine, Arthur, et tout un tas d'autres têtes ayant tout à fait tort d'être là, entendirent ses mâchoires claquer (aussi une drôle d'odeur de salive et de sang); cela les déserta. Il y en avait tant qu’il y eut un grand vide.

 

Aussi nu qu'un roi nu quand il sort tout nu de son bain, le tripatouilleur de ténèbres fut aussitôt démasqué. Comme il ne parlait aucune langue connue, il passa rapidement aux aveux.

 

« Du diable si j'y comprends quelque chose... » se dit-il en surveillant le doigt.

 

Elle ne tomba pas dans le piège ni ne chuta du manège. Sa disponibilité était aussi intacte qu'une idée fixe.

 

Patrice Houzeau

Malo, le 22 avril 2024.

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14 avril 2024

LE CROQUE-MORT EST UN BON VIVANT

LE CROQUE-MORT EST UN BON VIVANT

(Notes sur « La Caravane », de Morris et Goscinny)

 

Dès la première planche de « La Caravane », de Morris et Goscinny, 24ème album des aventures de Lucky Luke (dupuis, 1964), Lucky Luke apparaît comme l'homme « qui tire plus vite que son ombre ». Paisible (il semble dormir) et efficace.

 

Lucky Luke boit de la « limonade glacée ». C'est qu'il est quasi abstinent (c'est « rarement » qu'il boit de l'alcool). C'est que l'alcool pourrait nuire à la qualité de son tir et que les aventures de Lucky Luke furent d'abord destinées à la jeunesse. Lucky Luke fume. Et sa sempiternelle cigarette à la lèvre est même légendaire, et puis, un jour, politiquement correct oblige, elle disparut, son éternelle clope à Lucky.

 

Rouquins mômes (Thelma et ses fleurs ; Phinéas qui ne veut pas y aller, refuse de jouer le rôle de l’enfant gentil, charmant, obéissant, se veut têtu, farceur, moqueur et va servir d'élément comique tout au long de l’album). L'enfant boudeur va cependant jusqu'au bout du rôle qu'on l'oblige à jouer , jusqu’à l'exagération, jusqu'au pathos grotesque : il s’agit de convaincre Lucky Luke, lequel se rit du théâtre qu'on lui joue.

 

Humour tranquille des stéréotypes : Miss Littletown, institutrice à lunettes ; M. Pierre, coiffeur français, galant et courtois ; Soufflerie Johns, le clairon siffloteur ; Ugly Barrow, muletier au langage de muletier.

Un inventeur farfelu, Zacharie Martins, façon professeur Tournesol dans l'Ouest (à l'Ouest, toujours plus à l'Ouest, que selon son pendule, qu'il fallait aller disait le professeur Tournesol, dans « Le Trésor de Rackham le Rouge », de Hergé).

 

Vaches, chevaux et mules. La conquête de l'ouest, c'est aussi une histoire d’animaux. L'Histoire, celle avec la grande hache des mots d'esprit, s'est faite aussi avec des animaux, dans un rapport utilitaire entre l’humain et l’animal. Sommes-nous sortis de cet utilitarisme spéciste ? - Non. Du reste, sans notre goût pour la viande, aurait-on tant développé l'élevage, la cuisine et les garçons bouchers ? J'aime bien le coq au vin.

 

Il y a un croque-mort avec son corbillard et son cheval noir. Je me demande s'il existe un album de Lucky Luke sans croque-mort. L'humour n'oublie pas la mort. Évoquer la mort en se moquant puisqu’elle nous rappelle que tout finit par le néant et est donc radicalement dérisoire.

 

Le muletier Ugly Barrow ne s’exprime que par signes onomatopéiques (nuage noir, éclair, spirale des tempêtes, vertige des colères, tête de mort).

Détente, musique (guitare, country music déjà), concours de tir (le far west nécessitait de porter une arme ; les États-Unis s'en souviennent encore), cuisine.

 

Nouvelle invention et comique catastrophe ; le projet tombe à l'eau. Un « garnement » dans les bandes dessinées comiques classiques, ça s'attrape par l'oreille, puis le garnement ouine, évidemment. Le sabotage est bien plus grave que la blague de sale môme.

 

Le croque-mort est un bon vivant. Sabotage. C'est qu’il y a aventure puisque nous lisons un album des aventures de Lucky Luke ; il faut donc que le réel soit faussé, saboté, menaçant, aventureux.

 

Pendant ce temps là, l'inventeur saugrenu poursuit son idée fixe : inventer. La bande dessinée humoristique illustre souvent l'idée qu'il faut de tout pour faire un monde. Les Dalton ne meurent pas : méchants, stupides, malfaisants, le comique les ridiculise et ainsi les pérennise.

 

Aux portes du désert, « le Saloon de la Dernière Chance ». Avant le désert, ce n'est pas encore le désert, puisque l’humain y réside. Aventure. La caravane arrivant aux portes du désert, les tonneaux furent percés et l'eau vint à manquer.

 

Désert. Soif. Il faut rattraper le coiffeur que la soif hallucine. Cela rappelle les hallucinations du capitaine Haddock dans « Le crabe aux pinces d'or ». Hergé dessinait les hallucinations, Morris non.

 

Lorsque la nuit tombe, la case se fait « noire comme de l'encre d'imprimerie », dit le texte.

Traversée des climats. Après le désert et la soif qu’on dira dévorante par amour des clichés, voilà l'herbe et la pluie.

Le corbillard est transformé en fusée ; une croix verte dans le ciel jaune.

« Crazy Town », saloon, saloon, saloon. Effet de surprise : le réel est déjoué par la surprise et en fait toute une histoire. Les femmes se manifestent. L'humour comme dynamitage symbolique du réel ; la rhétorique de l'humour est une des armes du langage.

 

Un étroit défilé ; une hypothèse improbable. La fiction affectionne les hypothèses improbables.

Lucky Luke sort de la caravane pour parer au plus pressé et pendant qu'il pare, il arrive quelque chose à la caravane. Explosion.

Le croque-mort apprécie la sonnerie aux morts (il n'y est pas obligé). Le cheval noir du corbillard se moque des humains, lesquels se mouillent par amour du progrès et nécessité de faire rire le lecteur.

 

Comme le dit si bien Lucky Luke en ses aventures : quand les Sioux ne sont pas loin, il ne faut pas faire de feu, sinon, « ça va fumer » (il ne le dit pas comme ça, mais l'essentiel y est). « La fumée à l'horizon » dit qu’il y a de la fumée à l'horizon » : le réel se dédouble, renvoie à son écho. Fascinant, toute cette fumée à l'horizon qui me rappelle un des brefs de l’excellente série Kaamelott, d’Alexandre Astier (mais je ne vais pas vous le raconter, car je n'en ai pas envie). Les fumées à l'horizon, ce sont les signes qui signalent qu’il y a des signes. Ainsi en est-il de l'ontologie qui ne cesse de signaler qu’il y a de l'être qui renvoie à l’existant qui lui-même renvoie à l'être etc... jusqu’à ce qu’on ait fini d'y songer et que l'on va s'coucher tiens.

 

L'Indien trop longtemps immobile ne voit pas le Lucky Luke arriver derrière lui : proverbe qui ne se vérifie qu'à la planche 31 de l’album « La Caravane », de Morris et Goscinny, album 24 des aventures de Lucky Luke (éditions Dupuis, 1964, je sais je l'ai déjà dit).

 

L’onomatopée TACATAC TACATAC TACATAC signale « un cheval ! un cheval qui galope » ; c'est Luky Luke qui nous l’indique car sinon on aurait pu penser qu’il s'agissait d'un appareil volant au moteur excentrique, ou d'une mitrailleuse dans un album des aventures de Buck Danny (mais je ne sais pas si les mitrailleuses des aventures de Buck Danny font TACATAC TACATAC TACATAC).

 

La nuit prépare « d’étranges attelages ». Cercle des Indiens à cheval, cercle des chariots ; au centre, « les femmes, les enfants et les bêtes ». Inversion : d'un cercle l’autre. L'imaginaire inverse, renverse l'ordre des choses, bouscule les traditions (comme le fait remarquer Lucky Luke : les personnages de fiction semblent en savoir long sur le réel).

 

Parfois, Lucky Luke fait penser à un acteur italien (surtout quand il boxe), ou à un rocker ; c'est que sa frange brune et bleue rappelle la banane au Lucien de Frank Margerin.

Postiches et perruques peuvent-ils être des succédanés de scalps ?

La nuit multiplie les bêtes et le jour les ramène.

 

La grand-mère a disparu mais la grand-mère était-elle la grand-mère ? Et puisque la grand-mère n'est pas la grand-mère, c'est que se prépare le duel au soleil fatal qui termine les westerns. Le héros ne meurt pas car la grand-mère qui n'est pas la grand-mère a perdu la main. A force de jouer le même rôle, le même rôle finit par ne plus vous lâcher.

 

Après avoir échappé à la mort, la caravane danse et musique. Nouvelle inversion : c'est le muletier au langage de muletier qui chante une bluette de sa composition. Les gens ne sont pas toujours comme on les représente.

 

Péripéties et incidents favorisent la fuite de Luky Luke qui ne tient pas tant que ça aux honneurs et préfère repartir dans sa dernière case, celle qui le conduit vers une autre aventure ; d’ailleurs il chante : « I'm a poor lonesome cowboy and a long way from home... ».

 

Patrice Houzeau

Malo, le 14 avril 2024.

13 avril 2024

VERS UNE TAXE SUR LE LIVRE D'OCCASION ?

VERS UNE TAXE SUR LE LIVRE D'OCCASION ?

 

12 avril 2024 ; on dit sur les ondes que le président Macron veut taxer le marché du livre d’occasion :

 

- Étrange tout de même pour un « libéral ».

 

Les grosses maisons d'édition n'ont-elles pas été largement aidées et soutenues par l’État depuis tant d'années et est-il si nécessaire, en période de vaches maigres (eh oui), de les aider davantage ?

 

- Si les grosses maisons d'édition ne se portent plus aussi bien qu’auparavant, n'est-ce pas aussi parce qu’elles ont elles-mêmes noyé le marché de tant de bouquins, d’albums, d’auteurs, que l'on ne sait plus qu’en faire, et que l'on trouve dans les boîtes aux livres et sur les marchés aux puces vraiment beaucoup d'exemplaires quasi neufs dont les gens considèrent qu’ils en sont plus qu'autre chose encombrés.

 

- La fameuse « start up nation » chère à votre langage, à votre ramage, à votre plumage, cher président, ne contribue-t-elle pas à éloigner le lecteur potentiel des librairies ? (mis à part les mangas, je me demande combien de lycéens des LP, et même des lycées généraux, achètent encore des livres dans des librairies traditionnelles).

 

- Qui va être taxé ? Les plates-formes en ligne et les chaînes de magasins ? (et quid alors de l’étrange Amazon ?), les bouquinistes ? (ce serait stupide).

 

- La baisse massive à venir d’étudiants de l’enseignement supérieur, baisse plus ou moins induite par la réforme Blanquer revue et corrigée par Gabriel Attal, fera-t-elle baisser le nombre de ventes de telle sorte que hein.

 

- De toute façon, d'ici quelques années, certaines maisons d'édition auront massivement recours à l'intelligence artificielle pour pondre séries et volumes (voir à ce sujet le prophétique album de BD « Lune l'envers » de Blutch, Dargaud, 2014), et l'on verra sans doute se développer le métier de « rewriter », d'adaptateur, d’auteur professionnel anonyme salarié et intégré à une équipe, cependant que l’écrivain artisan solitaire deviendra une espèce en voie de disparition.

 

- Il ne faut pas croire tout ce que conte le président Macron ; il aime souvent à dire ce que ses interlocuteurs du moment aiment entendre et c'est une sorte de Dom Juan de la politique que ce président là, un épouseur de causes à toutes mains, et sa parole ne vaut pas toujours le temps qu’on prend à la. commenter.

 

Patrice Houzeau

Malo, le 13 avril 2024

12 avril 2024

ANTIGONE N'IRA PAS AU THEÂTRE

ANTIGONE N'IRA PAS AU THEÂTRE

 

1.

« Est-ce que vous m'entendez

Au fond de votre secret ? »

(Jules Supervielle, « Réveil »)

Ce que nous ne sommes plus, ce que nous ne sommes pas encore relève-t-il du secret ? Certes, on ne peut connaître ce qui n'est plus et pas non plus ce qui n'est pas encore ; on ne peut que s'en approcher, en définir l'énigme.

 

2.

« Hadès et des dieux infernaux connaissent les auteurs de cette action. Je n’aime point une amie qui n’aime qu’en paroles. »

(Sophocle traduit par Bousquet et Vacquelin, « Antigone » [Antigone à Ismène])

Hadès, le maître des enfers – Connaissance - savoir occulte – Extra-humain – Invisible - L’autre monde est dans le rapport entre les vivants et les dieux - sans ce rapport, pas d’autre monde possible - pas d’imaginaire – pas de littérature -« Seigneurs et nouvelles créatures » (titre d'un recueil de Jim Morrison) - pas de leçon d'histoire - actions - Acte : Antigone existe par son acte - sinon pas de théâtre, pas de catharsis - revendication : Antigone assume - garantie divine - « je » - affirmation de soi – identité – authenticité -  pas d'acte sans pronom je - pronom : quel est ce nom que dit et ne dit pas le pronom je ? De quoi ce qui est masqué et assumé par le pronom je est-il fait ? De quoi le pronom je est-il le nom ? - désamour – distance - haine ? Non, distance - Orgueil ; solitude de l'orgueil - héroïsme - résistance – rébellion - Ismène (sœur d’Antigone) - insuffisance des paroles - l'acte prime sur le dit - refus de laisser le réel se raconter des histoires - Antigone n'ira pas au théâtre ; elle n'en a plus besoin - récupération : on a fait d’Antigone une héroïne de théâtre - le réel se nourrit d’héroïsme comme il se nourrit de lâchetés - le réel est l'ogre – Jeanne.

 

3.

« Et si la cueillette des champignons, après la pluie, a quelque chose de macabre, ce n'est pas moi qui m'en plaindrai. »

(René Char, « La manne de Lola Abba »)

Note – prosaïsme – quotidien – saisons - il y a une saison des champignons comme il y a une saison des examens – conscience – paysage mouillé – ciel pluvieux – peut-être un rayon de soleil – bois, sous-bois - lien entre les champignons et le macabre - « trompette des morts » - « amanite tue-mouches » - « doigts du diable » - « amanite phalloïde » - toxique – poison – vénéneux – la mort en ce jardin – l'omelette fatale – la mort de Barbara – du goût pour le macabre – le bouillon d'onze heures – roman policier – la couverture de l'édition « Club des Masques » de « La mystérieuse affaire de Styles », d’Agatha Christie - l'assassin est dans l'assiette – terreau, mort, odeurs – maléfices – Est-il vrai, comme l'allagrecque Wikipédia, que « l’artiste chrétien médiéval représente rarement les champignons, considérés comme maléfiques, si ce n'est pour évoquer leur symbolisme démoniaque » ? - hallucinations – brefs – visions.

 

4.

« Au-dehors, les chouettes hululaient de façon inquiétante ; dans leurs cadres, les portraits de famille prenaient des allures étranges et sur les tapisseries, l'animal le plus inoffensif se mettait à ressembler à quelque monstre terrifiant. »

(Anthony Morton traduit par Claire Séguin, « Le Baron et le fantôme »)

Un « vieux manoir » - « atmosphère inquiétante à souhait » (celui du lecteur sans doute) – oiseaux de nuit – inquiétude – l'élément naturel utilisé pour souligner l’atmosphère oppressante – nature inquiétante par nature – les bois la nuit sont inquiétants – la nuit est inquiétante – campagne hantée – c'est quelle vous ficherait la frousse, la nuit, s'te cambrousse ! - la ville, la compagnie des humains ne remplace pas cette inquiétude que génère la nature quand il est manifeste qu’elle n'a rien d’humain, qu’elle est indifférente à l’humain, que l’humain lui est aussi naturel que la proie pour le prédateur – le fantastique, le terrifiant, comme hyperbole de la nature – nature fantastique, nature terrifiante (règne de la loi du plus fort, de l’élimination du plus faible) dont la nature est révélée par l'habitude très humaine d’imaginer des monstres, de tisser des énigmes qui masquent des effrois sans nom – Suspiria - mon goût pour la littérature populaire – je ne les lis pourtant que très peu ces romans – certains sont agréables, d'autres malaisants, déplaisants – Rimbaud et la littérature populaire ; le narrateur en parle dans « Une saison en enfer » : « J'aimais les peintures idiotes, dessus des portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs. » Dans cet hétéroclite, je n’aime pas tout, loin de là, because ça sent bien le vieux rassis rance et moisi quand même tout ça, mais la littérature populaire du vingtième siècle (des noirs polars américains aux science-fictions échevelées et auteurs singuliers), voilà un de mes goûts – Agatha Christie, Simenon (immense!), San-Antonio (hénaurme!).

 

5.

Dans le poème « La manne de Lola Abba », de René Char, on lit l’expression « couronne d’amour » ; je ne sais pas ce que c'est qu’une couronne d’amour, ni s'il y a une reine ni même ce que l'on appelle amour et qui n’existe que par ses preuves, lesquelles ne prouvent jamais que l’humain est un animal social capable de se sacrifier (et encore pas tout le monde, et peut-être, en fin de compte, peu de gens) ; par contre, les humains sont très résistants ; c'est aussi ce qui les rend si redoutables.

 

Patrice Houzeau

Malo, le 12 avril 2024

 

10 avril 2024

PENSER PAR SOI-MÊME TARTE A LA CREME

PENSER PAR SOI-MÊME TARTE A LA CREME

 

1.

Albert Moukheiber : Il ne faut pas penser par soi-même quelque part. Penser par soi-même, c'est complètement absurde. Quand quelqu’un vous dit « pensez par vous-même, ne soyez pas des moutons […] » ils sont en gros en train de vous dire « faites-moi confiance ».

(Entretien entre Charles Pépin et Albert Moukheiber pour l’émission « Sous le soleil de Platon », France Inter, mercredi 4 août 2021 in Delagrave, 2nde bac pro, 2022, p.80).

Ce texte (je l'ai donné à mes élèves de 2nde bac pro) est un dialogue entre un neuroscientifique (Albert Moukheiber) et un philosophe (Charles Pépin) qui anime une émission de radio, c'est donc un dialogue entre deux intellectuels. Le sujet de leur entretien est l’information.

 

2.

Albert Moukheiber commence (en tout cas dans cet extrait) par énoncer un paradoxe : « Il ne faut pas penser par soi-même. » Pourquoi est-ce un paradoxe ? Je songe en recyclant cette préparation de cours que le mot paradoxe est un mot dont je donne régulièrement le sens à mes élèves, mais ils s'en moquent et ne retiennent ni le sens, ni le mot, mais ils se souviennent tout de même de moi longtemps parce que le lycée, c'est aussi du spectacle, du stand up pédagogique, de l'occupationnel à vocation apprenante, une façon de faire passer le temps à la jeunesse avant qu’elle soit réellement productive.

Paradoxe car c'est nous qui pensons, en nous-même (pas quelqu’un d'autre ; cf le « je pense donc je suis » de Descartes) ; mais sommes-nous sûrs que ce que nous pensons est vrai, rationnel, pertinent ? Ah en voilà une question, Bertrand !

 

3.

Que faut-il penser de l'injonction : « pensez par vous-même, ne soyez pas des moutons » ?

Expression dangereuse car elle incite non pas à penser par soi-même mais à faire confiance à celui qui nous demande de soi-disant « penser par nous-même » (je ne dirai pas tarte à la crème parce que poil à la tarte à la crème, c'est tout de même lourd).

 

4.

« Si j'écoute mon intuition alors que je n'ai jamais tenu un saxophone et que je me prends pour Louis Armstrong, je vais juste casser les oreilles à tout le monde.. »

(Albert Moukheiber)

Outre que le rapport entre Louis Armstrong et le saxophone est moins évident qu’avec la trompette (mais plus évident qu'avec la cornemuse), quel est l’intérêt de la référence au «  saxophoniste virtuose » ?

Cet exemple illustre l'idée que l'intuition ne suffit pas à juger ; ce n'est pas l'intuition qui compte mais l’expertise, la connaissance, le savoir-faire et donc l’apprentissage. Je ne dirai poil dans le corsage que si la porteuse du dit corsage ne s'est pas rasé les aisselles.

 

5.

Que signifie ici l’expression employée par Albert Moukheiber « bagage intuitif » ?

Le « bagage intuitif » est constitué de tout ce qui peut nourrir mon intuition ; l’expérience fait partie de ce bagage intuitif. Exemple : un électricien expérimenté analyse plus vite une situation qu'un « nouveau dans le métier ». Il y a de l'intuitif, du contre-intuitif, le pote à Tondu s'appelle Tif, et je m'épate toujours de la proximité des mots « knife » et « canif ».

 

6.

Comment définir ce qu'est un « champ de compétences » ?

« champ de compétences » : ici, savoir-faire, ensemble des pratiques qui caractérisent notre maîtrise dans une discipline. Le but du lycée est d'agrandir le champ de compétences des apprenants ; labeur pénible et qui rappelle souvent qu'il y a tout de même loin de la boîte de cassoulet au cerveau d’Einstein.

 

7.

Qu'est-ce qui permet à Albert Moukheiber de définir les humains comme étant des « animaux sociaux » ? 

Comprendre ici « animaux » au sens d'êtres animés et conscients ; « sociaux » signifie que chacun d'entre nous a besoin des autres. Et c'est bien là la source de bien des âneries, désillusions, fatigues ; tout ça pour ça, comme dit le Créateur les jours où il a le cosmos dans les chaussettes.

 

8.

Que signifie l’expression « déléguer sa confiance » ?

« déléguer sa confiance » = faire confiance ; on ne sait et on ne peut pas tout faire ; on doit donc déléguer à ceux qui savent. Même qu’avec l’inflation, ça coûte de plus en plus cher ; d'où le travail au noir. Pour les JO 2024, le gouvernement a fait appel au bénévolat (ça coûte que dalle, et bien mené, bien démagogiquement, façon Macronie en campagne, ça peut paraître sympathique aux naïfs et enthousiastes).

 

9.

Que penser de la réponse de Charles Pépin : « Ah oui, cette question de choisir les bons autres... » ?

S'il y a des « bons autres », c'est qu'il y en a aussi des mauvais. Il faut savoir faire confiance sans être naïf. Remarque de bon sens qu’aucun élève n'a osé faire ; trop facile sans doute.

 

10.

En quoi choisir « les bons autres » et « savoir déléguer sa confiance » (= faire confiance) permet-elle à la société d’exister ?

La société humaine est l'ensemble des échanges entre les humains. Chacun d'entre nous doit être utile aux autres en exerçant un métier. C'est ainsi que la société repose sur le savoir-faire, la confiance, le système bancaire, les ventes d'armes et l'exploitation des électeurs par la promotion de la démagogie.

 

11.

Pourquoi, comme le dit Albert Moukheiber, « quand ça touche notre raisonnement, on ne veut plus déléguer » ?

Nous sommes orgueilleux et croyons que ce que nous pensons est forcément vrai puisque c'est nous qui le pensons ; nous refusons de croire que notre jugement peut être faussé, trop rapide etc ; même que défois y en a même i se rendent pas compte qu'ils n'ont pas de cerveau.

 

12.

Que signifie l’expression « variabilité dans les sources » ?

Il n'y pas qu'une seule source d’informations : pour se faire une opinion sur un sujet (en politique par exemple), il vaut mieux consulter plusieurs médias différents. Oui, enfin en théorie, parce qu'en fait, on n'a pas le temps et puis on sen fout que c'est loin pour l’instant la guerre.

 

13.

Que signifie ici « reprendre le pouvoir sur son existence » ?

Refuser de se laisser prendre au piège du soi-disant « penser par soi-même », écouter des avis différents, lire des auteurs intéressants, c'est ne pas s'enfermer dans une pensée unique et donc rester libre de sa façon de penser et de juger. C'est ainsi que je préfère la tarte aux abricots à la tarte aux cerises et que j’aime bien feuilleter romans policiers et magazines.

 

14.

Conclusion : Ne pas céder à la facilité et avant d'avoir un avis, consulter des médias fiables et différents (journaux, audiovisuel, livres...) permettent de déjouer le piège et l'illusion du « penser par soi-même », mais je conçois que l'on puisse préférer l’apéro à l’opéra, la tarte aux fraises à celle aux abricots, bien que ma préférée soit la tarte au riz et que l'on puisse aussi bien lire Nietzsche que Simenon, Agatha Christie que Deleuze, les aventures de Yoko Tsuno que le menu de la cantine (j'y vais jamais, mais je le lis tout de même, en clignant des yeux et en songeant à la petite douleur fantôme qui me traîne le cœur depuis si longtemps maintenant, poil aux dents, évidemment).

 

Patrice Houzeau

Malo, le 10 avril 2024

10 avril 2024

NATURELLEMENT IL Y A AUSSI UN FANTÔME

NATURELLEMENT IL Y A AUSSI UN FANTÔME

 

1.

« Il prit, dans sa poche, le prix d'un calvados, disposa l’argent dans le tiroir, sursauta, comme pris en faute, en voyant une silhouette se profiler derrière la vitre. »

(Simenon, « Maigret et le corps sans tête »)

 

C'est parce qu'il est honnête que Maigret paye le verre de calvados qu'il se sert dans le café désert ; pourquoi dès lors « sursauta-t-il, comme pris en faute » ? Est-ce parce qu'il s'est servi un calva ? Est-ce parce que son geste pourrait prêter à confusion ? Et quelle est cette silhouette « derrière la vitre » ?

 

2.

Dans un article publié dans la livraison de novembre 1998 de la revue « Etvdes », et intitulé « La droite décomposée », René Rémond écrivait : « C'est une chose bien étrange que l’état présent de la droite en notre pays. » On voit en 2024 que cette étrangeté n'a fait qu’empirer. Il se pourrait même que la droite de notre pays soit en partie sous emprise d'un empire de l’étranger qui tente de se réveiller en Eurasie.

 

3.

« Car l'orgueil de posséder la vérité absolue représente le danger mortel pour la vérité au sein du monde. »

(Karl Jaspers traduit par Jeanne Hersch, « Introduction à la philosophie »)

 

Encore faudrait-il qu'il y ait une vérité absolue. La vérité est relative au langage humain. Le langage permet d'affirmer cette vérité universelle que 2 + 2 font 4, mais ceci n'a de sens que pour les consciences qui ont créé et utilisent le langage des mathématiques. La question est : peut-il exister une espèce utilisant un langage qui ne soit pas seulement un code, ou un ensemble de signaux, et pour laquelle l’expression 2 + 2 font 4 n'aurait pas de sens ? Autrement dit : le langage peut-il se passer des mathématiques ?

 

Du reste, comme le note la traduction, c'est « au sein du monde » que l'orgueil de la vérité absolue » est un « danger mortel », et non dans une universalité extra-humaine, dont ne sait ce qu'elle pourrait être. La question devient : le langage peut-il se passer des mathématiques et de l'orgueil d'être des êtres de langage ? Les petits hommes verts, s'ils possèdent assez de physique et de mathématiques pour venir dans leurs aéronefs cosmiques nous visiter seraient-ils fatalement orgueilleux ?

 

4.

« Ne parlez pas : c'est ici

Qu’on égorge le soleil.

Douze bouchers sont en ligne,

Douze coutelas pareils. »

(Jules Supervielle, « Le voyage difficile »)

 

La poésie nous rappelle sans cesse à l'essence énigmatique du langage ; c'est pour cela qu’elle est précieuse et que nous préférons souvent une chanson traditionnelle du folklore à bien des sophistications modernes. Je ne cherche pas à expliquer ces vers, leur mystère me suffit.

Je me demande si certaines chansons traditionnelles étaient aussi énigmatiques lors de leur création que pour nous ? Ne sont-elles, ces chansons, si curieuses et étranges que parce que nous en avons oublié le sens ou certaines d'entre elles n'étaient-elles déjà réservées qu'aux initiés d'alors qui en saisissaient la portée, la signification réelle et la beauté ?

 

5.

C'est moi, ou bien ? L'un des dangers que court l’enseignant, c'est de se sentir stupide au point de se couper de l’habitude de spéculer. Il m’arrive de songer que 30 ans de lycée professionnel m'ont rendu plus sot intellectuellement qu’ils m'ont humainement enrichi.

 

6.

« Pendant qu’il gravissait, derrière la robe blanche, un perron éblouissant... »

(Colette, « Le blé en herbe »)

 

Ce début d'une phrase de Colette m’enchante comme si elle me renvoyait à une image de mon propre passé, image imprécise et sans nul doute fantasmatique (c'est à dire coupée de tout contexte) : une robe blanche, un grand soleil, l'été de nos imaginaires.

 

7.

« Naturellement, il y a aussi un fantôme. Ah ! et puis j’allais oublier le trou à curé. »

(Anthony Morton traduit par Claire Séguin, « Le Baron et le fantôme » [un personnage])

 

C'est, sauf lorsqu'ils sont du niveau d'un Simenon, (Simenon est une extraordinaire exception dans le monde foisonnant des fictions), c'est la légèreté qui souvent fait l’attrait de bien des romans populaires, romans que je lis rarement d'un bout à l’autre, mais qui me plaisent par leur joyeuse et ironique inconscience des feintes profondeurs.

 

Patrice Houzeau

Malo, le 10 avril 2024

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