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BREFS ET AUTRES
baudelaire
27 février 2023

GRATTAGE CHARBONNAGE LABYRINTHE

GRATTAGE CHARBONNAGE LABYRINTHE

1.
« Maintenant ce n'est plus qu'un lopin de terre, un tout petit lopin sur une tête d'aiguille.
Quand je l'aperçois, je me gratte avec. »
(Henri Michaux, « Déchéance »)

2.
Le verbe « gratter » a des ancêtres partout : le latin médiéval « cratare », le vieux francique « kratton », le vieil allemand « kratten », l'allemand « kratzen », l'anglais régional « scrat », le suédois « kratta ». le verbe « gratter » me rappelle que dans la vie on est bien obligé, plus ou moins souvent, « d'aller se gratter », avec ou sans lopin de terre, rapport à ce que le réel a une fâcheuse tendance à ne pas nous donner ce que nous voulons. Pour avoir ce que l'on veut, il faut charbonner. Le législateur et l'administration ont pour objet de fixer les limites du grattage et les cadres du charbonnage. J'en conclus que notre existence se situe donc entre ces deux pôles du grattage et du charbonnage. Remarquez que cela n'empêche pas d'aimer la cornemuse.

3.
« Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde »
(Baudelaire « Le mort joyeux »)

« Et » est une conjonction de coordination et figure donc dans la célèbre liste mnémotechnique « mais, où, et, donc, or, ni ,car ». On ne se le demande d'ailleurs pas. Si la conjonction « et » s'avère fort utile pour relier des mots et groupes de mots, en tant qu'épluche-légumes, elle est parfaitement inopérante.

4.
Je lis sur internet ce titre « Inflation : le spectre d'une France à deux vitesses ». Je ne doute pas en effet que l’État finisse par trouver une façon de taxer les fantômes qui, de plus en plus nombreux, hantent les rues.

5.
« Quelle femme aux pieds nus, une chandelle à la main, nous fait ainsi la suivre à travers les corridors du labyrinthe ? »
(Frédérick Tristan, « L'Obsédante », le Cherche-midi, 1992, p.55)

Comme on sait, le mot « labyrinthe » désigne dans la mythologie grecque une série de galeries construites par l'architecte Dédale pour y enfermer le Minotaure » (je cite Wikipédia). C'est dire si le labyrinthe peut être nuisible à la santé. On évitera donc de s'encombrer d'un labyrinthe, ainsi que de s'engager dans des conduites labyrinthiques. La réduction des labyrinthes est d'ailleurs un problème qui préoccupe le législateur. Cela ne l'empêche pas de se perdre dans le dédale des lois, des réglementations, des réformes et des nécessités électorales. Les spécialistes du labyrinthe s'appellent « technocrates ». Certains de ces technocrates sont des architectes frustrés, voire des minotaures refoulés. Certains se prennent pour Thésée, ou pour Ariane, ou pour Icare. Ils n'ont pas tous pour emblème la « tête d’œuf » et cherchent souvent à faire porter les cornes à quelqu'un.

6.
La Chine et la Russie sont des pays lointains qui auraient tendance à se rapprocher.

7.
Il y a une dizaine d'années, on disait que l'Asie, de par ses dynamiques démographiques et économiques, dominerait bientôt le monde. On voyait cela comme un domination essentiellement économique et on s'en faisait une raison. Maintenant que cette domination pourrait se faire aussi par les armes, évidemment, c'est une autre histoire.

8.
« Le poids du raisin modifie la position des feuilles. »
(René Char, « Migration »)

Je lis sur Wikipédia que « la forte teneur en sucre » du raisin « peut, avec le temps, entraîner une cristallisation ». Si vous plongez le raisin dans un liquide (de l'eau bouillante par exemple), le sucre se dissout . Si vous le plongez dans la foule, le raisin disparaît écrasé. Si vous le plongez dans la lecture, il tache les pages. Mais vous pouvez le manger, cependant que certains bouquins sont indigestes et que la foule, comme dit la chanson de Jacques Brel, vous « grignote comme un quelconque fruit ».

9.
Je n'ai jamais entendu parler de cette histoire de grappe de raisin invisible qui se serait enfuie d'un laboratoire.

D'une manière générale, le raisin n'est pas plus invisible que la pipe de Maigret ou la vilenie de Poutine. Le raisin sert à faire du vin ; la pipe se fume ; Poutine massacre.

Patrice Houzeau
Malo, le 27 février 2023.

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17 février 2023

CHORUS VOLTIGES A DEUX BALLES BANANE

CHORUS VOLTIGES A DEUX BALLES BANANE

1.
Le narrateur Suelien note que le toucan est ainsi nommé « parce qu'il est un oiseau bruyant ». Exact. Et il en est de même pour le tohu-bohu bigarré (appelé aussi tohu-bohu des péninsules démarrées) et aussi de l’hurluberlu hurleur (appelé aussi hurluberlu potchük).

2.
Souvent, pour m'amuser, je feuillette Baudelaire,
Pour y trouver – les Fleurs du mal -, des trésors ;
S'amuser avec, quelle drôle d'idée Baudelaire,
Les vers à Baudelaire ont souvent ce goût bizarre et fort,
Hommes, que vous cherchez dans des ailleurs
D'équipage, ce goût de parfum qui revient et qui plaît à mon cœur.

3.
« Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue »
(Baudelaire, « Brumes et pluies »)

Dans cette grande plaine,
Cette grande plaine – j'la vois pas, j'suis en ville -,
Grande grande à couvrir des milles et des milles,
Plaine ô plaine et pourquoi donc que j'écris Plaine ô plaine ?
Où je suis, c'est bar-tabac commerces casino, mais il y a la mer ;
L'autan, qu'on dit « vent du diable », ici, - c'est le Nord -, ne s'y perd ;
Froid cet autan là, écrit Baudelaire, d'cet autan, qu'en faire ?
Se dire « Plaine ô plaine » et puis quoi, c'est rien du tout, je
Joue, voyez-vous, je joue, je.

4.
Lu « Les Cavaliers de la pyramide », de Serge Brussolo (2004). Du très bon roman d'aventures antiques. L'adolescente aveugle qui déchiffre et qui entend. L'ogresse géante, l'héroïne de l'histoire - terrible maîtresse ! Ankhnoût, « servante de la nuit et magicienne ». Les pièges de la pyramide engloutie. Bêtes féroces et prêtres fanatiques. D'instructives notes de bas de page. Des petits bonheurs d'écriture. Je garde et relirai.

« Comme l'indiquait l'obélisque il fallait gagner la montagne de l'Homme triste. C'était là que commencerait la chasse aux cris d’oiseaux. »
(Serge Brussolo, « Les Cavaliers de la pyramide »)

5.
Ai commencé la lecture de « Armaggedon Rag », de George R. R. Martin, traduit par Jean Bonnefoy (« La Découverte Fictions », 1985). Le pavé à 400 pages. Heureusement que je sais ce que c'est qu'un roman de genre, donc je saute des trucs. Pour l'instant, elle me plaît, cette histoire qui commence façon roman policier (l'impresario d'un groupe de rock retrouvé assassiné pis sans cœur, un bar qui flambe, un écrivain enquêteur mélancolique,...) sur fond de nostalgie, de contre-culture et pop/rock américaine de la fin des années 60. Très « il y a un film à faire » là, et le défi de rendre compte de l'intensité d'une musique par des mots (ah les critiques de disques des « Best » et « Rock & Folk » des années 70!).

Citation :
« Il y avait cinq albums, classés entre les Mothers of Invention et les News Riders of the Purple Sage. Les pochettes lui étaient aussi familières que les traits d'un vieil ami, tout autant que les titres. »
(George R. R. Martin, « Armageddon Rag »)

6.
Si ! C'est cité ! Ne sois donc point aveugle !

7.
Comme c'est bas, Lise... N'as-tu donc plus aucune borne ?

8.
Tiens, bois, car à bistouille, bistouille et demi (pression, s'il vous plaît!).

9.
Là, je n'ai plus de mots. Râle que je. Oui. C'est que ça vous en fiche un coup.

10.
Ce roman est si mauvais que c'en est à – pouh ! -, hu ! Lu... laid !

11.
« C'était une nuit où une chouette aurait pu hululer. »
(Haruki Murakami, « 1Q84 », Livre 3)

C'était hier Je m'en souviens, puisque je n'étais pas là.
« Une Banane dans l'oreille », c'est pas un titre de la série des San-Antonio ?
Nuit, - grave ! Je n'ai pas vu le temps
Où ai-je mis mon rhinocéros ?, demande la pièce si vide soudain, sans conjecture aucune.
« Une Banane dans l'oreille » est bien un titre de la série des San-Antonio ; c'est même le 94ème, et il date de 1977.
Chouette j'ai du café du sucre (en poudre) du tabac à rouler du beurre (demi-sel) de la farine du râpé des œufs des oranges du pain des tas de bouquins la radio un toit la mer et quelques fantômes.
Aurait-il écouté s'il n'avait pas eu une banane dans l'oreille ? Il aurait
Pu mais il n'a pas voulu il préfère écouter dans sa tête la chouette
Hululer pour l'ambiance tandis qu'il ouvre avec gourmandise « Malpertuis », de Jean Ray.

12.
Au tel
A l'hôtel
Miss x
Fait du x

Au tel
A l'hotel
Miss x dit que ça la broute
De faire du x pour gagner sa croûte

Elle préférerait faire du vélo
Aller au zoo manger des gâteaux
Avoir les bons numéros du loto

Plutôt que d'allumer le pigeon
Mais comme elle a besoin de ronds
Au tel à l'hôtel Miss x fait du x et évoque son con.

Patrice Houzeau
Malo, le 17 février 2023.

6 février 2023

SED NON SATIATA VIRTUOSITE COQUINE

SED NON SATIATA VIRTUOSITÉ COQUINE

1.
Peut-on adorer une « bizarre déité » ? N'est-ce pas le bizarre qui adore le bizarre ? La « brune comme les nuits » rappelle le tabac brun qui brûle les jours, et le café qui blanchit les nuits. Jeanne Duval aussi.

Fantômes invisibles, les parfums. Aussi exotiques que des spectres hantant un rayon de supermarché. C'est quand ils vous reviennent du passé qu'ils sont autrement troublants. La chambre que l'on rouvre après l'absence. Baudelaire a raison, des mondes s'ouvrent dans les parfums.

Distrait, l'universitaire qui mit en note de bas de page que dans le vers « Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane », « obi » signifie, je cite : « Longue et large ceinture de soie japonaise » (cf « Les Fleurs du Mal », Folioplus classiques).

Citons plutôt Pétrus Borel qui, en 1833, dans « Champavert » a noté que « le mot obi désigne doublement la magie et le magicien », lequel est un sorcier africain. Ainsi, la femme désirée est-elle création magique autant que source d'envoûtement, « sorcière ».

« Œuvre » ; « Faust » ; « Sorcière » ; « enfant ». Cercle. Des « nuits » aux « minuits ». Correspondances. Des lointains aux parfums. Parallélisme : 4 hémistiches, 4 noms, 4 compléments du nom.

« Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum mélangé de musc et de havane,
Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits, »
(Baudelaire, « Sed non satiata », 1er quatrain)

2.
« constance », « opium », « nuits » : promesses d'ivresses. Rythme régulier du vers « L’élixir de ta bouche où l'amour se pavane », ternaire qui se poursuit dans l'hémistiche suivant : « Quand vers toi mes désirs », pour s'ouvrir sur le « a » de la forme « partent » et l'assonance « caravane ». Salive, cet élixir ? Peut-être. Des « yeux citerne(s) » (!) ; sont-ils grands ? Humides ? Pluvieux ? Larmoyants ? Ah, c'est pas la chanson de corps de garde, la cocasse à digue du cul.

Les « ennuis », qui font le spleen du narrateur baudelairien, délaissent ainsi les vins et l'opium pour boire à la bouche et aux yeux d'une, puisque l'amour s'y « pavane », appelons la « belle d'orgueil ». Fluides.

« Je préfère au constance, à l'opium, au nuits,
L’élixir de ta bouche où l'amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis. »
(Baudelaire, « Sed non satiata », second quatrain).

3.
La nuit dans ses yeux, la belle à soupirail. Une cave donc, un souterrain, un lieu caché, propice au « démon sans pitié ». C'est que la beauté baudelairienne est impitoyable (« Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques » écrit Baudelaire dans « Hymne à la Beauté ») et relève plus de la « flamme » infernale que de la « pitié » chrétienne.

Cultivé, Baudelaire qui se rappelle des « Amours » d'Ovide :

« exigere a nobis angusta nocte Corinnam
me memini numeros sustinuisse novem »
(« Amores », Livre III, élégie VII)

« et, pressé par Corinne, j'ai pu, je m'en souviens, soutenir neuf fois l'assaut dans une courte nuit » (traduction, cf Philippe Remacle).

Faudrait-il être le Styx lui-même, le fleuve des enfers, pour satisfaire « neuf fois » la sorcière, la démone, la Jeanne Duval puisqu'on dit que c'est à elle que pensa le poète en composant cette virtuosité pour femme brune. Moi, j'en sais rien. Le titre expliqué : « Sed non satiata » (« mais non satisfaite »). Coquin.

« Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
Ô démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme ;
Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois, »
(Baudelaire, « Sed non satiata », 1er tercet)

4.
Mis en valeur du « Hélas ! ». C'est qu'il n'est pas, c'est qu'il ne peut. « Mégère libertine » sonne comme un oxymore. Le narrateur est-il effrayé par les exigences de la belle ? La Messaline est-elle trop salée ?
C'est que le narrateur n'a pas l'énergie pour soumettre la démone au rythme régulier de ses reins, « Pour briser / ton courage / et te mettre / aux abois ».
A moins d'être Proserpine (rime coquine avec « libertine »), la jeune fille enlevée à l'amour de la nymphe Cyané par Pluton, le dieu des Enfers, dont elle devint l'épouse.

L'assonance « i », la régularité ternaire des vers 13 et 14, le point d’exclamation final soulignent la tonalité humoristique du sonnet. Virtuosité. Auto-dérision. Superbe.

« Hélas ! et je ne puis, Mégère libertine,
Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine ! »
(Baudelaire, « Sed non satiata », second tercet).

Patrice Houzeau
Malo, le 6 février 2023.

6 février 2023

SOTTISES EN FEUILLETANT LES FLEURS DU MAL

SOTTISES EN FEUILLETANT LES FLEURS DU MAL

1.
Ce ne sont ni salsifis ni saladiers que souvent, pour s'amuser, prennent les hommes d'équipage car ni salsifis ni saladiers ne poussent sur les bateaux. Les albatros non plus. Par contre, les trois caravelles de Christophe Colomb avaient pour nom la Santa Maria, la Pinta, la Niña. Pour faire le « n » avec tilde sur un clavier AZERTY avec pavé numérique, il faut taper ALT + 164.

2.
« Sans cesse à mes côtés s'agite le Démon »
(Baudelaire, « La Destruction »)

Quand à vos côtés « s'agite le Démon », il se peut qu'il ait une trompette. Dans ce cas, il s'agit d'un démon trompettiste. Il se peut même qu'ironiquement, il vous joue « When the Saints Go Marching In ». Mais il n'y est pas obligé.

3.
« Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme »
(Baudelaire, « Le voyage »)

Quand vous partez, le « cerveau plein de flamme », vérifiez bien que vous avez vos ailes, vos griffes et vos naseaux en bon état. C'est utile lorsque l'on est un dragon. Par contre, si vous êtes employé du gaz, c'est parfaitement inutile, et même dangereux.

4.
« Mais les vrais voyageurs sont ceux-là qui partent
Pour partir ; cœurs légers semblables aux ballons »
(Baudelaire, « Le voyage »)

Si vous partez parce que vous avez entendu des voix dedans votre tête vous dire qu'il faut partir, alors c'est que vous avez un problème d'énonciation interne. Il ne faut pas croire tout ce que vous vous dites.

5.
« Et parfois en été, quand les soleils malsains »
(Baudelaire, « La géante »)

L'un des grands problèmes de l'été, c'est la recrudescence de « soleils malsains ». C'est pour ça qu'il faut partir avec votre temps de chien personnel (pluie, vent, voire un bon coup de vent, ça fait fuir les fâcheux). N'oubliez pas parapluie et imperméable, votre pipe et des romans policiers, ça passe le temps.

6.
« Tu contiens dans ton œil le couchant et l'aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ; »
(Baudelaire, « Hymne à la Beauté »)

Quel génie merveilleux que celui de Baudelaire, qui inventa la femme météorologique.

7.
« Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ; »
(Baudelaire, « Hymne à la Beauté »)

D'après Baudelaire, la Beauté marche sur des morts. A condition qu'ils soient bien raides, bien sûr. Parce que s'ils se décomposent, je crains que la Beauté se salisse les pieds. C'est pour ça qu'on les change tous les jours, les morts. Quant à la Beauté, bien sûr, elle s'en moque, n'ayant pas grand chose d'autre à faire, surtout si elle est un peu sotte.

8.
« Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux »
(Baudelaire, « Parfum exotique »)

J'en connais des qui, avec leurs « deux yeux fermés » là, ils ont à peine commencé leur tirade baudelairienne à la Marie, qu'ils ne l'ont pas vue arriver, la gifle.

9.
« J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats »
(Baudelaire, « La chevelure »)

Non, l'arbre qui se « pâme » n'est pas un pamier, et l'homme qui se « pâme » n'est ni forcément un palmé, ni un paumé. Par contre, c'est bien avec des pommes que l'on fait de la compote de pommes, que l'on mange avec du boudin noir et des frites.

10.
« Quand vers toi mes désirs partent en caravane »
(Baudelaire, « Sed non satiata »)

Avec vos désirs là, qui « partent en caravane », si votre aimé(e) se met à aboyer, c'est que vous pouvez passer votre chemin et retourner à la niche. Et si vous êtes du même signe que Lawrence d'Arabie, attention à la traversée du désert, aux embuscades, et évitez la moto.

Patrice Houzeau
Malo, le 6 février 2023.

7 janvier 2023

DU PUITS QUE L'HUMAIN CREUSE EN L'HUMAIN

DU PUITS QUE L'HUMAIN CREUSE EN L'HUMAIN

Notes sur le poème « L'Irrémédiable », de Baudelaire.

1.
De quoi parle-t-on ? D'une « Idée, une Forme, un Être ». l'imprécision évoque l'ontologie, la métaphysique, un autre monde, celui de « l'azur ». On n'est pas plus renseigné. Quelque chose plane, plane, et tombe. La Chute de l'Ange ? La chute du rebelle qui « tombe » ni dans la vallée des vivants, ni dans la demeure des morts, mais dans l'oubli du Styx, abandonné des puissances divines (« nul oeil du Ciel » n'y « pénètre »).

L'Ange en « imprudent voyageur ». Peut-on être imprudent quand on est un Ange ? Il faut pour cela que l'Ange soit « tenté », soit fasciné. Le narrateur baudelairien évoque « l'amour du difforme ». Le « difforme » ici compris comme le contraire de la perfection angélique. Se fascinant, l'Ange se corrompt et déchoit.

Évocation de l’expérience du cauchemar, dont on a du mal à se sortir. On s'y débat alors, comme un « nageur » dans les remous. Métaphore du cauchemar en océan, en lieu de noyade (le fleuve Styx). Effet visuel et sonore : le « gigantesque remous pirouettant dans les ténèbres », avec sa prise dans le cauchemar, sa victime qu'ça pirouette et vertige. Le bruit de ce « remous » évoqué par les sonorités à la rime « -eur », « -orme », « -èbres », « ou », rappelle les chansons des « fous » autant que le son du ressac.

« Une Idée, une Forme, un Être
Parti de l'azur et tombé
Dans un Styx bourbeux et plombé
Où nul œil du Ciel ne pénètre ;

Un Ange, imprudent voyageur
Qu'a tenté l'amour du difforme,
Au fond d'un cauchemar énorme
Se débattant comme un nageur,

Et luttant, angoisses funèbres !
Contre un gigantesque remous
Qui va chantant comme les fous
Et pirouettant dans les ténèbres ; »
(Baudelaire, « L'Irrémédiable », 3 premiers quatrains)

2.
Parti d'une Idée, d'une Forme, d'un Être, voilà l'humain, passant par l'Ange, « malheureux ensorcelé ». Ténèbres. « Tâtonnements futiles ». Image ; « un lieu plein de reptiles ». Serpent, symbole du Mal. Enfermement. Pour retrouver la lumière, nécessité de trouver une issue, la « clé ».

Par qui ou quoi l'humain « malheureux » est-il « ensorcelé » ? Le voilà « damné ». Le mot signale le maléfique. Dans les ténèbres toujours, « descendant sans lampe », « au bord d'un gouffre ». « D'éternels escaliers sans rampe » symbolisent cette descente aux Enfers.

Dans cette approche du gouffre, la vision est le sens le plus sollicité. Les ténèbres ne sont pas vides, mais peuplées de « monstres visqueux ». Du serpent, image de la présence du Mal dans le réel, on passe aux « monstres » indicibles, aux créatures surnaturelles. Lovecraft en peuplera le monde insinuant qui sans cesse déborde sur notre monde. Fascination : les « yeux de phosphore ». La fascination estompe l'en-dehors du fascinant. Le réel fascinant se substitue à tout autre réel.

Le choix de l'octosyllabe souligne la rapidité de la chute. Chaque quatrain est une marche de ces « escaliers sans rampe » qui signalent la chute. Au point se substitue le point-virgule : ni phrase, ni chute ne s'arrêtent. L'image est sollicitée : suite de miniatures qui rappellent l'art des graveurs. Tableaux où l'ombre est omniprésente, ne laissant apparaître que des fragments : nageur dans le remous, mains qui tâtonnent, yeux de phosphore.

« Un malheureux ensorcelé
Dans ses tâtonnements futiles,
Pour fuir un lieu plein de reptiles,
Cherchant la lumière et la clé ;

Un damné descendant sans lampe,
Au bord d'un gouffre dont l'odeur
Trahit l'humide profondeur,
D'éternels escaliers sans rampe,

Où veillent des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu’eux ;
(Baudelaire, « L'Irrémédiable », quatrains 4,5,6)

3.
Le navire de l'humanité ? Quelle galère alors ! Le voilà « pris dans le pôle ». Le « i » du navire se retrouve dans le « piège ». Aux ténèbres succède le « cristal », tout aussi emprisonnant. La cause en est complexe. Tous les chemins ne mènent pas à Rome. Ou alors c'est que le Diable est dans la Ville. L'humain est-il voué à se demander pourquoi il chute ?

Images évocatrices, à valeur « d'emblèmes ». L'irrémédiable, c'est l'aporie, la chute. Une plaisanterie diabolique. Une plaisanterie parfaite. Rime signifiante (« irrémédiable/ Diable »). La perfection du Mal (« le Diable fait toujours bien tout ce qu'il fait ! »). Perfection du Mal face à la perfection divine. Parce qu'il est le Mal, ses actions sont toutes aussi fondées en perfection que les actions de Dieu. Le Mal est fatalement maléfique comme le Bien est humainement bénéfique. En s'y opposant, Dom Juan prouve la puissance du Ciel. La forme « fait » commence et clôt le vers 32, la 8ème strophe et la première partie.

« Un navire pris dans le pôle,
Comme en un piège de cristal,
Cherchant par quel détroit fatal
Il est tombé dans cette geôle ;

- Emblèmes nets, tableau parfait
D'une fortune irrémédiable,
Qui donne à penser que le Diable
Fait toujours bien tout ce qu'il fait ! »
(Baudelaire, « L'Irrémédiable », quatrains 7 et 8)

4.
Verticalité de la chute ; horizontalité du « tête-à-tête ». Le cœur-miroir : introspection. Sombre humanité ; limpidité de l'évidence. L'introspection est un « puits ». Reprise de l'opposition entre le « clair » et l'obscur (« clair et noir »). L'image du puits permet celle de l'eau noire et de l'étoile qui s'y reflète. « l'étoile livide ». Signal spectral opposé au flamboiement du soleil. Un « phare ironique » (il n'éclaire pas l'océan, n'indique pas le port, mais le puits que l'humain creuse en l'humain). Cette introspection n'est pas un examen de conscience parfaitement catholique. C'est un « flambeau » froid, non celui de la grâce divine, mais des « grâces sataniques ». Cette lucidité soulage l'humain (il lève un doute) et est aussi une « gloire » : celle de la victoire du Mal, qui permet au narrateur baudelairien de justifier le trouble de sa conscience. Cette « idée », cette « forme », cet « être », cet « Ange » déchu, cet « ensorcelé », ce « damné », ce « navire prisonnier », c'est l'humain dès qu'il comprend qui il est. Sa puissance est dans la conscience qu'il a du Mal qui l'anime.

« Tête-à-tête sombre et limpide
Qu'un cœur devenu son miroir !
Puits de Vérité, clair et noir,
Où tremble une étoile livide,

Un phare ironique, infernal,
Flambeau des grâces sataniques,
Soulagement et gloire uniques,
La conscience dans le Mal ! »
(Baudelaire, « L'Irrémédiable », II).

Patrice Houzeau
Malo, le 7 janvier 2023.

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28 décembre 2022

L'AUTRE SCENE EST DEJA NOTRE SCENE

L'AUTRE SCENE EST DEJA NOTRE SCENE

Notes sur le sonnet « Le rêve d'un curieux », de Baudelaire.

1.
Le narrateur baudelairien s'adresse au lecteur, et le tutoie. Oxymore : « la douleur savoureuse ». Le narrateur cherche à exprimer la particularité, la singularité de certains sentiments. Simplicité de l’expression : « J'allais mourir » qui mêle la confidence au ton de conversation amicale des deux premiers vers. Qu'est-ce qu'une « âme amoureuse » ? Peut-être une âme pleine de désirs ? Et en quoi cette « âme amoureuse » serait-elle singulière ? Sans doute parce que ce « désir » qui l'anime est « mêlé d'horreur », qu'il est le lieu du « mal particulier », celui du fantasme et de la fascination morbide. N'est-ce pas le cas d'un grand nombre d'âmes ? Sinon, nous ne lirions pas tant d'histoires horrifiques. Est-ce pour en avoir la confirmation que le narrateur baudelairien, en le tutoyant, s'adresse au « lecteur », son « semblable hypocrite », ce « frère » ?

« Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire : « oh ! l'homme singulier ! »
- J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d'horreur, un mal particulier ;
(Baudelaire, « Le rêve d'un curieux », premier quatrain)

2.
Le vers 5 du sonnet ne comporte pas de verbe. Un état d'esprit ambivalent. Du reste, pas de rébellion, pas de refus de la mort (« sans humeur factieuse »). Accentuation ternaire évoquant le rythme régulier du sable qui coule, image du temps. La répétition de la dentale [t] évoque le tourment et souligne rythmiquement l’expressivité de l'adjectif « âpre ». C'est ici la septième syllabe qui sonne, comme un accord après une montée, et avant le relâchement de la séquence « et délicieuse ». Nouvelle expression de l'ambivalence : la « torture âpre et délicieuse ». Accentuation ternaire que l'on retrouve dans le vers 8 : le narrateur baudelairien se détache du monde au rythme du temps qui passe et qui rend l'attente toujours plus « âpre et délicieuse ». Diérèses à la rime, évoquant la subtilité, voire la préciosité, des sentiments qui animent le narrateur.

« Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse ;
Tout mon cœur s'arrachait au monde familier. »
(Baudelaire, « Le rêve d'un curieux », second quatrain).

3.
Le titre du sonnet est basé sur un jeu de mots. Une personne « curieuse » peut être un caractère original, mais aussi quelqu'un qui éprouve de la curiosité. La formule « avide du spectacle » rend possible cette interprétation. Mais si ça se trouve, je me goure, et je m'en fiche bien, car voilà. Le narrateur baudelairien se compare à un « enfant » et l'autre monde se tient sur une autre scène. Ce qui sépare l'enfant de cet autre monde, c'est un « rideau ». La vérité de l'autre monde ne peut être révélée au vivant, cet enfant irréfléchi. D'ailleurs, elle n'est pas « révélée » par de saintes écritures, mais elle « se révèle », quand le rideau se lève, ou plutôt quand il tombe. Virtuosité baudelairienne : le jeu des labio-dentales [f] et [v] dans le vers 11.

« J'étais comme l'enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle...
Enfin la vérité froide se révéla : »
(Baudelaire, « Le rêve d'un curieux », premier tercet)

4.
Un croche-pattes donc le réel s'arrêta. Je sais maintenant pourquoi ce poème me plaît. Un écho dans ma mémoire curieuse : le « J'étais mort sans surprise » me rappelle le « Il est mort sans surprise » de la chanson « The Partisan », de Léonard Cohen. Il est vrai que lorsque je suis tombé, il ne me semble pas que j'ai eu le temps d'être surpris. Et s'il y eut surprise, je ne m'en souviens pas. L'ambivalence des sentiments qui animait l'âme du narrateur est dissipée par la « terrible aurore ». Virtuosité encore, ces échos « mort / aurore », « sans surprise / terrible ». Après la pause à la rime, rejet de la forme « m'enveloppait ». Retour du ton de la conversation, de l'anecdote racontée (« - Eh quoi ! N'est-ce donc que cela ? », et le « a » comme exclamation ironique) pour finir sur l'énigmatique : « La toile était levée et j'attendais encore. » Le mort n'est donc pas mort, puisque cette révélation n'est qu'un songe. L'autre scène est déjà notre scène. L'autre scène n'est peut-être jamais que notre scène. Et il n'y a rien derrière le rideau.

« J'étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait. - Eh quoi ! n'est-ce donc que cela ?
La toile était levée et j'attendais encore. »
(Baudelaire, « Le rêve d'un curieux », second tercet).

Patrice Houzeau
Malo, le 28 décembre 2022.

26 décembre 2022

A QUOI SERT LA VIRTUOSITE BAUDELAIRIENNE ?

A QUOI SERT LA VIRTUOSITE BAUDELAIRIENNE ?

Notes sur le sonnet « La cloche fêlée », de Baudelaire.

1.
Baudelaire, « La cloche fêlée », 1er quatrain. L'hiver, faut avoir des consolations. L'amertume mêlée à la douceur, qu'il revendique le narrateur baudelairien. « Revendique » est-il bien le mot ? Comment l'auteur de « Parfum exotique » et de « A une dame créole » supportait-il l'hiver et ses « froides ténèbres » ? Le « feu » déclenche l'allitération « f » et la palpitation ternaire. Des « carillons » qui « chantent dans la brume » : étrange paysage sonore, masqué, au rythme régulier (2/4/2/4) d'une partition. La mémoire puise dans ses lointains. Où « s'élèvent-ils » « lentement » qu'on dirait des esprits suscités par les flammes (sont-ce les ombres sur les murs ?), ces « souvenirs lointains » ? Sinon dans sa propre hantise, où donc ? « Cloche fêlée » ? Sans doute : y a comme un « bruit » dans ce qui « chante » : la rime « hiver / s'élever ».

« Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume. »
(Baudelaire, « La cloche fêlée », 1er quatrain).

2.
Baudelaire, « La cloche fêlée », second quatrain. Les occlusives [k] et [g] rythment le vers 5 du sonnet. La séquence « gosier vigoureux » est efficace, résonnant comme les deux coups de cloche d'un rituel. Assonance « o » qui accompagne la métaphore cloche/être humain : « cloche », « gosier vigoureux », « bien portante », « soldat ». Eloge de la vieille fidélité de la cloche, assimilée à une sentinelle. Parallèle « vieillesse de la cloche / vieux soldat ». Assonance « i » dont la résolution se trouve dans le mot « cri » et qui apparaît tantôt assourdie (« Bienheureuse », « gosier », « vieillesse », « religieux », « vieux », « veille »), tantôt sonore, éclatante (« vigoureux », « Qui », « fidèlement », « cri religieux », « Ainsi »). Le son « i » : quel drôle de son pour une cloche ! Plus humain que métal, ce « cri ».

« Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente ! »
(Baudelaire, « La cloche fêlée », second quatrain)

3.
Baudelaire. « La cloche fêlée », les deux tercets. Rupture : irruption du « Moi » après l'éloge dans les quatrains du « bruit des carillons qui chantent dans la brume ». Opposition de l'occlusive [m] (« Moi, mon âme ») et de la constrictive [f] (« est fêlée »). Echo de cette « fêlure » dans le dernier mot du premier tercet : « affaiblie ». Moi, mon âme défois elle rame. Retour du son « i » à la rime. Plaintif le « i » quand il n'évoque pas le rire. Le verbe « peupler » suggère une humanité que la forme « veut » prétend affirmer.

Hyperbole du second tercet : l'âme devient un « blessé qu'on oublie / Au bord d'un lac de sang ». Reprise macabre de l'image du « vieux soldat ». Il « râle », le camarade laissé pour mort et qui ne s'appelle pourtant pas Guttu. Le sonnet a commencé par un tableau mélancolique et finit sur une vision d'horreur. Et ça, c'est parce que le narrateur baudelairien s’exagère. Le « chant » est devenu une « voix affaiblie » puis un « râle ». Virtuosité baudelairienne : le 13ème vers du sonnet est monosyllabique. Le poème se termine sur une accentuation ternaire et les sons « eur » et « or » ( « bord », « meurt », « morts », « efforts ») corrompant la netteté du chant de la « cloche au gosier vigoureux ». A quoi sert la virtuosité baudelairienne ? A mettre une distance entre le « moi, mon âme est fêlée » et le « blessé qu'on oublie ».

« Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie 

Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts. »
(Baudelaire, « La cloche fêlée « )

Patrice Houzeau
Malo, le 26 décembre 2022.

23 décembre 2022

L'INTELLIGENCE PLURIELLE DU MONDE

L'INTELLIGENCE PLURIELLE DU MONDE

Notes sur le sonnet « Correspondances », de Baudelaire.

1.
Baudelaire, « Correspondances ». Si la « Nature » est un « temple », à qui ce temple est-il dédié ? Quelle sacralisation, dis ! Personnifiée, immuable par la grâce de l'être, « temple ». C'est que qui quoi dont où, cette immanence ?

Des « vivants piliers » aux « confuses paroles . Des sibylles ? Le bruissement des feuillages ? De quoi s'imaginer des chœurs étonnants. Des rythmes hermétiques.

La « Nature » fourmillerait de « symboles », à en dresser des « forêts », seul mot de la première strophe se référant explicitement à la nature. Que « l'homme y passe » n'est guère étonnant, l'espèce humaine n'étant jamais qu'un passage dans on ne sait quoi d'ailleurs.

Ces « forêts » ont des yeux. Je pense que s'il y eut jamais quelqu'un qui revint d'une promenade dans une forêt à yeux, ce fut pour rentrer dans un asile d'aliénés, ou alors l'histoire des faits divers. Ce n'est pas l'humain qui contemple la Nature, mais la nature qui garde un œil sur le bipède qu'elle connaît aussi bien que si elle l'avait fait.

« La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers. »
(Baudelaire, « Correspondances », premier quatrain)

2.
L'assonance [on] et le mot « échos » au centre du vers. L'assonance [on] plonge le cercle du o dans la confusion. Echos, en effet : « profonde », « comme », « sons se répondent ».

Identité des contraires « nuit » et « clarté ». Evocation ternaire de la synesthésie : odorat, vue et ouïe ; différents sens participent à une même « unité », celle du monde sensible, du monde tel qu'il se présente.

« Parfums, couleurs, sons » : le champ lexical de la culture domine. Des mots éclatants, aux sonorités différentes, contrastant, aux référents précis, en opposition avec la confusion des échos lointains.

Baudelaire a-t-il voulu que son art rivalisât avec la musique ? Si dans la nature cette unité préexiste, « ténébreuse » et « profonde », c'est l'art qui lui donne son sens.

« Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comma la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
(Baudelaire, « Correspondances », second quatrain)

3.
Baudelaire prend l’exemple des parfums. Certains de ces parfums ont la douceur du son des hautbois, la fraîcheur des enfants et du vert des prairies.

Le « mot » prairies » et les mot « forêts » sont les seuls mots du sonnet se référant réellement à la nature. Ambiguïté des parfums « corrompus », puissance et richesse d'un monde infiniment divers et irréductible. « expansion » : diérèse précieuse. Le dernier vers traduit l'union de « l'esprit et des sens », du corps et de l'intelligence dans l’exaltation et la synesthésie des parfums chantants.

« Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants, 

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens. »
(Baudelaire, les deux tercets du sonnet « Correspondances »)

Note : Je vois dans le sonnet des « Voyelles », de Rimbaud, un écho au sonnet des « Correspondances ». Baudelaire éclaire, démontre, illustre. Rimbaud, en associant sons et couleurs en une suite d'images originales, rappelle que le monde n'en reste pas moins étonnamment hermétique, étrange, bizarre, aléatoire. La fascination n'en reste pas moins.

Patrice Houzeau
Malo, le 23 décembre 2022.

19 décembre 2022

LE POETE SUIT SA METAPHORE

LE POETE SUIT SA METAPHORE

Notes sur le sonnet « Le flambeau vivant », de Baudelaire.

1.
Baudelaire, « Le Flambeau vivant ». Des « Yeux » qui « marchent », avec majuscule et majesté (enfin, ça je ne sais pas). L'Ange aimanteur. - Il est menteur, l'Ange ? - Non, l'Ange aimante ; il est magnétique. - Ah !...

Et s'il est savant, l'Ange, et si les yeux sont « pleins de lumières », ça doit être celles de l'intelligence. Les Yeux sont « frères » (et même jumeaux, dis). Le narrateur baudelairien en est tout fasciné fraternel itou.

Est-on dans l'affinité élective, l'âme sœur, puisqu'ils sont « frères » ? Et comme ils étincellent les frères Mirette-là, ils jettent partout des « feux diamantés ». C'est précieux, hein ? Alchimique.

« Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,
Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés ;
Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,
Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés. »
(Baudelaire, « Le flambeau vivant »)

2.
Les Yeux, dont cause le narrateur baudelairien, sont-ils des anges gardiens ? Non seulement, ils « marchent », mais ils « conduisent ». Le narrateur baudelairien n'a plus qu'à les suivre, ces guides lumineux.

Sur un rythme ternaire, « la route du Beau ». Absolument. Les Yeux sont-ils des « serviteurs » ? Peut-on être « l'esclave » des Yeux ? Sans doute qu'un voyeur compulsif est l'esclave de ses yeux et de qu'il y a derrière.

« Tout mon être obéit » : exister, n'est-ce pas « obéir de tout son être » à une « volonté de puissance », à une énergie vitale qui nous anime et nous dépasse ? Cette énergie vitale est-elle exprimée ici par la passion amoureuse et la préciosité poétique ? Et si c'était une métaphore, ce qu'il suit, le narrateur baudelairien. Il croit tomber amoureux d'une femme, il se fascine pour une figure de style. La métonymie, dans le genre fascinant, c'est-y contagieux ?

« Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,
Ils conduisent mes pas sur la route du Beau ;
Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ;
Tout mon être obéit à ce vivant flambeau. »
(Baudelaire, « Le flambeau vivant »)

3.
« clarté mystique » des cierges et des Yeux. Une « flamme fantastique ». Le «Réveil » contre la « Mort ». La personne qui a ces yeux-là, serait-ce une surnaturelle ? Une voyante ? Une hypnotiseuse ? Une fascinatrice ? Les Yeux ne sont pas seulement marcheurs, ils chantent aussi, en duo donc. Et s'il y a plusieurs personnes, ça fait un chœur d’yeux chanteurs :

« J'ai des yeux, de beaux yeux,
des yeux noirs, des yeux bleus !
Je les vends deux par deux
achetez-moi mes yeux ! »
(Jules Barbier, livret de « les Contes d'Hoffmann », de Jacques Offenbach, Acte II, [Coppélius]).

Miroir, chiasme : « le soleil rougit » ; « vous chantez le Réveil » ; « en chantant le réveil » ; « Astres dont nul soleil ». Et dans toutes ces luminosités astrales, la répétition du mot « flamme ». C'est qu'ils se regardent. C'est qu'ils se reflètent.

Et comme elle marche devant, c'est qu'elle doit se retourner. Et lui, de la regarder, avec l'air qu'il prenait dans ces cas là, et que je ne puis connaître, puisque ça fait belle lurette que le poète et sa muse sont morts avant que je sois né.

« Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique
Qu'ont les cierges brûlant en plein jour ; le soleil
Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique ;

ls célèbrent la Mort ; vous chantez le Réveil ;
Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,
Astres dont nul soleil n'a pu flétrir la flamme ! »
(Baudelaire, « Le flambeau vivant »)

Note : A y songer, un tel titre, quelque analyste entiché de psychanalyse pourrait le lire ainsi : « Flan, beau vit, vent », et y voir l'inconscient du poète récusant ce que vous voulez. Mais à mon avis, c'est du vent.

Patrice Houzeau
Malo, le 19 décembre 2022.

 

16 décembre 2022

UN MONSTRE DELICAT AH C'EST BIEN VRAI ÇA

UN MONSTRE DELICAT AH C'EST BIEN VRAI ÇA

Notes sur le poème « Au lecteur » de Baudelaire.

1.

Dans « Au Lecteur », qui ouvre le recueil « Les Fleurs du Mal », Baudelaire commence par dire ses quatre vérités à l'humain que nous sommes :

« La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,

Occupent nos esprits et travaillent nos corps,

Et nous alimentons nos aimables remords,

Comme les mendiants nourrissent leur vermine. »

(Baudelaire, « Au Lecteur »)

Bien sots nous sommes. Bien dans la gourance. Le mal, et pas généreux. Tout ça à brouiller nos cervelles, à agiter nos corps comme on s'agite, pantins. Pis, nos sacs à remords, comme on les gonfle ! Ils en grouilleraient comme la « vermine » sur les « mendiants » ou la soldatesque russe sur le corps de l'Ukraine.

2.

Dans la deuxième strophe, entêtés nous sommes, ne nous repentant que contraints, et avec bien du temps et des ratiocinations. Pis tout « bourbeux des « chemins » (ah est-ce ainsi que les hommes vivent ? Pouah : dégoûtation!). Cupides, nous versons des larmes de crocodiles.

« Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;

Nous nous faisons payer grassement nos aveux,

Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,

Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. »

(Baudelaire, « Au lecteur »)

3.

Le narrateur baudelairien ne fait pas dans l'éloge de l'humain. Non. Ah non alors. Comparaison du « mal » avec un « oreiller » et évocation de « Satan » qu'il précise « Trismégiste », car il serait en fait Hermès, et même en fait Thot, et même en fait et si ça se trouve, « An Ancient Astronaut », vu que Trismégiste, il est plus Hermès, et donc plus Thot, que The Big Cornu.

« Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste

Qui berce longuement notre esprit enchanté,

Et le riche métal de notre volonté

Est tout vaporisé par ce savant chimiste. »

(Baudelaire, « Au lecteur »)

4.

Serions-nous les fantoches à ficelles du Diable ? Eh bin, faut pas être dégoûté. On descend plus qu'on ne monte. Défois, quand on fréquente l'humain, trop humain, faudrait se boucher le nez. Napoléon, dit-on, en plus qu'il a quand même fait massacrer un tas de pauvres gens, avait peu d'hygiène. Ça n'empêche d'ailleurs ni son génie militaire, ni son talent de réformateur.

« C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !

Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;

Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,

Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. »

(Baudelaire, « Au lecteur »)

5.

Il est question ensuite d'une « antique catin », ce qui pousse à l'allitération macabre : L'antique catin, à cause d'une sclérose en plaques, décline, et comme l'antique catin est aussi alcoolique, elle décline d'autant plus vite. D'autres antiques catins ont des coliques néphrétiques ; d'autres collapsent en psychiatrie ; d'autres, hydropiques, hémiplégiques, paralytiques ; d'autres, confinées dans des appartements glacés, claquent seules et malodorantes.

Pis qui c'est-y qui s'tape un « plaisir clandestin » ? Et pour qui qu'elle est, la « vieille orange » ?

« Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange

Le sein martyrisé d'une antique catin,

Nous volons au passage un plaisir clandestin

Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. »

(Baudelaire, « Au lecteur »)

6.

Du démon dans nos têtes façon vers grouillants (les « helminthes ») et « la Mort dans nos poumons » (les méfaits du tabac ? de la pollution ?). Nous sommes victimes d'un « fleuve invisible » (ah tiens, revoilà le covid). « De sourdes plaintes » : celles des possédés ?

« Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,

Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,

Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons

Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. »

(Baudelaire, « Au lecteur »)

7.

Qu'tout ça ne finisse pas en guerre civile et en épouvante à massacres semble étonner le narrateur, c'est qu'en son 19ème siècle, il ne pouvait pas se douter des horreurs qui allaient agiter le siècle 20 ; le 21, avec Poutine et sa sale guerre en Ukraine, commençant itou de manière pas mal sanglante.

« Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,

N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins

Le canevas banal de nos piteux destins,

C'est que notre âme, hélas ! n'est pas assez hardie. »

(Baudelaire, "Au lecteur")

8.

Evocation d'un tas de bestiaux bruyants et féroces. Une vraie ménagerie de delirium tremens. C'est bête, nous ne sommes que des bêtes.

« Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,

Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,

les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,

Dans la ménagerie infâme de nos vices, »

(Baudelaire, « Au lecteur »)

9.

Le narrateur annonce que le pire est dans la dernière strophe. Une arme de destruction massive. L'humanité tiendrait-elle au « bâillement » d'un dieu lassé ?

« Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !

Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,

Il ferait volontiers de la terre un débris

Et dans un bâillement avalerait le monde ; »

(Baudelaire, « Au lecteur »)

10.

« L'Ennui » fume « son houka » (une « sorte de narguilé » nous renseigne une note) - l'Ennui est snob – et, tel un psychopathe ordinaire ou un citoyen contrarié, a des songes de sang. On croit qu'il pleure, mais en fait il s'en fout. Le lecteur est le frère « hypocrite » de l'auteur, mais, à mon avis, sa sœur bat le beurre. Un « monstre délicat » : voilà un oxymore qui s'applique à bien des intellectuels. Je me pose la question : Faut-il tellement s'ennuyer pour ouvrir un recueil de Baudelaire ?

« C'est l'Ennui ! - l’œil chargé d'un pleur involontaire,

Il rêve d'échafauds en fumant son houka.

Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,

- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! »

(Baudelaire, « Au lecteur »)

Patrice Houzeau

Malo, le 16 décembre 2022.

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