EN UN CERTAIN VILLAGE D'ECOSSE QUE JE NE HANTE PAS
EN UN CERTAIN VILLAGE D'ECOSSE QUE JE NE HANTE PAS
1.
« l'échiquier sali des fenêtres avec son enseigne HÔTEL DE BELGIQUE »
(Julio Cortazar traduit par Laure Guille-Bataillon, « Manuel d'instructions » in « Cronopes et Fameux » )
Ce bout de phrase donne-t-il à penser :
- Que Julio Cortazar a tenté d'écrire un roman de Simenon à la place de Simenon
- Que Julio Cortazar a tenté d'écrire un roman de Robbe-Grillet tentant d'écrire un roman de Simenon
- Que Julio Cortazar a décidé d'écrire une longue phrase qui se termine par l'emploi des mots « échiquier » et « Belgique », évoquant ainsi dans l'esprit du lecteur les échiquiers des toiles des peintres surréalistes belges, mais avec bien du temps qui a passé sous les ponts où nul tuba désormais ne joue plus pour la flamme des girafes ?
2.
« Et ce n'est pas si mal au fond que les choses nous retrouvent tous les jours et soient les mêmes. »
(Julio Cortazar, « Manuel d'instructions »)
Cette phrase est-elle :
- Fataliste et reconnaissante
- Fataliste et ingrate
- Fataliste et gratinée
- Consolante comme l'écoute d'un vieux disque de rock n' roll qu'on aimait tant, qu'on était môme
- Consolante comme un verre de bière ?
3.
La littérature est-elle :
- une explication du réel ?
- une invention du réel ?
- une élucidation du réel ?
- une élucubration du réel ?
- une contradiction du réel ?
- un trouble du langage ?
- une complication du réel ?
- une hyperbole du réel ?
- une simplification du réel ?
- une stylisation du réel ?
- une alchimie ironique ?
- une approche d'Almotasim ?
- un double du réel ?
- une consolation ?
- un « Ceci n'est pas une pipe » fumée par « Je est un autre » ?
4.
« Si vous entendez (mais cela ne se produira que plus tard) quelque chose comme un paysage plongé dans la peur, avec des feux entre les pierres, avec des silhouettes à demi nues et accroupies,... »
(Julio Cortazar, « Instructions pour chanter »)
Ce début de phrase signifie-t-il :
- qu'on peut entendre un paysage comme on entend se révéler quelque chose ?
- qu'on peut entendre un paysage à la condition qu'il soit plongé dans « la peur, avec des feux entre les pierres, avec des silhouettes à demi nues et accroupies » qu'on dirait une scène tirée du « Providence », d'Alain Resnais, ou de « Black Moon », de Louis Malle, ou de « Un Soir, un train », d'André Delvaux.
- Qu'on peut entendre un paysage, mais aussi, nous dit Cortazar : « une saveur de pain, un toucher de doigt, une ombre de cheval », un « fleuve », ce qui est moins angoissant.
5.
« En un certain village d’Écosse, on vend des livres avec une page blanche glissée au milieu des autres. Si un lecteur débouche sur cette page quand sonnent trois heures,... »
(Julio Cortazar, « Instructions-exemples sur la façon d'avoir peur »)
Qu'arrive-t-il alors au lecteur ?
- il se transforme en statue ?
- Il se met à aboyer « bien au-delà du dernier réverbère » ?
- une brosse à dents tombe amoureuse de lui, et c'est bien embêtant.
- Il s'effeuille ?
- Il est attaqué par un bracelet-montre surgi de nulle part ?
- Il s'interloque en apercevant, « dans la pénombre, sous le bureau, les jambes et les bas de femme » que porte son médecin ?
- Il meurt.
Remarque : Les lecteurs de Julio Cortazar reconnaîtront les emprunts et les détournements.
Patrice Houzeau
Malo, le 11 septembre 2023.