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BREFS ET AUTRES
9 août 2023

DIE NIEMAND SPAART

DIE NIEMAND SPAART

Notes sur le film « Un soir, un train », de André Delvaux (1968).

« Un soir, un train », de André Delvaux (1968) commence par une chanson et un paysage enneigé qui défile parce que la caméra est dans le train qui roule le long des champs et des toits enneigés.
Il est question « d'entretenir la tombe, pour la Toussaint », dit une vieille dame à Mathias, interprété par Yves Montand.
Il y a un temps suspendu. Il vient après la question « - Vous n'avez pas encore d'enfants », posée par la vieille dame à Mathias (la réponse est « non »). Un temps suspendu. De vieilles personnes, des gens âgés. Qu'attendent-ils ?

Mathias enseigne à l'université. La linguistique. Son cours est interrompu. Grève des étudiants flamands. Allusion probable à « l'affaire de Louvain » (1967-1968) et aux manifestations des étudiants nationalistes flamands hostiles à la présence d'étudiants et d'enseignants francophones au sein d'une université située en territoire néerlandophone.
Dans le couloir, Mathias aide une étudiante à traduire du néerlandais au français un texte sur la mort.
« La mort qui n'épargne personne », nous la retrouvons ensuite, cette phrase sur une scène de théâtre. On y joue une pièce de la Renaissance « Elckerlijk ». La Mort s'adresse à Elckerlijk.
Mathias y rejoint Anne (interprétée par Anouk Aimée). Il est question du statut de la Mort : un personnage, la mort ? Un « écran entre le soi et le moi », comme le jargonne Mathias ? Ça, pour moi, c'est du pipeau ; du reste, Mathias y croit-il lui-même ?
Reste l'essentiel, la phrase dite par le comédien jouant la Mort qui me rappelle Nosferatu quand même un peu, ou la mort vue par Michel de Ghelderode, ou James Ensor : « Ik ben de dood die niemand spaart. »

Un pull mauve, un gilet noir, une chemise blanche, des huîtres, du vin blanc ; une musique de limonaire, de piano mécanique sur le point de se déglinguer, de fausser compagnie, un air à la défaire, la fête, un couple, une maison bourgeoise, des bougies, « A l'ange » (c'est le toast porté par Anne).
Mathias est un matérialiste, un homme du libre-arbitre, il mange ses huîtres et n'écoute pas Anne qui lui dit : « Tu n'y crois pas hein toi ».
On dit que « Un soir, un train » est un film sur l'incommunicabilité. J'en sais rien. Anne et Mathias ont-ils réellement des difficultés à communiquer ? Des mots, tout ça, des mots. Ceci dit, je suis mal placé pour répondre à cette question, car j'aime à grincer et à ironiser comme si c'était important, et j'entretiens d'assez bonnes relations avec la farine, les œufs, et le fromage râpé.
Après qu'ça cause qu'on est libre, et « intelligent, et lucide », mais bon là aussi ce sont des mots. La liberté, il y a des philosophies pour ça. Dans la vie courante, on est surtout libre de se faire avoir si on ne fait pas attention.

Dans le film, il ne fait pas beau, on voit ça quand ils sont dans le bus en ville. On dirait qu'il pleut. Après, le bus file dans la campagne qu'a l'air brumeuse. On entend des coups de feu. Des chasseurs. Forcé qu'on pense à des troubles qui pourraient éclater, un jour ou l'autre, entre nationalistes des deux camps.
Bon. Dispute. C'est que la française Anne a peur de se retrouver seule dans une province où elle n'est pas forcément bien vue, sans amis, sans enfants (la belle affaire!).
Cimetière. La mort encore.
Le vivant ne retrouve pas ses morts.

Le train. Des gens. Mathias est rejoint par Anne, c'est une surprise. Une tentative. Un retour. Un couple, ça s'arrange.
Il est question de Rotherhite, un quartier présenté par un ami de Mathias comme étant l'un « des plus sinistres de Londres ». Il est question aussi de Harry Dickson et donc de Jean Ray (autre grand fantastique belge).
Il y a ce que l'on devrait transmettre et que l'on ne transmet pas. L'humain est un passeur lunatique.
Il y a du silence. Le film est pourtant plein de bruits (celui du train, de sirènes diverses, de cris d'enfants, et cela dès le début, à tel point que l'on a du mal parfois à saisir certaines répliques).
Incommunicabilité ? Bah oui. Du coup, dodo et cauchemar. Sonneries, rouge, flammes (celles de l'enfer?).

Debout les morts. Le train roule. Anne a disparu. Un professeur de linguistique. Un historien des religions à la retraite. Un étudiant. Ils sont trois à être descendus du train arrêté ils ne savent où, pis qui repart, les laissant là dans le on ne sait où.
Ils se dirigent vers un village. On entend de l'orgue comme dans les films d'épouvante, tandis qu'ils traversent une grande étendue humide, vaseuse, désolée. Terre gaste (« espace inhabité qui ne vaut rien pour la culture » dit Internet).
On est à la moitié du film. La nuit tombe. Une lumière au loin.
« On croit toujours qu'on peut tout arranger », dit l'historien des religions.
Après, défois, on n'arrange que ce qui nous arrange, les autres n'ont qu'à s'arranger. Que voulez-vous, ça ne nous arrange pas toujours d'être dérangé. Il y a du jazz. Après, bien sûr, il n'y a personne à vot' enterrement. On s'en moque puisqu'on est dans la lettre de licenciement définitif.
Il y a des réflexions sur la mort, le destin, la prédestination, le pourquoi de l'arrêt du train, tout ça. On dirait, ce film, la transposition d'un cours de philo.

Sont dans la nuit, trouvent un village.
Une autre sonnerie. Une projection de cinéma. Des humains dans le ciel. Du vol libre. Cela fait écho à ce que citait Anne dans la première partie du film sur « les plaines du ciel, là où nous devons tous nous retrouver. »
On ne parle ni flamand, ni français dans ce village, mais une langue qui n'a pas du tout l'air d'être romane. Le linguiste ne la comprend pas, en tout cas.
Un hôtel. Du jazz. On ne peut pas téléphoner. Personne ne comprend personne. Les trois hommes sont attablés et servis. Le vin est bon. Le repas copieux.
Parfois, on la reconnaît. Moïra (la destinée).
L'historien des religions la reconnaît ; étrangement, le linguiste ne la reconnaît pas. Ce qu'il reconnaît, c'est la fascination, et cela soudain le panique, le met en colère, le révolte.
Dans les dix dernières minutes du film, l'étudiant fait le pari qu'il « va tout savoir », élucider l'énigme. Dissiper le surréalisme du machin. Après le jazz et la musique d'ambiance, la danse, la danse étrange. Intense. Barbare. Etrangère. Fascinante la jeune fille, une serveuse de l'hôtel, elle s'appelle Moïra, comme dans une nuit rhénane d'Apollinaire. Fascinante, la musique genre le « High Horses » du groupe The Residents : limonaire, percussions, un drôle de souffle. Tout le monde danse. Tout un tas de gens soudain. L'étudiant est fasciné par la jeune fille. C'est qu'il croit à la prédestination, en Moïra, au « tout est écrit, je ne cours donc aucun risque », a-t-il dit dans la nuit. Sifflement d'un train. Tout le monde file, précipitamment.

L'énigme est élucidée. Je ne vous en dis rien. Il faut voir ce film : « Un soir, un train », de André Delvaux.

Patrice Houzeau
Malo, le 9 août 2023.

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