DU REEL DU VRAI ET DE LA FICTION GRAMMATICALE
DU REEL DU VRAI ET DE LA FICTION GRAMMATICALE
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« n'êtes-vous pas au fond en train de dire que tout, le comportement humain mis à part, n'est que fiction ? » - Quand je parle d'une fiction, c'est d'une fiction grammaticale. »
(Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques » 307) -
Dans quelle mesure fait-on preuve de mauvaise foi lorsqu'on dit que « tout est fiction » ? Peut-on supposer qu'un fait échappe à l'alternative du vrai et du faux pour rentrer dans celle du réel et de l'imaginaire ?
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Lorsque l'on écrit qu'un fait est avéré, parlons-nous du fait en soi ou du fait qu'il est vrai que le fait a été constaté ? Autrement dit, le fait en-soi, - le fait pur - existe-t-il ou n'est-il avéré que par la perception que nous en avons ? Autrement dit, le réel a-t-il un sens en soi ?
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Dans quelle mesure le comportement humain relève-t-il, ou non, de la fiction ? Puis-je expliquer les comportements du passé ? Comment expliquer une décision apparemment illogique ? L'Histoire peut-elle s'expliquer, ou n'est-elle qu'une nuit ?
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Comment expliquer toute décision humaine autrement que par des hypothèses ? L'ensemble des actions que nous appelons l'Histoire des humains est-il un ensemble de faits que nous ne pouvons expliquer que par des si et des peut-être ? L' Histoire est-elle hypothétique ?
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Lorsque j'ai recours à l'éthique pour juger d'un comportement, fais-je appel à la catégorie du « vrai » ou à celle du « réel » ? Autrement dit, est-ce que je juge en fonction de ce que devrait être le réel, ou mon jugement se base-t-il sur ce que je perçois du réel ?
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Si j'ai recours à la catégorie du « vrai » pour juger moralement un comportement du passé, suis-je un idéaliste ? Si j'ai recours à la catégorie du réel, suis-je un réaliste, un pragmatique ? Le monde politique se partage-t-il entre idéalistes et réalistes ?
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L'idéalisme est-il un universalisme ? Comment dès lors ne pas céder à l'essentialisme ? Est-ce dans cet essentialisme que les droits dits « naturels » puisent leur légitimité ? A contrario, le réalisme est-il un relativisme ? Ce relativisme est-il le fondement de « l'esprit des lois » ?
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Peut-on supposer que tout discours sur l'humain repose sur une « fiction grammaticale » ? Que ce n'est jamais qu'en fonction des structures d'une langue que nous jugeons des autres ?
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Dès lors, peut-on supposer sans mauvaise foi qu'une langue pourrait à la fois rendre compte du fait en soi et juger éthiquement de l'acte ? La Justice n'est-elle qu'un roman ? Et le débat contradictoire n'est-il qu'une scène de théâtre ?
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N'est-il pas vrai que c'est en jugeant en fonction du réel que nous sommes peut-être le moins injuste cependant que juger en fonction d'un vrai idéal revient à aveugler le réel par une lumière beaucoup trop intense pour la pauvre humanité que nous constituons ?
Patrice Houzeau
Malo, le 22 juillet 2020