Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BREFS ET AUTRES
18 novembre 2023

ET DE TES GENOUX VOIS-TU L'AVEUGLE S'EN FOUT

ET DE TES GENOUX VOIS-TU L'AVEUGLE S'EN FOUT

« Vérité, mensonge, certitude, incertitude...
Cet aveugle là-bas sur la route connaît aussi ces paroles. »
(Fernando Pessoa)

J'aime bien Fernando Pessoa pour la philosophie que l'on trouve dans ses poèmes. Certes, c'est pas Sartre, pas Heidegger, et pas alambiqué, pas le genre énigme à profondeur qu'affectionnait René Char (enfin, euh, ça dépend, la poésie charresque, parfois, n'est guère plus profonde qu'un doigt de porto ; par contre, ça, elle énigmatise, étrangéise, vous perlimpinpine le cogito, même que défois on comprend rien, mais c'est beau, souvent, la poésie de René Char).

Garouffons (le verbe « garouffer » n’existe pas, mais je l'aime bien), garouffons donc ce texte de Pessoa tiré de « Le Gardeur de troupeaux et autres poèmes d'Alberto Caeiro » (traduction : Armand Guibert) et qui commence par les mots « Vérité, mensonge, certitude, incertitude... ». Déjà, lecteur, te voilà pensif alors que la pluie tombe, que les chats et les araignées rentrent se mettre au chaud puisque l'hiver, et toutes ses contrariétés, va bientôt pointer sa fraise gelée.

Ensuite, sur la « route », il y a un « aveugle ». C'est symbolique, chuis sûr. Sinon pourquoi pas un accordéoniste, une girafe, un coin-coin dandinant, ou Zut encore, chantant une vieille chanson de dans le temps de chez nous qu'on n'y était pas mais ça vous fait d'la nostalgie quand même allez...

Quant au narrateur, il est sur une « haute marche ».. Où ? Je ne sais pas. Sur le devant de sa porte peut-être ? Il a les « genoux croisés » avec dessus, ses mains, qu'il « serre ». Je ne sais pas ce que cette pose signifie mais on voit bien qu'il n'est pas en train de charger, sabre au clair, dans le fracas et l'effroi d'une bataille napoléonienne.

On peut penser qu'il pense, le narrateur là, sur sa « haute marche » avec ses « mains serrées ». Il pense sans doute à « vérité, mensonge, certitude, incertitude », vu qu'il en cause, même qu'il doit se demander si « tout revient-il au même ? », et si le Vrai et le Faux ne seraient jamais que des mots qu'on utilise pour se donner l'illusion que le réel a un sens, alors qu'on sait bien qu'il n'y a pas plus de sens en-soi que de dieu bienveillant au plus haut des cieux et dans on ne sait quelle éternité (celle qu'on croit qu'elle existe parce qu'on peut le dire).

D'ailleurs, voyez : le narrateur a « décroisé les mains ». L'aveugle, lui, n'a rien vu. Vous me direz que l'aveugle ne savait pas que le narrateur avait les mains croisées sur « le plus haut » de ses « genoux ». N'empêche que « quelque chose a changé dans le cours de la réalité », note le narrateur et cela, - insistons sur ce point – si peu que ce fût. Pour l'aveugle, ça fait-y une différence ?

Du reste, nous savons bien, parce que nous regardons des documentaires sur Arte, que la matière gigote perpétuellement, frénésie, danse de saint-guy, ontologique tarentelle, et tout le tremblement. Le voyons-nous ? Non. Même que souvent, on dit : « C'est bien calme, aujourd'hui », alors que dans les herbes, des batailles homériques se déroulent, à grands coups de pinces et de sucs vénéneux, avec force démembrements, démantibulations, égorgements, éventrements, dévorations, accouplements, et qu'au cœur même de la matière, des tas de particules dont je ne retiens jamais les noms (parce que hein) filent dans tous les sens dans cet invisible infini que je sais pas comment qu'il s'appelle.

Et nous, pépère, fumant philosophiquement la pipe en pensant à Monique, nous ne voyons rien, nous ne nous doutons de rien, ô aveugles bipèdes que nous sommes !

Bon, pendant ce temps-là, l'aveugle, consultant sa montre, constate qu'il est déjà tard et qu'il a un bus à prendre, cependant que le narrateur considère que « ce n'est déjà plus la même heure, ni les mêmes gens, ni rien de pareil », même qu'il en tire la conclusion que « c'est cela, être réel. »

Et c'est ainsi que les saucissons séchèrent (et avec l'inflation, ce n'est pas près de s'arranger).

Patrice Houzeau
Malo, le 18 novembre 2023.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
BREFS ET AUTRES
  • Blogs de brefs, ça cause humeur du jour, ironie et politique, littérature parfois, un peu de tout en fait en tirant la langue aux grands pompeux et à leurs mots trombones, et puis zut alors!
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité