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BREFS ET AUTRES
notes de lecture
15 juin 2023

MAZETTE DIT L'ETRANGE JEUNE FILLE

MAZETTE DIT L'ETRANGE JEUNE FILLE

Le premier chapitre de « La Bande de l'araignée », de Jean Ray (Librio n°170), dans ses aventures de Harry Dickson, « le Sherlock Holmes américain », s'intitule « l'étrange jeune fille », ce qui donne à rêver sur le lien entre l'étrange et les jeunes filles, quoique les jeunes filles soient des bipèdes tout aussi encombrants que les autres, même que certaines ont de grands pieds.

Il y est question d'araignées. Because Dickson en a maintenant dix, de ces arthropodes prédateurs, mais ce ne sont pas des vraies. « Ah ! l'effarant mystère ! » disent le texte et la marquise, laquelle sortit à cinq heures pour n'en plus revenir.

Il est ensuite question de Georgette Cuvelier, qui s'appelait Georgette parce que si elle s'était appelée Bérénice, peut-être que le sort de l'intrigue en aurait été changé, bien qu'il n'y ait aucune opposition à ce que Bérénice, aussi bien que Georgette, aille rendre visite à Harry Dickson.

A la page 9, il est question de « mazette », dans le sens de quelqu'un qui est malhabile, de peu d'intérêt. On disait alors « une mazette » et Georgette de dire, je cite le texte de Jean Ray : « Ce serait malheureux si un détective de votre renom n'avait trouvé dès le premier abord. A moins de n'être qu'une mazette à la réputation surfaite. » Le français moderne a perdu l'usage de ce joli mot. Il est vrai que « La Bande de l'Araignée » a été publié en 1933. C'est amusant, mais deux pages plus loin, parlant du « fameux Vampire aux yeux rouges de hideuse mémoire » que vient d'évoquer Harry Dickson, Georgette réutilise le même mot de « mazette » : « - Peuh ! une mazette ! dit la visiteuse avec un mépris non dissimulé. »).

Nous apprenons aussi que Mlle Georgette Cuvelier n'est pas un moule à gaufres, et ça, c'est bien dommage parce que franchement, ce n'est pas avec des jeunes filles étranges qui disent « mazette » à tout bout de champ (j'ai eu une élève qui disait au moins trois fois par heure « j'suis dégoûtée », elle non plus n'était pas un moule à gaufres), donc ce n'est pas avec des jeunes filles étranges que l'on fait des gaufres, mais avec des gaufriers, ou alors il faut faire des gaufres en étant aidé par la jeune fille étrange, et là, je dis attention, parce que l'étrangeté de la jeune fille pourrait influer défavorablement sur la qualité des gaufres. Tous les marchands de frites vous le diront.

Et comme nous arrivons à la fin de cette première partie, je ne peux qu'être d'accord avec Harry Dickson, le « Sherlock Holmes américain » : « Je vous dis que nous nous trouvons devant une effroyable énigme humaine. » C'est aussi ce que je dis à la chaussette dépareillée, isolée, vouée à la solitude du tiroir, en attendant que la seconde, disparue, veuille bien se manifester.

Conclusion : je suis bien content d'avoir appris le sens du substantif « mazette », parce que ça rime avec pipelette :
« Mazette fit la pipelette, zavez vu la minette ? C'est la fête à la brouette ! » (Pourquoi « brouette » ? Parce que « chou, genou, hibou, joujou, bijou, caillou, pou » ne riment nullement avec « mazette, pipelette, minette, fête », cependant qu'ils prennent un x au pluriel comme nous l'apprîmes alors que nous étions morveux.)

Ce qui me fait penser que, surveillant hier des épreuves du baccalauréat, je me suis rendu compte que certains élèves de terminale bac pro ne savaient pas lire l'heure sur les horloges. Comment c'est-y possible ? ai-je demandé à l'un d'entre eux. « Parce qu'on ne me l'a pas appris ». Dormez-vous tranquille, Meirieu, et vous, Blanquer, dormez-vous tranquille ?

Patrice Houzeau
Malo, le 15 juin 2023.

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12 juin 2023

TELEKINESIE DOMESTIQUE

TELEKINESIE DOMESTIQUE

1.
Il y a un côté ironie du commentateur dans certaines notes qui galapagossent (pourquoi galapagossent ? Pour l’exotisme et parce qu'il y a « gosse » dedans ; or, « Les plus qu'humains », de Theodore Sturgeon, dont je vous fraise, évoque une bande de mômes inquiétants, périlleux, mystérieux...). De quoi c'est-y qu'je cause ? Ah oui, de l'ironie des notes (interventions de l'auteur ? pensées du personnage concerné?) du genre : « Preuve de plus que la puissance pas tout à fait maîtrisée offre bien des inconvénients. » Je lis ça page 43 du volume J'ai Lu n°355. C'est que la petite Janie est tout de même à l'origine de la fracture du crâne au sous-lieutenant qu'était venu voir sa maman pendant que son papa était pas là. A quatre ans. Avec un presse-papiers. Par psychokinésie. Mais ça, le sous-lieutenant, il a préféré l'oublier.

Donc après, la daronne, elle a la « chair de poule » qu'elle dit au « sous-lieutenant suivant » et ça c'est normal et en route pour l’extraordinaire ! Franchement, il est bien, ce roman de Sturgeon. Le début est terrible. Glauque. Pas très joyeux, ah non.

2.
Theodore Sturgeon traduit par Michel Chrestien, « Les plus qu'humains », J'ai Lu n°355, pp.155-57.
Une scène de fantastique télékinésique. Le narrateur évoque d'abord une maîtresse, une dominatrice, un règne (« elle avait régné sur toute la maisonnée ») et un pluriel obéissant (« nous avions obéi »). Mais l'obéissance finit par être rompue car « elle avait dépassé les bornes ».

Il y a ensuite les premières manifestations (le mot est à prendre ici au sens d’événements paranormaux). C'est visuel et rappelle le cinéma d'épouvante à la Poltergeist : potiche lévitante puis fracassante, gant baladeur qui vient gifler le visage de Mlle Kew (je ne sais pas qui c'est, mais, apparemment, l'invisible lui en veut) : il me semble avoir entendu à la radio que le gendarme des fantômes, Emile Tizané, a compte-rendu quelque part qu'il s'était lui aussi fait gifler par un gant sans personne dedans. J'ai itou dans mon anthologie de caboche le souvenir d'une scène de film dans une cuisine où la maîtresse de maison lit un magazine cependant que se promène dans l'air une cafetière (était-ce une cafetière?) qui lui verse du café donc dans une tasse (était-ce une tasse?) qu'elle tient à la main. Plongée dans sa lecture, elle ne se rend pas compte de l'insolite de la situation. Le paragraphe suivant confirme l'épouvante. Le pluriel rebellé (apparemment, ce sont des mômes) pose une question sur un dénommé « Bébé ».

La question reste sans réponse et Mlle Kew émet des hypothèses rationnelles sur l'origine de l'incident (« avion » ? « tornade » ? « tremblement de terre »?). Ah ces gens qui ne veulent pas se rendre à l'évidence des pouvoirs cachés... Les mômes inquiétants insistent, mais Mlle Kew est têtue.

Les mômes inquiétants décident donc « d'augmenter la dose ». Le sadisme, non sans ironie (« C'était trop triste ») devient comique, grotesque, avec ces « tresses » qui « se dressèrent, restèrent droites en l'air, la tirèrent vers le haut ». Mlle Kew s'alarme et demande aux mômes ce qu'ils sont « en train de faire ». Eux demandent le retour de Bébé. Refus. Les mômes inquiétants font venir les rats, ce qui, au premier couinement, effondre tout à fait Mlle Kew.

Les mômes obtiennent ce qu'ils voulaient. Il y a un échange entre le narrateur et le psychanalyste Stern à propos du déni car Mlle Kew a plus tard évoqué un « glissement de terrain » pour expliquer la suite de phénomènes qu'on sait bien qu'en fait, ce sont leurs pouvoirs, aux mômes du bouquin. Bizarre, hein.

Patrice Houzeau
Malo, le 12 juin 2023.

6 juin 2023

ET LE NARRATEUR CROYEZ QU'IL A UN PARAPLUIE LE NARRATEUR

ET LE NARRATEUR CROYEZ QU'IL A UN PARAPLUIE LE NARRATEUR

1.
Graham Greene, traduit par Marcelle Sibon, « Le Troisième homme » suivi de « Première désillusion » (le Livre de poche n°46). Ce n'est peut-être plus à la mode, et pourtant il tient bien la route, ce roman des débuts de la guerre froide, dans une ville de Vienne partagée en quatre zones, avec ses faux semblants et vrais cadavres, ses espions à perruque, ses faux vrais écrivains, ses narrateurs flottants, ses trafics en tout genre (ici, celui d'une pénicilline frelatée qui, si elle ne les tue pas, rend fous les enfants atteints de méningite). Charme vénéneux des romans d'espionnage, bien que l'auteur ait nettement choisi son camp (celui de l'Ouest) et surtout y ait introduit une dose d'idéalisme affectif que la réalité dément souvent. Ce qui permet de faire le lien avec la nouvelle « Première désillusion », qui, dans un tout autre registre, a cependant comme point commun de nous présenter un personnage (l'enfant Philippe) qui, à l'instar du Rollo Martins dans « Le Troisième homme », se trouve confronté à l'apparente bonhomie du mal.

Citation :
« Qu'est-ce qu'il a fait ? demanda-t-il.
- On ne le sait pas encore. Ils ne sont pas tous arrivés à se décider là-dedans. Peut-être que c'est un suicide, mais peut-être aussi que c'est un crime. » (« Le Troisième homme », chapitre IX)

2.
J'aime bien les B 52's (le groupe de rock). Leur musique paraît sans doute minimaliste, voire un peu simple diront-ils, mais la guitare un peu rétro, les zigouigouis électroniques sans prétention, le va-et-vient entre les voix de Kate Pierson et de Cindy Wilson (tantôt choristes et parfois même choristes onomatopéiques, tantôt vocalisant au premier plan) et le sprechgesang de Fred Schneider me plaisent bien. Bah oui.

A écouter, si vous aimez le psychédélisme à choucroute, les signaux radio en morse, l'orgue Farsifa, Henri Mancini (le morceau est basé sur la rythmique de « Peter Gunn »), le loufoque « Planet Claire » (1979) et son ambassadrice en « satellite Plymouth » qui ne vient pas de Mars (st'e blague), mais bien de la planète Claire.

Citation :

« Some say she's from Mars
Or one of the seven stars
That shine after 3:30 in the morning

Well, she isn't !

She came from Planet Claire »

3.
La première strophe de « Larme », de Rimbaud, dans sa version de mai 1872, met en scène un buveur coupé du monde bavard et moutonnier « des oiseaux, des troupeaux, des villageoises » par un « brouillard d'après-midi tiède et vert » et le cercle des « tendres bois de noisetiers ».

« Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d'après-midi tiède et vert. »

La deuxième strophe exploite la comparaison entre la soif du narrateur (celle du poète?) et la maigre consolation de la boisson (« quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer »). Notons l'assonance « Oise », « colocase », qui puisant dans la toponymie et le mot rare - ceci dit, j'en sais fichtre rien si le mot « colocase » était considéré comme rare à l'époque, que je le suppose, que c'est vraisemblable, mais que j'en sais fichtre rien qu'en tout cas, ça accentue la dissonance qui frappe chaque fin de vers du poème, comme s'il était impossible désormais de rimer droit.

Je me demande aussi c'est quoi donc cette « gourde de colocase », ça m'a tout l'air du qui sonne étrange pour sonner étrange, et foin des commentaires chevelus. J'aime bien comme ça sonne, « dans cette jeune Oise », vous me direz, j'aime aussi le jambon, The Grateful Dead et pas tellement le président Macron, et encore moins Pap Ndiaye, que ça ne change rien, - et nom d'un crabe, zavez raison.

A part ça, le temps se couvre. Et le narrateur, il a un parapluie, le narrateur, croyez ?

« Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert,
Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer. »

L'avant-dernier quatrain transforme le paysage en hallucination orageuse. On suppose que le narrateur doit être trempé jusqu’à l'os de son chien, mais étrangement, il n'en fait pas mention (l'avait peut-être un parapluie après tout).

« Tel, j'eusse été mauvaise enseigne d'auberge.
Puis l'orage changea le ciel, jusqu'au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares. »

Arrivé à la dernière boîte de sardines, je me dis qu'il fallait que j'en rachète. Quant au « Larme », de Rimbaud – titre ironique et faussement romantique -, c'est une inondation. Et le narrateur, soit il se dit, flûtézut, cette magie nouvelle des « sables vierges » (j'y crois pas, ma pomme, c'est un orage violent, et c'est tout), je n'ai pas su en profiter (« je n'ai pas eu souci de boire ») ; soit, il n'a « pas eu souci de boire », cause que tout ça, c'est du livresque, du poème, de la poignée de syllabes, du pensum pour amphithéâtres, et que les mots, ça ne se boit pas ; par contre, on peut en faire d'intéressantes compositions.

« L'eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares...
Or ! Tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages,
Dire que je n'ai pas eu souci de boire ! »

Patrice Houzeau
Malo, le 6 juin 2023.

4 juin 2023

LES PRINTEMPS SONT DEJA MORTS

LES PRINTEMPS SONT DEJA MORTS

1.
Je me demande si la Voix qui se met à perturber, interloquer, et étrangement conseiller le Mr West de la nouvelle « Des voix » de Robert Sheckley traduit par Maud Perrin (in « Le Robot qui me ressemblait », J'ai Lu Science-fiction n°2193) ne serait pas une anticipation de l'Intelligence Artificielle (vous pouvez m'appeler I.A, dit-elle) dont on nous dit qu'elle va nous perturber, nous interloquer et peut-être aussi très étrangement nous conseiller.

Citation :
« Dès que l'on a assimilé cette donnée, les applications à l'industrie de ce genre de laminage sont évidentes.
- Pas pour moi, en tout cas ! s'écria Mr West. Qu'est-ce que ça veut dire tout ça ? Qui êtes-vous ?
La Voix ne répondit pas. Elle avait coupé le contact. »

2.
Dans « Raboliot », de Maurice Genevoix, le chapitre où Raboliot « rencontra Sarcelotte sur la route » (troisième partie, chapitre 5), j'aime bien la notation : « Raboliot reconnut Sarcelotte à son parler ». Un « nasillement cordial et gai », mais aussi « la puissance merveilleuse » dont étaient chargés « tous les mots que disait Sarcelotte ». Ces mots, (« les lapins », les « lieuves »), ce sont ceux du braconnier Raboliot  et aussi ceux de l'écrivain Genevoix. Ils déclenchent l'imaginaire du chasseur mais surtout, puisque nous lisons une œuvre littéraire, le style de l'écrivain.

Il s'agit alors de faire chanter la langue, de rendre compte, je cite, de « tous les cris des crépuscules, la crécelle rouillée des faisans, les rappels croisés des perdrix, les piaulements courts des tourteplates » (les engoulevents).

« Et tout autour des mots que disait Sarcelotte, d'autres bêtes se pressaient encore » (…) « des écureuils grognaient dans les pins ; des vanneaux noirs et blancs tournaient en rond dans le soleil, liés à leur nid comme des cerfs-volants captifs ;... » (…) « un héron voguait dans la nue, soulevé sur ses ailes lourdes, les pattes pendantes comme des branches cassées ;... ».

3.
L'une des chansons qui m'aura le plus impressionné dans ma sotte existence, est « Je suis un soir d'été », de Jacques Brel. Parce qu'elle est littéraire (comme on n'en fait plus, surtout depuis que des ministres aussi troubles que successifs, fascinés par l'imposture Philippe Meirieu, se sont mis en tête de réformer sans cesse l'éducation nationale) et sans doute aussi parce qu'elle est vipérine. Les notes aigres de la guitare qui ponctuent le texte en font une marche lente et inexorable. Au bout du chemin, après cette « ville aux quatre vents » qui « clignote le remords / Inutile et passant de n'être pas un port », on sait bien ce qu'il y a. En attendant, dans la même chaleur lourde, il y a les « femelles maussades de fonctionnarisés », « les hommes poussent des rots de chevaliers teutons », « De lourdes amoureuses aux odeurs de cuisine / Promènent leur poitrine sur les flancs de la Meuse » ; une vie lente, où les printemps sont déjà morts.

Patrice Houzeau
Malo, le 4 juin 2023.

4 juin 2023

WE NEED MORE COWBELL

WE NEED MORE COWBELL

1.
Dans le premier paragraphe de « L'être spécial » (in « Profanations », traduit par Martin Rueff, Rivages poche « petite bibliothèque », 2019, p.71), Giorgio Agamben évoque la fascination des philosophes médiévaux pour les miroirs et reformule quelques questions qui les agitèrent, les esprits ; je cite : « A coup sûr, l'être des images doit être des plus singuliers, car, corps ou substance, comment pourraient-elles occuper l'espace déjà occupé par le corps ou la substance du miroir lui-même ? » Ce qui me semble aussi une définition de la possession.

2.
Dans le premier quintil de « Faction », d'Apollinaire (« Poèmes à Lou »), le narrateur imagine le regard de son aimée dans les étoiles et le ciel nocturne devient lui-même le corps désiré.

« Je pense à toi ma Lou pendant la faction
J'ai ton regard là-haut en clignements d'étoiles
Tout le ciel c'est ton corps chère conception
De mon désir majeur qu'attisent les rafales
Autour de ce soldat en méditation »

Le deuxième quintil est un constat de la douleur du narrateur causée par l'absence de la belle amie. Les deux derniers vers de la strophe disent la même chose, insistant ainsi sur la lancinance de la peine (on dit aussi « lancinement mais j'aime bien « lancinance » alors hein).

« Amour vous ne savez ce que c'est que l'absence
Et vous ne savez pas que l'on s'en sent mourir
Chaque heure infiniment augmente la souffrance
Et quand le jour finit on commence à souffrir
Et quand la nuit revient la peine recommence »

Le troisième quintil est le plus surprenant. Le temps passant, le narrateur constate que l'absence de la belle amie se fait « Souvenir » d'un corps voué à vieillir. L'avant-dernier vers fait le lien entre « souvenir » et « cor de chasse », lien que l'on retrouve dans le poème « Cor de chasse » (in « Alcools », je cite : « Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt le bruit parmi le vent »).

« J'espère dans le Souvenir ô mon Amour
Il rajeunit il embellit lorsqu'il s'efface
Vous vieillirez Amour vous vieillirez un jour
le Souvenir au loin sonne du cor de chasse
O lente lente nuit ô mon fusil si lourd »

3.
A propos de lancinance, il y a (vous en souvenez-vous ?) les guitares électriques qui leitmotivent et riffent élégamment dans « Don't Fear The Reaper » de l'émérite et épatant « Blue Oyster Cult » sur l'album « Agents Of Fortune » (1976). Chanson sombre sur « La Faucheuse » donc, mais dont le caractère mélodramatique fut heureusement démonté par un sketch dans l'émission « Saturday Night Live » : l'un des musiciens du groupe joue à contre-temps de la fameuse « cowbell » du morceau tandis qu'un producteur joué par Christopher Walken clame : « I've got a fever, and the only prescription is more cowbell ».

J'm'explique maintenant le clin d'oeil de la batteuse Sina dans sa vidéo consacrée à la chanson : elle stoppe son jeu de batterie au bout de quelques mesures et fait « Nein-nein-nein... nein... nein » (elle est allemande, je pense) pour demander plus de « cowbell ». Trouverez tout ça sur You Tube, et c'est amusant.

Bon, un p'tit bout des lyrics si mystérieux de Buck Dharma :

« Then the door was open, and the wind appeared
The candles blew, and then disappeared
The curtains flew, and then he appeared »

Patrice Houzeau
Malo, le 4 juin 2023.

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1 juin 2023

JE COMPRENDS PAS TOUT MAIS ON S'EN FOUT

JE COMPRENDS PAS TOUT MAIS ON S'EN FOUT

1.
« Robin Cook », traduit par F.-M. Watkins et Marcel Duhamel, « Crème anglaise », Carré noir n°443, 1982. Ce Robin Cook britannique là n'a rien à voir avec le Robin Cook américain. C'est du britannique, ce polar à la langue étonnante, gondolante. Le récit rappelle un peu les aventures du Ferdinand de Céline dans « Guignol's band » et la pègre anglaise. On pense aussi aux inventions verbales de San-Antonio. Le narrateur est un voyou peu ordinaire, un déclassé de la bonne société (les références abondent dans son récit, au « mimile » : Cocteau, Kafka, Shakespeare...) qui jacte une sorte d'argot qu'on comprend pas tout (il y a même un lexique à la fin) et qui fréquente des infréquentables. Trafic de fausse monnaie sur fond de guerre froide (le roman date de 1962). Court, vif, amusant. Pas un chef d’œuvre, une curiosité plutôt.

Citation :
« J'ai entendu des crabes dire que Plinth est un flic marron ; c'est bien le genre de conneries que peuvent bonnir les crabes. »
(chapitre II [Le narrateur])

2.
Jean Baudrillard, « Le Système des objets » (Gallimard, collection « Tel »).
L'auteur évoque page 9 le « pratiquement inconscients » que nous sommes « dans la vie courante de la réalité technologique des objets ». Le monde nous semble-t-il si magique ? Il est aussi question « d'évolution structurelle objective », ce qui me fait penser que faudra que je pense aux bordereaux du contrôle continu, et que soudain tout le technocratique de l’expression « contrôle continu » me saute aux élastiques et me semble menaçant. (Pourquoi « élastiques » ? Parce que ça rime avec « gymnastique ».)

A la page 21, l'auteur évoque « l'environnement traditionnel » et « l'intérieur bourgeois type ». Il dit que les « meubles se regardent, se gênent, s'impliquent dans une unité qui est moins spatiale que d'ordre moral. » Bon, moi, j'en sais rien, mais je suppose qu'il y a matière à pisser de la copie sur « l'ordre moral » des intérieurs bourgeois. Après, ça fait de belles phrases pondues sur France Culture par un expert des universités (zont tendance à pulluler, zavez remarqué, ces derniers temps, sur France Culture, les experts des universités, c'est intéressant mais je m'en fous) tandis qu'ils ont supprimé, ces prétentieux, l’excellent « Des Papous dans la tête ».

Page 33, je lis : « Car l'horloge est l'équivalent dans le temps du miroir dans l'espace. » J'aime bien car ça sonne planant quasi ; hop, l'horloge à la grand-tante et le miroir qu'on voit cent fois sa trogne, les voilà spatio-temporels genre trois notes toutes bêtes sur un clavier qui deviennent, grâce aux ingénieurs du son, une galette de krautrock, épopée cosmique, électro-must et autres biduleries qu'on croit que mais non. (Pourquoi « qu'on croit que mais non » ? Parce que ça rime avec « soupe à l'oignon ».)

Page 60, il est question de « l'ambiance » ; p.65, Jean Baudrillard évoque le terme « raffiné » appliqué aux intérieurs bourgeois modernes ; p.74, l'auteur pose une question : « Mais quelle est cette « main » en fonction de laquelle leurs formes se profilent ? ». Il parle des « objets modernes » et de l’exigence de maniabilité. Page 75, je cite ceci que j'aime bien pour le côté fantomatique que ça lui donne, au bipède :
« Aujourd'hui le corps de l'homme ne semble plus être là que comme raison abstraite de la forme accomplie de l'objet fonctionnel.»
(Jean Baudrillard, « Le Système des objets », p.75)

Page 87, l'auteur évoque la « pudeur moderne » qui tend à « voiler la fonction pratique » des objets « vulgaires ». Tiens, j'entends un rock dans l'émission de Michka Assayas que ça sonne assez comme du Led Zeppelin avec une voix blues (c'est celle de l'américaine Beth Hart et il s'agit bien d'une reprise de Led Zeppelin).

« coexistence équivoque du moderne fonctionnel et du « décor » ancien » (p.115) :
La modernité est-elle une fonctionnalité, un ensemble de fonctionnalités, une choucroute planante ?

La surpopulation oblige-t-elle au « fonctionnel », au pratique, à l'utile, au pragmatique et finirons-nous noyés dans les flux, Lulu, et les migrations, Léon ? Cette obligation est-elle une condamnation ? Aimez-vous les macarons ? Et les marrons glacés, zaimez les marrons glacés ?

Quoi donc qui n'est pas fonctionnel ? Trouve-t-on du fonctionnel dans tout ? J'eus plusieurs toutous dans ma vie, je crois pas que j'en aurai encore. Je me demande même si j'aurai encore une vie bientôt. Un zéro, Toto, tant pis, « je ne vous aime pas non plus », dit Maurice Pialat lorsque la palme d'or à Cannes pour le très beau « Sous le soleil de Satan » fut accueillie aussi par des sifflets.

J'entends parfois parler d'une « fonction » de l'art ? Aimez-vous les macarons, les calissons, le saucisson ? Connaissez-vous les « Calissons du Roy René » ?

La définition du fonctionnaire comme étant un « devant fonctionner » peut-elle se formuler ainsi: « Le fonctionnaire est un  étant fonctionnel » ? Les fonctionnaires se définissent-ils par un ensemble de fonctions à remplir et de dysfonctionnements à tagadère ? Pourquoi la voix d'Emmanuel Macron m'est-elle désagréable ?

Les députés sont-ils des fonctions du politique ? Les députés servent-ils à quelque chose ? Oui, les députés servent à se demander si les députés servent à quelque chose.

Qu'est-ce qu'une « coexistence équivoque » ? Toute coexistence n'est-elle pas par définition « équivoque » ? Cela définit-il le « en même temps » à Macron ? Une coexistence pacifique n'est-elle qu'un sursis ? La surpopulation peut-elle se définir comme une multiplication des coexistences équivoques ? L’expression « grand remplacement » n’exprime-t-elle pas une sainte frousse (que je comprends) d'un trop-plein de coexistences équivoques ?

Pourquoi la voix d'Emmanuel Macron m'est-elle de plus en plus désagréable ? Macron dit-il des choses intelligentes ou suis-je devenu si bête que je pense qu'il dit des choses intelligentes (tout en pensant, parce que je ne suis pas à ça près : c'est quoi, ces conneries) ?

Est-il juste que les gens doivent travailler plus longtemps alors que l'Etat fait n'importe quoi avec nos impôts ? (Souvenez-vous des « masques » évanouis par Fantomas, de l'état des hôpitaux publics, de l'éducation nationale, des forces armées, du ridicule et trouble SNU).

Page 117 du « Système des objets », de Jean Baudrillard, cette expression : « la curiosité anxieuse de nos origines ». Il est question aussi du « fétichisme » de l'objet ancien (celui qu'on collectionne, qu'on recherche dans les brocantes et chez les antiquaires), l'objet renvoyant au temps d'avant, celui du « Père », du chef de famille, du travailleur, du fondateur. L'objet est dès lors paré d'une vertu d'authenticité dont, sottement, nous tendons à parer un monde disparu, comme si les bipèdes d'antan n'étaient pas moins stupides, malhonnêtes, malveillants, corrompus et périlleux que ceux de maintenant. Ils étaient moins nombreux, il est vrai.

Survolté, le président Macron. Au train où ça va, m'étonnerait pas qu'il cogitât sur une réforme des institutions qui lui permettrait de faire un troisième mandat. J'entends d'ici les arguments : « Avec le covid et ses conséquences, la majorité n'a pas pu réformer la France comme elle en a besoin, et puis, l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, la France est inquiète et divisée, et je suis le seul à pouvoir incarner un front républicain »... et hop, en route pour quatre ans de plus.

Patrice Houzeau
Malo, le 1er juin 2023

28 mai 2023

VERS LE CHÂTEAU

VERS LE CHÂTEAU

Kafka traduit par Alexandre Vialatte, « Le Château », folio n°284. Livre extraordinaire et inachevé (ce qui lui donne une fin abrupte et qui donne à penser sur l'avenir de l'arpenteur K. et sur ses relations avec l'hôtelière). Compte-rendu subtil des pensées, des paradoxes, des interrogations, soumissions et désarrois qui animent les têtes à propos des moindres choses dès lors qu'une transcendance est supposée y avoir part. Ici, la transcendance, c'est le « Château », lieu des décisions et des administrations, lieu du secret et des protocoles, lieu des tout puissants et inaccessibles Secrétaires du Château.

Le « Château » est la justification de tout, puisqu'il en est l'administration (c'est comme dans l'éducation nationale : la réforme Blanquer est fort sotte, mais comme c'est justement le « Château » - comprenez ici, le ministère - qui met cette réforme en œuvre, elle est donc forcément justifiée).

Kafka, avec une acuité et une clarté de philosophe, ou d'entomologiste, décrit un univers où l'administration a tellement étendu son empire que les mœurs et l'organisation de la vie sociale des villageois en découlent, à tel point que ce n'est plus l’existence qui précède l'essence mais la gestion administrative de votre présence sur terre. L'arpenteur K. en fait les frais qui, mandé dans un village de nulle part dans le Comté de Westwest, ne se voit confier aucune mission et se retrouve flanqué de deux aides aussi inutiles que potaches, cependant que l'ombre d'un des fonctionnaires du Château, l'invisible et étrange Klamm, ne cesse de se manifester jusque dans la vie affective de K.

On reconnaîtra dans cette prose aussi précise et scrupuleuse qu'un article du Code, dans ces longs dialogues argumentatifs, explicatifs, démonstratifs, toute l'intelligence humaine à rationaliser l'absurde. Intelligence fort utile aux dictatures et qui fait que, contre l'évidence, des gens qui ne sont ni fous, ni stupides, prennent le parti de soutenir les politiques les plus inhumaines.

« Le Château » a été publié en 1926 (à titre posthume et à l'initiative de Max Brod) et décrit une bureaucratie invisible et omnipotente. On dit que cette bureaucratie s'est concrétisée plus tard dans le monde soviétique. Il est possible aussi que l'à venir « Village global », comme disaient naguère certains zélés zozos de la mondialisation, et les milliards d’existences qui y grouillent et machinent, soit, tôt ou tard, administré, jusque dans ses moindres détails, par une bureaucratie aussi invisible, aussi toute puissante et toujours plus efficace (technologie et hyper-connectivité obligent).

Citation :
« Tout est service de contrôle au Château ! Je ne dis pas que ces services soient faits pour retrouver des erreurs au sens grossier du mot, car il ne se produit pas d'erreurs, et même, s'il en survient une, comme dans votre cas, qui a le droit de dire une fois pour toutes que c'en soit une ? »
(Le maire à K., p.100, chapitre V)

« Es gibt nur Kontrollbehörden. Freilich, sie sind nicht dazu bestimmt, Fehler im groben Wortsinn herauszufinden, denn Fehler kommen ja nicht vor, und selbst, wenn einmal ein Fehler vorkommt, wie in ihrem Fall, wer darf denn endgültig sagen, daß es ein Fehler ist. »
(Kafka, «  Das Schloß », « Das fünfte Kapitel » [der Vorsteher])

Dans ses postfaces aux éditions du « Château » Max Brod a donné une dimension quasi rabbinique à l’œuvre de Franz Kafka. Le dialogue de K. avec la transcendance qui règle et ordonne peut aussi être lu comme essentiellement politique.

Patrice Houzeau
Malo, le 28 mai 2023.

27 mai 2023

DES JOUQUINS ET DES LIONS FLOTTANTS

DES JOUQUINS ET DES LIONS FLOTTANTS

1.
Je ne sais pas si les habitants de Origny-le-Sec (village de l'Aube, région Grand-Est), aussi appelés « Jouquins » nous conte Jean Raspail dans « La Hache des steppes » (1974), sont des descendants des Huns d'Attila, et je m'en fiche vu que je n'irai pas vérifier, mais les chapitres 12 et 13 de ladite « Hache » sont bien amusants. Je n'y crois qu'à moitié de mon verre, mais c'est bien amusant tout de même.

Cela fait longtemps que je voulais lire un bouquin de Raspail. Réputation sulfureuse, défense des peuples perdus, des identités menacées, polémique du « camp des saints »... faut y aller voir, que j'me dis. Celui-là, « La Hache des steppes », dans le genre récit de voyages, tantôt mélancolique, tantôt allègre, souvenirs de rencontres et portraits, est plutôt réussi.

Je note que Jean Raspail, comme le Céline post-apocalypse, les distille lentement, ses traits anti-immigrés, une demi-ligne toutes les vingt ou trente pages (mais ils y sont, les petits sifflements menaçants, aussi bien que les derniers coups de rance céliniens dans la prose par ailleurs extraordinaire de l'auteur du « Voyage », il suffit de lire), mais cela n'enlève rien au talent d'auteur de Jean Raspail, et « La Hache des steppes » est un bon livre.

Le chapitre 15 (« Rencontre avec Anton Tchékhov par Aïno interposé ») est très beau. Les chapitres 18 et 19 consacrés aux indiens Urus aussi.

Est-ce que je crois à tout ce que raconte Jean Raspail dans son livre ? Pas vraiment, voire très peu (l'histoire du village de Katlinka, notamment, me laisse dubitatif). Je lis ce livre comme je lis les aventures de Tintin, avec un grand intérêt et pour l'amour du style.

Citations :
« Elle [la hache des steppes] échappe de la main de tous ces vieillards qui m'entourent et dont les ombres m'oppressent et m'attristent. Un monde continu meurt au fil de ma plume, où tous ces vieillards m'appellent, et je ne sais rien de celui qui va naître. » (chapitre 13)

« Combien de peuples, depuis que le monde est monde, ont enterré la hache des steppes avec leurs derniers survivants !... » (chapitre 18)

2.
Le surréalisme, quand c'est bien fait, c'est épatant comme un ticket gagnant. Le début du poème « La nuit remue », de Henri Michaux, taille allégrement dans le fantastique, je cite :
« Tout à coup, le carreau dans la chambre paisible montre une tache. »
En soi, cette tache peut avoir une explication : tache de café, ombre apparue par jeu de la lune, repas rendu par le chat, le chien, le gnome caché, petit objet chuté.
C'est sans compter sur le « cri » de « l'édredon » et ce « mort » qui sort de « l'armoire ».

Le surréalisme, quand c'est bien fait, c'est épatant comme un conte cruel. C'est une sorcellerie puisqu'en fin de compte, ils reviennent toujours, les fameux pouvoirs de l'esprit qui sous-tendent l'énergie vitale, et si, dans « La nuit remue », il s'agit de « frapper une belette », et de la « clouer sur un piano », on n'y croit pas, mais d'abord, ça amuse – quelle claque au merveilleux à sentiments qu'on nous conte pour nous distraire de l'épouvante des massacres et des exploitations programmées .
Ça fascine aussi car l'étrange fascine, comme un beau visage qui en quelques minutes se ride, se boursoufle et se creuse, se ravage et se rompt. « Certes », comme l'écrit Henri Michaux, « ce n'est pas réjouissant ».

C'est une question de point de vue. Dans le poème « La nuit remue », « l'ascension-fourmi » peut se comprendre comme l'ascension de la fourmi ; ici, le narrateur dans sa nuit, « gouffre profond » à « lenteur interminable » (celle des états dépressifs).

Dans le poème « Mon roi », de Henri Michaux, les animaux flottent, je cite : « Ses pauvres pattes flottent. Il progresse on ne sait comment, mais en tout cas comme un malheureux. » Le poète écrit non pas du lion, mais de sa représentation, de la rêverie sur un lion qui n’existe pas. Il joue avec l'être du « lion » qui n'est plus lion que par fantaisie spéculative, effet de langage.

Ce lion à « tête basse, pochée, cabossée comme un vieux paquet de hardes » n'a pas plus de rapport avec le lion de la réalité que le Napoléon de la légende n'a de rapport avec le conquérant autoritaire qui tant influença l'Histoire. La littérature ne parle pas du réel ; son sujet, c'est l'être du réel, la façon dont le réel nous agite. C'est tout aussi inquiétant, mais on peut en faire ce qu'on veut. Les littérateurs ne s'en privent pas, et, par définition, les fictions ne disent pas la vérité du réel, mais celle de l'être du réel, lequel n'est accessible que par le langage.

Patrice Houzeau
Malo, le 27 mai 2023.

25 mai 2023

ET POURQUOI PEREC ET POURQUOI PAS PEREC

ET POURQUOI PEREC ET POURQUOI PAS PEREC

1.
Chrétien de Troyes en français moderne par Jean Dufournet, « Perceval ou le conte du graal », Librio n°1118. Inachevé et faut s’accrocher car exploits chevaleresques, duels, tournois, batailles, aventures étonnantes et merveilleuses se succèdent tant qu’on ne peut les retenir toutes à première lecture, d’autant qu’à l’histoire de Perceval se mêle aussi celle de Gauvain. Il y a beaucoup de jeunes filles aussi et des notations qui renseignent sur quelques réalités médiévales.

Perceval, c’est d’abord celui qui ne sait rien. Je note que dans son « Kaamelott », Alexandre Astier a fait de Perceval le Gallois un ignorant aux raisonnements parfois déroutants. Et pourtant, à plusieurs reprises, la Dame du Lac précise au roi Arthur (et ça l’épate bien, le roi) que Perceval aura une destinée exceptionnelle. Ce roman, c’est celui de l’occasion perdue du Graal que Perceval voit passer sans qu’il s’en doute et n’ose interroger, celui de la rencontre avec le roi pêcheur, celui de la fascination du sang sur la neige.

Citation :
« Absorbé par cette pensée, il s’oublia lui-même : le vermeil de son visage ressortait sur le blanc de la même manière que ces trois gouttes de sang qui apparaissaient sur la neige blanche. » (Librio p.70)

2.
Philip K. Dick (traduit par Michel Deutsch et Isabelle Delord) « Coulez mes larmes, dit le policier ». J'ai Lu n°2451. Science-fiction brillante, foisonnante. Fantaisies spéculatives et autres paradoxes sur l'Etat-policier, la loi et l'ordre, les drogues de synthèse, l'espace-temps, « l'espace multiple », le sujet et la perception du réel, le vrai, le faux, l'illusion, le sexe virtuel (dont Philip K. Dick évoque les dangers avec une précision telle qu'il semble prédire Internet), la célébrité, le spectacle et le secret, l'évolution des mœurs, les années 70 (le roman fut publié en 1974) en toujours plus remuant, bizarre, psychédélique et logique prolongement des années 60, quelques figures de filles et de femmes que, dans ses aléas hallucinés, trouve ou retrouve Jason Taverner, l'un des deux personnages principaux, l'autre étant le trouble et mélancolique général de police Félix Buckman.

A parcourir en écoutant du Grateful Dead, ou du Dowland (« Flow my tears... »), ou le silence effrayant des espaces infinis.

Citation :
« C'était sans issue. Il avait l'impression que le monde était en caoutchouc. Tout rebondissait, changeait de forme à peine touché ou même aperçu. » (p.256).

3.
Le livre « La Salle de bain » de Jean-Philippe Toussaint (Les Editions de Minuit) ne raconte pas la lente transformation du narrateur en salle de bain.

Le livre « La Salle de bain » de Jean-Philippe Toussaint n'est pas un roman-fleuve (120 pages, c'est court). Un roman-robinet (qui fuit) peut-être ?

Le livre « La Salle de bain » de Jean-Philippe Toussaint est plein de détails de la vie domestique du narrateur dont on se fiche complètement (et des détails et du narrateur) mais qui peuvent fasciner si on les relit plusieurs fois. C'est hypnotique comme un vieux film américain en VO noir et blanc qu'on suit jusqu'au bout sans tout comprendre. Sinon, c'est bien, on peut sauter des lignes, des passages, des moitiés de paragraphes, on comprend quand même que le roman n'évoque pas grand chose.

Un roman qui n'évoque pas grand chose est-il lui-même pas grand chose ? Pas si sûr. Tout dépend du sens que l'on donne au verbe « évoquer ».

Tout de même, à un moment, on se dit : ah tiens le récit va-t-il basculer dans une autre dimension ? le narrateur est-il en train d'assassiner sa compagne ? (se posant cette question, il écarquilla les yeux). Mais on est vite rassuré et tout reprend son train-train quotidien et circulaire.

Je soupçonne que la composition du livre « La Salle de bain », de Jean-Philippe Toussaint relève de l'écriture à contrainte mais :
a) je n'en suis pas sûr,
b) s'il y en a une, j'ai la flemme de chercher en quoi elle consiste,
c) je m'en fiche.

Le livre « La Salle de bain » de Jean-Philippe Toussaint se laisse lire parce qu'il est plutôt gentil. En conséquence, il ne vous empêchera pas de vous endormir. Produit dérivé du « Nouveau roman » ? Littérature d'ameublement ? Littérature d'intérieur ? Hommage à Perec ? (et pourquoi Perec ? et pourquoi pas Perec ?).

J'ai l'air de critiquer comme ça que je me disais que « La Salle de bain » de Jean-Philippe Toussaint est un livre d'où l'on sort aussi facilement que l'on entre et sort d'une salle de bain, que je n'en dirai pas du mal bien que je n'en dise pas du bien, mais que c'est tout de même bien mieux que les pavés académiques et psychologisants et si humainement illusoires dont on nous cause sur France Inter et aussi France Culture, mais pas France Musique.

Conclusion : je ne sais pas si j'aime ce livre, mais il se pourrait que je le relise, bien que je préfère tout de même Philip K. Dick, Agatha Christie, Simenon, San-Antonio, Hugo Pratt, Jean-Pierre Mocky, The White Stripes, The B-52's (le groupe de rock), Robert Charlebois, Frank Zappa, The Residents, Lucky Luke, Barbarella, Gainsbourg, Raymond Queneau, la soupe de poisson, le steak-frites, la tarte au riz, la bière blonde, la bière brune, la bière rouge, la bière rousse, le chat et ma tranquillité.

Je n'ai sans doute pas perçu tout l'humour du livre « La Salle de bain », de Jean-Philippe Toussaint, bien que le narrateur se mette à raconter « le naufrage du Titanic » à une petite fille me fasse soupçonner quelque discrète parodie à froid.

Patrice Houzeau
Malo, le 25 mai 2023.

20 mai 2023

ET EST-CE QU’ILS AIMENT LES VIVANTS ?

ET EST-CE QU’ILS AIMENT LES VIVANTS ?

1.
Stephen King traduit par Michèle Pressé et Serge Quadruppani, « Le camion d’oncle Otto », in « Brume, (La Faucheuse) », J’ai Lu n°2579. Thématique de l’objet hanté et vengeur. Epouvante à tendance grotesque (non, l’huile de moteur n’est pas comestible). Que se passe-t-il entre les plis du temps ? Ce que nous ne pouvons voir et qui nous hante.

Dans ses notes de fin de volume, Stephen King écrit : « Le camion existe vraiment, et la maison aussi ; j’ai raconté l’histoire que je me racontais à leur sujet pour passer le temps au cours d’un long voyage en voiture. »

2.
Stephen King, « Livraisons matinales » et « Grandes roues… » in « Brume, La Faucheuse », aussi intitulées « laitier n°1 » et « laitier n°2 » : le loser contre le tueur en série. Bières et ressentiments contre meurtres gratuits et sophistiqués. Chacun de ces trouducs n’est jamais qu’un bipède prédateur à sa manière, d’une espèce différente, comme serpent et araignée. On peut comprendre que certains lecteurs n’aiment pas Stephen King pour cette lucidité. Je lui rends grâce, moi, à cette lucidité : que les bipèdes qui se croient créés par on ne sait quel bricoleur de génie appelé dieu, soient capables du meilleur comme du pire est une évidence, et que le pire, en fin de compte, finira par fiche l’espèce dite humaine au fin fond du définitif est aussi fatal que la petite moustache à Hitler. C’est ce que la littérature nous rappelle, qu’on sait déjà, qu’on ne veut pas s’avouer, parce qu’on est hypocrite. Et voilà tout.  

Citation :
« Il avait commencé à voir de drôles de choses aux limites de son champ de vision. La plus persistante était, dans le coin le plus éloigné, un énorme insecte enveloppé dans de la soie d’araignée. »

3.
Pendant que j’bouquine du Stephen King, il y a « La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz », de Luis Bunuel qui passe en espagnol. Comme je poutre en espagnol itou, ça ne me dérange pas du tout, ça fait comme de la musique qui accompagne ma lecture que l’on devine rapide.

4.
Stephen King, « La ballade de la balle élastique ». Elfes et folie. Ça cause aussi littérature : d’où vient l’inspiration ? La littérature peut-elle mener à la folie ou est-ce la folie qui ? La folie qui La folie qui folie qui folie qui On s’y laisserait prendre n’est-ce pas ? Cas de double folie ici : celui de l’auteur et aussi celui de l’éditeur. La nouvelle évoque aussi le conspirationnisme, autre nom pour la paranoïa. Jadis, les Occidentaux avaient peur du péril communiste, maintenant ils fascinent leurs angoisses en accusant les appareils électriques de troubler le cerveau, les vaccins de tuer, les milliardaires de comploter contre l’humanité, les mondialistes, les migrants, l’OTAN, l’UE, les « chemtrails », voient des nazis partout et voient en l’assassin Poutine un « sauveur de l’humanité ». Bref, la déraison court les rues et les réseaux sociaux, et bien entendu, comme dans l’excellente nouvelle de Stephen King, cela pourrait tourner mal, très mal.

Citation :
« - C’est très intéressant, dit l’écrivain, poursuivez votre raisonnement un peu plus loin, si ça ne vous ennuie pas. Quand donc la part irrationnelle s’arrête-t-elle en fait de jouer avec le pistolet pour le retourner contre elle-même ? »

5.
Pendant que je poissonne d’avril en mai ces lignes, j’entends cette phrase du film « Le Fantôme de la liberté », de Luis Bunuel, prononcée par le personnage d’un gendarme : « L’usine à gaz vient de sauter. Alerte générale ! » C’est rien ; ça m’amuse.

« Le Fantôme de la liberté », de Luis Bunuel (1974). Suite de scènes surréalistes basées sur les paradoxes : on signale la disparition et recherche une petite fille qui est pourtant là ; les photos choquantes ne le sont pas pour le spectateur mais le sont pour les personnages ; il y a compagnie d’étranges moines, ce qui est toujours amusant si l’on connaît l’étymologie du mot « moine » ; un condamné à mort signe des autographes ; la revenante donne un coup de téléphone et un rendez-vous : « il s’agit de comprendre le véritable mystère de la Mort », laquelle Mort est le sujet du film. Et puis, il y a le zoo, le zoo tandis que l’on entend des coups de feu qui font écho aux fusillades des pelotons d’exécution dans l’Espagne occupée par les troupes de Napoléon.

6.
Je viens d’entendre sur LCI le participe adjectivé « stagnées » au lieu de l’attendu « stagnantes » (je cite : « … les choses ne sont pas aussi stagnées que… ») : Influence anglo-américaine sur la formation des mots.

7.
La nouvelle « Le chenal » termine le second volume de « Brume ». Plus poétique que fantastique. La maladie, les souvenirs, la mort, la perspective d’un autre monde... Très beau texte, très mélancolique et très humain, destiné à devenir un classique.

Citation :
« Ce sont peut-être bien les questions du Chenal : Est-ce que les morts chantent ? Et est-ce qu’ils aiment les vivants ? »

Patrice Houzeau
Malo, le 20 mai 2023.

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