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BREFS ET AUTRES
14 février 2022

REVENANT

REVENANT

« Restait l’inexplicable rocher. »
(Franz Kafka, « Prométhée »)

Y songeant, je m'aperçois que ce n'était pas moi qui franchissais la distance, mais le lieu qui soudain changeait. J'étais dans une des cours, puis soudain dans une autre cour, puis tout au long d'un corridor, dans d'autres cours encore et dans d'autres corridors, puis descendant un escalier, me retrouvant dans une autre cour

et songeant que je lisais une phrase de Kafka, une phrase de Kafka qui n'en finissait plus dans un livre de Kafka que je n'en finissais plus de.

Comme j'interrogeais la jeune femme aux cheveux courts sur le pourquoi de sa présence, elle me fit remarquer que c'était là où elle vivait. Comme c'était là aussi que j'avais coutume de demeurer, j'en conclus que nous vivions ensemble. Je ne m'étonnai donc pas de sa présence dans le corridor, et de sa familiarité avec le Palais, que, manifestement, elle aussi hantait.

Me faisant ces réflexions, je vis que la jeune femme aux cheveux courts se tenait devant une porte ; peut-être était-elle le Sphinx ? Comme si elle lisait dans mes pensées, elle rit : « - Tu ne reconnais donc pas ta Zut », dit-elle, « ai-je vraiment l'air d'un Sphinx ? » (Hilarité générale, sans que je puisse savoir qui exactement riait.)

« - Mais tu n'as pas tout à fait tort. D'ailleurs, je vais te poser une énigme », me dit-elle. « Qui est celui qui tarde toujours devant la porte et qui n'est pourtant pas un étranger ? »

Comme l'adjectif « inexplicable » se présentait à mon esprit, une végétation folle avait rempli les couloirs, dérobé les escaliers, avalé les cours et au loin surgit un train aux vitres jaune électrique. Il semblait venir de la ligne claire. Je compris qu'il fallait partir.

Restait l’inexplicable question. Je voulus soudain en savoir le fin mot. « Je ne t'ai posé cette question que pour éprouver ta sagacité », me répondit Zut (je la reconnaissais maintenant et j'étais soulagé qu'elle ne fût pas absente).

C'est sans doute celui qui ne devrait pas revenir et qui revient pourtant. Comme je lui faisais cette réponse, Zut dit : « Tu as raison, c'est le revenant. - Mais si c'est un revenant, pourquoi ne traverse-t-il pas la porte ?
- Parce qu'il est coincé dans une boucle de temps. Le fil s'est cassé, vois-tu, jamais il ne pourra rentrer. »

Restait cette inexplicable porte. Comme ce rêve se bâtissait au fil d'une poignée de citations tirées d'un volume de Kafka, cela me revint en mémoire : qu'expliquer l’inexplicable revient toujours à un fond de vérité inexplicable, disait une note de Kafka sur Prométhée.

«-  Mais Zut, pourquoi ne rentres-tu pas par cette porte ?
- Tu te trompes, ce n'est pas moi qui revient. Celui qui revient passe comme une ombre fuyante. Je n'ai jamais pu réellement le voir. Mais je sais qui il est. »

Alors, soudain, je me sentis trépassé.

Patrice Houzeau
Malo, le 14 février 2022.

 

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