LA VACHE DANS LE COULOIR ET LE ROI DANS LE ROI
« - Je ne veux plus commander, s’écria le jeune homme, qu’à ceux qui verront un Roi dans le Roi, et non une proie à dévorer. »
(Balzac, « Les Chouans »)
1.
Je sais bien que lorsque je maugrongne, je ne suis guère agréable. Le mieux est alors de me laisser maugrongner seul, le temps que j’équarrisse quelque grouillement de mes ombres avec la hache noire de mon esprit.
2.
Ne jamais jamais jamais jeter le Zlorgh avec l’eau du bain. C’est une chose que tous les habitants d’ici par là savent. Le Zlorgh est alors délivré du sortilège de l’eau et reviendra tôt ou tard vous déshydrater, jusqu’à lyophilisation complète.
3.
Veux-tu de la véline en gelée ?, dit Zut. Bien que d’humeur maugrongnesse, je me mis à la table des négociations ménagères, sachant que l’offre n’était pas à dédaigner, la véline en gelée étant plus rare et plus chère que le gougnard, moins goûteux et plutôt vexant.
4.
Plus on prend de l’âge, plus défois on relativise, jusqu’à ce que l’on finisse par se relativiser sa pomme et que, jetant son orgueil par-dessus les moulins d’sa fierté, on accepte l’idée qu’une fois que le grand Cric nous aura croqué, le monde se passera bien de nous.
5.
Commander, commander… Que voulez-vous que je fasse d’un tel verbe, moi qui ne commande jamais qu’un demi au comptoir, cependant que des foules de petits et grands chefs plus ou moins imbéciles commandent à d’autres plus ou moins imbéciles sous leurs ordres de s’entr’égorger.
6.
S’écria-t-il que j’étais mauvais perderon ? Je ne sais plus, Monsieur le Raviseur. Soudain des hommes en uniforme rentrèrent dans la chambre et m’ordonnèrent, en me braquant avec leurs fusils télépathiques, de jeter la hache noire de mon esprit par terre. Pour le reste, c’est le trou noir et planète perdue.
7.
Le gougnard, ça ne vaut pas la véline en gelée, je vous l’accorde. Mais en ces temps poutinesques, vous vous contenterez de gougnard. La véline pourrait être bientôt hors de prix. Accordez vos serpents, cela n’aura qu’un temps.
8.
Jeune, je ne me rendais pas compte que quelques dizaines d’années plus tard, contemplant vertiges graphiques et plumes virtuoses, je considérerai fatalement que j’avais manqué le coche.
9.
Homme libre, parfois tu deviendras amer.
10.
Qu’à force de parchagner d’la réforme, on finit par perdre sa charlure à législatives et qu’on finit avalé par la mâchoire du chouin peuple alors que se profile sur le mur l’ombre de la récalcitrance à chouanneries.
11.
Ceux qui spongieusent outrancieusement, qu’on les jette à l’étanchéité, ça leur fera les palmes !
12.
Qui c’est-y qui a loupé le loup de la lune pleine, manqué le coche, gobé la mouche, qui est parti à la chasse avec cheval, chien, chapeau, laissant jolie châtelaine au château, pis qui s’artrouve cocu, caduc, couillon qu’on va lui couper le cou en guise de conclusion ?
13.
Verront-ils les plantureuses ballevalantes des ailleurs étonnants ? C’est possible, mais attention, il arrive que sous la peau des aimables ballevalantes se cachent les mâchoires de sirènes aussi massacrantes qu’une pluie de Russes en Ukraine.
14.
Un jour, on se dépeuple. Là est notre condition. Il ne reste alors de nous qu’une housse de peau, qu’on brûle ou enterre, tandis que nos esprits continuent à glisser lentement le long des choses, n’arrivant pas plus à les surmonter qu’une araignée arrive à sortir d’une baignoire.
15.
Roi de Zélivogne, il cognerivait tant qu’à force les galucherons prirent la mouche et vinrent de partout, à cheval, à chabre, à chaud, déchausser le palais et chasser le royal cogneriveur. Ils élurent Charlot 1er Roi de Zélivogne et retournèrent brancher les gens en leurs forêts.
16.
Dans quelques années, mon miroir me dira sans doute des vérités de plus en plus difficiles à entendre. Je pourrais lui couper la langue, mais ça ne servirait à rien. Comme on sait, la langue des miroirs est aussi tenace qu’un vampire accroché à un cou.
17.
Le jour de mes plus d’ans, je n’aurai plus du tout de dents, de lait sur le feu, d’idées dans la caboche, de vipères dans ma langue, et l’on me mettra à pourrir.
18.
Roi de Pogonie, il possédait les serres les plus cruelles de la gent florale et collectionnait les serpents. Il courait sur son aile les rumeurs les plus complotistes. On baissait le regard devant la froideur de son œil. On craignait son bec.
19.
Et vint le mauvais temps. Le Royaume-Uni quitta l’Union Européenne, un virus tétanisa le monde, Poutine envoya ses troupes violenter l’Ukraine et défia l’Occident. Le monde était surpeuplé et s’endettait.
20.
Non, c’est trop de têtes, j’en ai assez de la galure, s’écria le galurin (bien sûr, personne ne l’entendit). Ah qu’on les coupe toutes ces têtes de circonstances, toutes ces cafetières fêlées, toutes ces pouilleuses citrouilles, et que je m’envole chercher ma plume ailleurs.
21.
Une lumière jaillissant du saxophone, Zut en conclut que l’instrument était soit béni du dieu Jazz, soit hanté d’un blues sinueux. Ce n’est que lorsque, se penchant avec prudence et crucifix sur l’instrument, qu’elle vit le chat et la lampe de poche qu’elle avait par mégarde laissé chuter dans la béance à sons. Quelle distraite je suis, fit Zut en raccrochant le hareng saur à sa ficelle.
22.
Proie ! Proie ! Proie ! c’est le cri du proyeur que l’on entend parfois qui épouvante la nuit et toutes ses dépendances.
23.
A Zut, les jardins troués dans ma caboche, poches crevées, chaussures déchirées, tickets perdants, illusions perdues, chances gâchées, le mépris du ministère des apprenances, le chien fidèle et la langue au chat.
24.
Dévorer est un verbe qui dit bien son ogre, son ministre, son petit chef, son dictateur mangeur de peuples, sa poutinesque indigestion, sa gerbe de sang.
Patrice Houzeau
Malo, le 13 octobre 2022.