A LA CHASSE AU NAZGÛL
« Queens beat aces every time, yeah !
Dead man's hand ! Dead man's hand !
And Charlie is the joker in the deck »
(« Prelude to Madness », « Peter Faxon » cité dans « Armageddon Rag », de George R. R. Martin)
« La reine bat l'as à chaque pli, oui !
La main passe au mort ! La main passe au mort !
Et dans la partie, le joker c'est Charlie. »
(traduction : Jean Bonnefoy)
1.
Suite de ma lecture de « Armageddon Rag », de George R. R. Martin. Comme je l'avais prévu, c'est un peu longuet. Mais il y a tout de même de bons moments. Du polar du début on passe à l'analyse psychologico-sociologique désenchantée : les séquelles de la fin des années 60 (la fin du « flower power », Manson, les manifestations violemment réprimées, les groupes ultra-radicaux prêchant la violence, les gourous, et toutes ces sortes de dingueries). L'écrivain enquêteur retrouve les membres dispersés du Nazgûl (groupe de rock aussi fictif que légendaire, dont le chanteur a été assassiné lors d'un concert, ce qui rappelle la tragédie d'Altamont, 1969) ; il retrouve aussi quelques ami(e)s. Il y a aussi pas mal de cauchemars, des genres d'apparitions spectrales, l'évocation d'une montgolfière (joli chapitre), et celle d'un écrivain de romans à succès, surnommé « Le Boucher », riche, brutal, conservateur tendance fasciste. A la lecture de ce chapitre, j'ai pensé que George R. R. Martin n'était pas William Faulkner. Ceci dit, je vais continuer quand même : paraît que le Nazgûl va se reformer...
Citation :
« Les conspirateurs du Watergate écrivaient des livres et ramassaient des fortunes dans le circuit des conférences mais Bobby Kennedy était toujours mort et bien mort et il le resterait. »
(George R. R. Martin traduit par Jean Bonnefoy, « Armageddon Rag », chapitre 15)
2.
Donc, je continue pour en tirer la conclusion que, qui va à la chasse au Nazgûl perd sa Sharon, son agent, son boulot et se retrouve à zoner.
Le « Armageddon Rag » de George R. R. Martin pose aussi cette question : peut-on ressusciter le rock n' roll tel qu'il fut à la fin des années 60 et au début des 70 ? Peut-on ressusciter le Roi Lézard ? En tout cas, la description du concert du Nazgûl reformé qui constitue le chapitre 20 force assez dans l'imagerie gothique, folklore et lyrisme hard-rock (écrivant cela, je songe au certes talentueux Led Zeppelin).
Citation :
« Maggio parut s'éveiller d'un long rêve et soudain sa guitare se mit à crépiter d'énergie. Le larsen vint s'insinuer, sifflant, dans la sono, vaste serpent qui venait dérouler ses anneaux sur la salle, créature vivante qui criait son funeste mécontentement. »
(George R. R. Martin traduit par Jean Bonnefoy, « Armageddon Rag » (chapitre vingt).
Intéressant aussi ces citations de chansons de l'époque qui ouvrent chacun des chapitres. Aussi ces bouts de chansons fictives (sont-elle devenues réelles depuis ? Quelqu'un les a-t-il électrisées ? Ce serait amusant, et un bel hommage à George R. R. Martin et à l'esprit d'un certain rock n' roll). Tiens, en voilà un bref exemple :
« Wolfman looked into his mirror
And Lon Chaney looked back out »
(« Prelude to Madness », « Peter Faxon » / George R. R. Martin)
« Le loup-garou s'est r'gardé dans la glace
Et c'est Lon Chaney qui lui faisait face. »
(« Prélude à la folie », traduction : Jean Bonnefoy).
Et dans cette évocation du rock endiablé, il se trouve que le surnaturel veille. Il a une main ensanglantée et son chien ne le reconnaît pas.
3.
J'ai eu raison de poursuivre dans ma quête. Du polar sociologique, on passe, de cauchemar en cauchemar, au thriller surnaturel. Le « Armageddon Rag » de George R. R. Martin est un livre qui évoque des gens qu'on a connus et que l'on va chercher, à moins qu'ils reviennent dans nos rêves.
Nous croyons hanter les mêmes temps.
Rapidement, on se demande si l'écrivain enquêteur Sandy Blair ne s'est pas fourré dans les griffes du Diable, lequel, comme Baudelaire l'a écrit : « tient les fils qui nous remuent ». « Music to wake the Dead », de la « musique à réveiller les morts », hein... Ou alors, « dédoublement de la personnalité » ? « Mais toi et moi savons fort bien que ce n'est pas le cas », dit Sandy Blair à Peter Faxon au chapitre vingt-trois.
Un disque, ça tourne. Une chanson, ça tourne. Un groupe part en tournée. Cercles. Chansons revenantes. Ritournelles. Le Diable pourrait bien le vicier, ce cercle. A moins qu'il ne soit pas si vicieux que ça, et même vertueux à sa manière, ou en tout cas, honnêtement humain.
Et si la clé de l'énigme était dans le refrain d'une des chansons du groupe ?
Citation :
« Cela va les détruire tous, le Nazgûl, Larry Richmond, Francie... Ils vont l'utiliser pour une espèce de sacrifice humain, Slum, les portes de l'enfer sont sur le point de s'ouvrir et les morts s'apprêtent à revenir. »
(George R. R. Martin traduit par Jean Bonnefoy, « Armageddon Rag », chapitre vingt-six [Sandy Blair]).
Trop long et trop dense pour qu'un film en soit tiré, il me semble que « Armageddon Rag » serait idéal pour une série. Pour éviter la rupture de rythme entre les événements du début (l'assassinat de l'impresario, l'incendie du bar), ceux-ci pourraient être entremêlés aux entretiens que le personnage de Sandy Blair a avec les anciens membres et proches du groupe Nazgûl. Cauchemars et visions tenant une place importante tout au long du roman (serait-ce un roman psychédélique?), ils feraient ainsi le lien entre une première série d'épisodes plutôt « polar » et une seconde série « thriller surnaturel ».
Enfin, le pop/rock y jouant un rôle essentiel, la B.O pourrait être intéressante, sinon fameuse.
Patrice Houzeau
Malo, le 18 février 2023.