NOTE SUR L'HOMME DE HARLEM DE GUIDO CREPAX
NOTE SUR L'HOMME DE HARLEM DE GUIDO CREPAX
Guido Crépax. « L'Homme de Harlem » (Dargaud, 1979). C'est du polar, assez noir, bien qu'en couleurs, d'un humanisme lucide aussi. L'intrigue est assez mince, mais on s'en fiche. Ça commence symboliquement par un match de boxe : le 19 juin 1946, le combat entre le blanc Billy Conn et le noir Joe Louis, et ça se poursuit dans une atmosphère de clubs de jazz et de règlements de comptes entre gangsters. Au milieu de tout ça, le contrebassiste Little Johnny Lincoln (pas un hasard, ce nom) va tenter de protéger Polly, dont la vie est menacée depuis qu'elle a été témoin d'un meurtre. Il est noir et jazzman ; elle est blanche et prostituée. Tout va donc devenir très vite compliqué.
Ce qui fait l'intérêt de l'album, ce n'est pas tant l'histoire que le travail du dessinateur Guido Crépax : par exemple, le haut de la planche 3 (page 7) : C''est dans un trapèze rectangle que Joe Louis met Billy Conn KO au 8ème round, mettant ainsi en évidence la vitesse, la puissance de la « bombe noire » Joe Louis, l'ascendant pris sur Billy Conn qui, dans la case suivante, est horizontal de tout son long cependant que l'arbitre égrène le décompte.
Découpage des planches rapide, rappelle les films policiers ; beaucoup de plans resserrés : ainsi, le corps de Polly aux pages 26 et 27 ; en contrepoint, un strip vertical de cinq cases en noir et blanc, un saxophoniste jouant ironiquement « Lover Man ».
Contrepoint est le mot. En parallèle des scènes d'action liées à l'intrigue, des planches entières montrent la formation de jazz dans laquelle travaille Litlle Johnny Lincoln. Traits parfois très vifs et cadrages expriment l'intensité du jeu, donnent le rythme, l'accompagnement musical du drame, les titres des morceaux sont d'ailleurs donnés comme autant de références pour l'amateur de jazz hot. L'album commence par un match de boxe et se finit par un concert de jazz. Entre les deux, des gens sont morts. La vie est violente.
Note : j'écris plus haut que l'intrigue de « L'Homme de Harlem » est assez mince. Personnellement, j'aime autant. J'apprécie peu d'être obligé de me creuser la cervelle pour essayer de piger une histoire dont je me fiche assez royalement. Je lis moins les bédés pour les histoires que pour la virtuosité du trait, l'intelligence et l'humour des répliques, l'atmosphère qui se dégage des planches. Je reconnais du talent à beaucoup de mangakas, mais souvent que j'y pige que couic (vous me direz, c'est parce que je ne suis pas très futé non plus, c'est possible, et peu m'importe).
Patrice Houzeau
Malo, le 31 juillet 2023.