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18 mai 2023

DE LA PROSE QUI PERTURBE AH AH AH

DE LA PROSE QUI PERTURBE AH AH AH

1.
Luis Sepulveda traduit par François Gaudry, « Le Neveu d'Amérique » (« Points »). Notes, souvenirs. Parfois terrible quand il évoque la dictature et le Chili con carnage de Pinochet (« Le pire arrivait, à peu près tous les quinze jours, quand on nous emmenait au régiment Tucapel pour les interrogatoires »), parfois mélancolique et plein d'un humour souvent anarchisant. Chapitres souvent courts, livre bref et tonique. L'histoire de l'enfant au dauphin (chapitre 6 de la 3ème partie) est particulièrement émouvante. Le productivisme fait aussi le malheur des gens.

2.
Stephen King traduit par Michèle Pressé et Serge Quaddruppani, « L'image de la Faucheuse » in «  Brume (La Faucheuse) », J'ai Lu n°2579. Variation sur le thème du miroir maudit. Une scène et son double. Le présent doublon du passé ? J'aime bien les trouvailles d’expression qu'on y trouve, dans la prose de Stephen King :

« M. Carlin gloussa, c'était un son sec comme si des os avaient cliqueté dans la soupente de l'escalier. »

La progression du recueil fait succéder au classique « L'image de la Faucheuse » par « Nona ». Impressionnant. Itinéraire à la première personne d'un tueur halluciné. Frustrations et violence, sexe, rats, possession, crypte, crime sadique... Pensées décalées :

« La vigne sporulée se contente peut-être de rêver qu'elle fornique, mais je suis sûr que la Vénus gobe-mouches déguste cette mouche, savoure sa lutte faiblissante alors que ses mâchoires se referment sur elle. » ([le narrateur]).

Après ces soixante pages horrifiques, une poésie ? Un texte de chanson surréaliste ? « Pour Owen ». Ça se passe « rue des Fruits ». Le narrateur conduit son fils à l'école et c'est amusant ces variations sur les élèves et les fruits ; mélancolique aussi, et se finissant sur une note psychédélique plutôt sympathique :

« je me garerais sous une pluie de feuilles d'octobre
et nous regarderions une banane aider la dernière
pastèque en retard à franchir ces hautes portes. »

3.
A la fin des années 70, dans les collèges et les lycées, nos professeurs regardaient avec le grand mépris très inculte dont ils étaient capables le film « Grease » ainsi que la plupart des films de divertissement américains. Les romans de Stephen King étaient très mal vus eux aussi, et l'on parlait sans rire d'impérialisme culturel et d'abrutissement des masses. Cinquante ans plus tard, « Grease » n'est certes pas considéré comme un chef d’œuvre, mais comme un film bien ficelé et agréable à regarder. Quant à Stephen King, certains de ses textes sont en passe de devenir des classiques.

4.
Ce qui sans doute fascine les lecteurs de Stephen King, c'est la variété de ses atmosphères. Il semble que l'auteur tente d'épuiser tous les thèmes de l'épouvante : des plus classiques (pouvoirs psychiques inconnus, objets, gens, animaux hantés, miroir maudit, malédictions et possessions diverses et avariées...) aux plus baroques et repoussants. Une nouvelle comme « Le goût de vivre » permet de comprendre pourquoi certains lecteurs reculent, et que d'autres se détournent de cet univers si violent pour n'y plus revenir, à la prose qui perturbe (« Ah ! Ah ! Ah ! » dit le narrateur).

5.
Henri James traduit par Jean Pavans, « Le Tour d'écrou » (Librio n°200) : Chef d’œuvre de la littérature de hantise et d’ambiguïté. Le lecteur face aux étrangetés narratives précises et fascinantes. La narratrice est-elle folle ? Ces spectres sont-ils réels, aux frontières du réel et de l'être ? Flora et Miles mentent-ils à leur préceptrice ? De quoi parle exactement Mrs Grose quand elle évoque les « horreurs » échappées de la bouche de la petite Flora ? Et évidemment que l'on pense à des abus de toutes sortes, y compris sexuels – et si la narratrice mentait ? Jusqu'à quel point les enfants peuvent-ils savoir ? A se fasciner par ce huis-clos hanté aux apparitions de plus en plus rapprochées, jusqu'à l'inéluctable que permet la langue.

Citation :

« Mais rien d'autre n'avait changé dans la nature, à moins bien sûr que l'étrange intensification de mon regard n'ait été un changement. L'or était toujours dans le ciel, la limpidité dans l'air, et l'homme qui me regardait du haut des remparts était aussi net qu'un tableau dans son cadre. » (chapitre III [la narratrice])

 

Patrice Houzeau
Malo, le 18 mai 2023.

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