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BREFS ET AUTRES
wittgenstein
22 juillet 2020

DU REEL DU VRAI ET DE LA FICTION GRAMMATICALE

DU REEL DU VRAI ET DE LA FICTION GRAMMATICALE

 

 

  1. « n'êtes-vous pas au fond en train de dire que tout, le comportement humain mis à part, n'est que fiction ? » - Quand je parle d'une fiction, c'est d'une fiction grammaticale. »
    (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques » 307)

  2. Dans quelle mesure fait-on preuve de mauvaise foi lorsqu'on dit que « tout est fiction » ? Peut-on supposer qu'un fait échappe à l'alternative du vrai et du faux pour rentrer dans celle du réel et de l'imaginaire ?

  3. Lorsque l'on écrit qu'un fait est avéré, parlons-nous du fait en soi ou du fait qu'il est vrai que le fait a été constaté ? Autrement dit, le fait en-soi, - le fait pur - existe-t-il ou n'est-il avéré que par la perception que nous en avons ? Autrement dit, le réel a-t-il un sens en soi ?

  4. Dans quelle mesure le comportement humain relève-t-il, ou non, de la fiction ? Puis-je expliquer les comportements du passé ? Comment expliquer une décision apparemment illogique ? L'Histoire peut-elle s'expliquer, ou n'est-elle qu'une nuit ?

  5. Comment expliquer toute décision humaine autrement que par des hypothèses ? L'ensemble des actions que nous appelons l'Histoire des humains est-il un ensemble de faits que nous ne pouvons expliquer que par des si et des peut-être ? L' Histoire est-elle hypothétique ?

  6. Lorsque j'ai recours à l'éthique pour juger d'un comportement, fais-je appel à la catégorie du « vrai » ou à celle du « réel » ? Autrement dit, est-ce que je juge en fonction de ce que devrait être le réel, ou mon jugement se base-t-il sur ce que je perçois du réel ?

  7. Si j'ai recours à la catégorie du « vrai » pour juger moralement un comportement du passé, suis-je un idéaliste ? Si j'ai recours à la catégorie du réel, suis-je un réaliste, un pragmatique ? Le monde politique se partage-t-il entre idéalistes et réalistes ?

  8. L'idéalisme est-il un universalisme ? Comment dès lors ne pas céder à l'essentialisme ? Est-ce dans cet essentialisme que les droits dits « naturels » puisent leur légitimité ? A contrario, le réalisme est-il un relativisme ? Ce relativisme est-il le fondement de « l'esprit des lois » ?

  9. Peut-on supposer que tout discours sur l'humain repose sur une « fiction grammaticale » ? Que ce n'est jamais qu'en fonction des structures d'une langue que nous jugeons des autres ?

  10. Dès lors, peut-on supposer sans mauvaise foi qu'une langue pourrait à la fois rendre compte du fait en soi et juger éthiquement de l'acte ? La Justice n'est-elle qu'un roman ? Et le débat contradictoire n'est-il qu'une scène de théâtre ?

  11. N'est-il pas vrai que c'est en jugeant en fonction du réel que nous sommes peut-être le moins injuste cependant que juger en fonction d'un vrai idéal revient à aveugler le réel par une lumière beaucoup trop intense pour la pauvre humanité que nous constituons ?

    Patrice Houzeau
    Malo, le 22 juillet 2020

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3 juillet 2020

LA POINTE DU JEU

LA POINTE DU JEU

 

  1. « Avec Philippe Nicaud dans le rôle de Rouletabille. Réalisation : Jean-Jacques Vierne ». De la nostalgie tout ça, de la nostalgie plein la bille. Le soleil à travers les volets de ma chambre en 1983. On ne remonte pas ce qui nous démonte. Une main s'abat sur la mouche.

  2. Peut-on dire qu'une langue est un instrument au sens où l'on dit que le piano est un instrument de musique ? En ce sens, les règles d'une langue seraient comme un solfège, et la littérature serait le champ des possibles ouvert par la grammaire.

  3. De même que le solfège précède la musique, que les règles du jeu précèdent la partie, la grammaire précède la littérature. Les règles ne codent qu'elles-mêmes. Les règles ne codent ni pièce de musique, ni partie d'échecs, ni poème. Elles sont la clé de cette parade sauvage.

  4. Ne codant qu'elles-mêmes, les règles de chaque jeu ont leur propre code. Solfège, grammaire, mathématiques, logique, langue des signes, etc..., autant de systèmes de notation des règles de ces jeux qui permettent de composer, de raisonner, de communiquer, de signifier.

  5. De même que le solfège n'est pas la musique, mais le système de notation d'un type particulier de musique, une langue n'est pas le langage mais l'ensemble des usages d'une langue. Dès lors, comment définir la musique, comment définir le langage autrement que comme les êtres d'une suite de sons et de syllabes ?

  6. Il est, comme l'écrit Wittgenstein, dans ses « Investigations philosophiques » (par. 569) que « les calculs dans un système de mesure » pourraient exiger « plus de temps et d'efforts que nous n'en pouvons fournir. » Tous les codes ne se valent pas.

  7. Ce à quoi renvoient les codes sociaux, c'est aux manières d'être humain. Le paradoxe étant que l'abolition de la peine de mort permet à d'épouvantables meurtriers de continuer à vivre cependant que nous vendons des armes qui tuent des innocents chaque jour.

  8. Il y aurait, comme le remarque Wittgenstein (cf « Investigations philosophiques, 564) « dans le jeu des règles essentielles et non essentielles ». Ainsi des codes sociaux qui vont des manières de se moucher aux décrets et lois, de l'échange d'opinions aux conflits sociaux.

  9. « Le jeu, aimerais-je dire, n'a pas seulement ses règles, mais aussi sa pointe. » (Wittgenstein, « Investigations philosophiques », 564). Que puis-je comprendre par ce mot de « pointe » ? Serait-ce l'esprit, l'être du jeu ? Ce qu'il révèle de l'humain : la maîtrise, la virtuosité, le grand style.

  10. L'administration prépare la partie, en éclaire les règles, les redéfinit au besoin, mais c'est toujours la maîtrise qui exécute le coup. Ecrivant ceci, j'ai en tête ces parties d'échecs dont chaque coup, dès le début de la partie, est prévisible jusqu'à l'inédit, le trait de génie, le coup de maître.

  11. Il y a sans doute un point où l'hypertrophie des règlements finit par étouffer la maîtrise. C'est là où la « pointe » s'émousse et où l'institution devient ce mammouth obèse, cette machine à circulaires, de plus en lourde, bavarde, prétentieuse, coûteuse, inefficace.

Patrice Houzeau
Malo, le 3 juillet 2020.

1 juillet 2020

DIABOLUS EX MACHINA

DIABOLUS EX MACHINA

 

 

  1. « A quoi donc est-ce que je crois, lorsque je crois à une âme dans l'homme ? » (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques » 422)

  2. Il fallait bien doter l'être humain d'une âme afin de l'autoriser à se reproduire, à se multiplier, à pulluler en toute conscience.

  3. Plus les humains sont nombreux, plus ils ont besoin d'être administrés, afin, bien entendu, que l'idée d'humanité restât plausible.

  4. En réponse au volontarisme combatif d'Achille, cette réplique d'Iphigénie, devise pour l'humanité, blason, tombeau :
    « Je le sais bien, Seigneur : aussi tout mon espoir
      
    N'est plus qu'au coup mortel que je vais recevoir. »
      
    (Racine, « Iphigénie », v.1531-32)

  5. Tout le mois de juin 2020, l'idée que d'ici une poignée de semaines, le Covid reviendrait nous décimer, fit son chemin en France. De 1945 à la fin du XXème siècle, nous avons vécu avec l'épée de Damoclès de la guerre atomique ; le XXIème innovait dans la pandémie virale à répétition.

  6. La surpopulation aiguise peu à peu nos consciences de telle sorte que nos âmes finiront par avoir une forme de couteau.

  7. L'humanité est un spectacle toujours varié et renouvelé, avec son diabolus ex machina infernale derrière le rideau.

  8. Je suppose que je ne suis pas le seul à penser avoir été toute sa vie dans l'à-peu-près et l'amateurisme, sauf dans l'écriture, laquelle fait parfois assez mal au dos.

  9. M'aurait-on menti ? La vie ne serait-elle donc pas si merveilleuse, ni l'avenir si radieux ?

  10. Je ne peux pas m'empêcher de faire des phrases. C'est ainsi que je me justifie à mes propres yeux tout en participant avec joie à la nécessaire entreprise du scepticisme.

  11. Les politiques français auront bon tenté de se dédouaner en arguant des mérites de leur administration, il est tout de même que, faute de moyens suffisants, bien des gens sont morts qui n'auraient pas dû ainsi mourir et bien des entreprises périssent d'incurie ministérielle.

Patrice Houzeau
Malo, le 1er juillet 2020.

25 juin 2020

DEVANT NOUS TOUS

DEVANT NOUS TOUS

 

 

  1. « Dirai-je qu'il signifie quelque chose « se trouvant devant nous tous » et que chacun pourrait, outre ce mot, en avoir un autre pour rendre sa propre sensation du rouge ? »
    (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques », 273)

  2. Aurions-nous, outre les mots que nous avons tous en commun, des noms secrets, et enfouis dans nos subconscients, pour désigner les êtres qui nous entourent ?

  3. Le mot « rouge » est assez riche de connotations pour qu'il puisse ne jamais tout à fait signifier la même chose pour bon nombre d'individus.

  4. Paraphrasant Wittgenstein, je puis écrire que le mot « dieu » signifie quelque chose nous concernant tous et que chacun pourrait, outre ce mot, en avoir un autre pour exprimer sa propre croyance en dieu.

  5. Le mot « dragon » désigne quelque chose qui semble échapper à la quotidienneté et le dragon est un être imaginaire. La table sur laquelle j'écris chaque jour est un étant. Il semble qu'il y aurait hyperbole à parler de l'être de la table. Et pourtant, les tables, lorsque nous les faisons tourner, c'est parce que, soudainement, les voilà visitées par des esprits.

  6. La croyance aux fantômes et aux poltergeists serait-elle une manière de conférer une dignité d'être aux choses ? De même le fétichisme, la collection, le bon goût, la fascination esthétique. Au fond, tout n'étant que matière vouée au néant, la valeur qu'on donne aux choses n'est jamais qu'une manière d'être humain.

  7. « Hélas ! Je me consume en impuissants efforts,
    Et rentre au trouble affreux dont à peine je sors.
    Mourrai-je tant de fois sans sortir de la vie ? »
    (Racine, « Iphigénie », v.1671-73 [Clytemnestre])

  8. Telle Clytemnestre, l'âme humaine se « consume en impuissants efforts », et ne sort d'une crise que pour rentrer dans une autre ; la voilà vouée à se demander combien de fois elle mourra avant de définitivement disparaître dans la nuit des espèces disparues.

  9. J'aime bien le clip réalisé par Tom Haines pour illustrer la chanson « I'm Not Your Dog », de Baxter Dury, le matin bleu d'une digue avec palmiers, quelques voitures passant dans l'arrière flou, immeubles et électricité lumineuse, et l'individu blessé.

  10. Il y a toujours un chien pour se souvenir que vous en êtes un autre.

  11. et l'individu blessé, seul, un os que chiperait un chien, et qui va vers la mer.

 

Patrice Houzeau
Malo, le 25 juin 2020.

24 juin 2020

AUTOUR DE LA FILLE SANS NOM

AUTOUR DE LA FILLE SANS NOM

 

 

  1. A la note 306 de ses « Investigations philosophiques », Wittgenstein écrit « Pourquoi nierais-je qu'il y a un processus intellectuel ? » et ceci, qui pourrait passer pour inutile en ce qui concerne la suite du raisonnement, met justement l'accent sur le processus intellectuel propre au fait de conscience.

  2. La majorité des députés ne semblant plus représenter la volonté nationale, il est nécessaire de dissoudre l'Assemblée. Un remaniement du gouvernement ne saurait palier cet état de crise latente, cependant que la gravité des événements commande un exécutif fort et ferme dans ses décisions.

  3. « Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles »
    (Apollinaire, « Le voyageur »)
    « Les villes » sont ici la métaphore de l'humanité, diverse et sans doute trop pleines de sens.

  4. « Avez-vous pu penser qu'au sang d'Agamemnon
      
    Achille préférât une fille sans nom »
     
    (Racine, Iphigénie, v.707-8 [Eriphile])

Ce qui n'a pas de nom n'existe pas. Eriphile existe bien en tant que fille, mais le doute sur sa lignée empêche qu'on l'aime, bien qu'Iphigénie la jalousât.

  1. « Je me suis laissé approcher par qui ne me questionnait pas,
      
    je me suis laissé trouver par qui ne me cherchait pas. »
      
    (La Bible de Jérusalem, « Isaïe », 65, 1)

  2. Ce n'est pas tant le style qui effraie l'administratif, que cette fronde de la langue du grand style.

  3. Les êtres qui n'ont pas de nom n'existent pas. Ils sont là pourtant, dans l'invisible. Qu'on les nomme et ils se manifestent. Ils sont légion.

  4. Nous avons inventé les démons et les démons nous ont tourmentés. Nous avons inventé nos amours et nos amours ont orienté nos vies.
    Ce n'est que par les noms que les êtres font sens. En dehors des noms, ils ne sont que radicale étrangeté.

  5. Puis-je dire que le jeu d'échecs se définit par l'ensemble des parties jouées et des règles qu'on en a déduites ?

  6. Ce n'est pas une fine connaissance des stratégies du jeu qui en change les règles, cependant qu'elle en change la pratique, qu'elle en définit la grammaire.

  7. Ce n'est pas une fine connaissance des pratiques d'une langue qui en change la grammaire, cependant qu'elle en influence l'usage, lequel demande justement qu'on pratiquât la langue.

  8. Ce qui fait la complexité de l'humain, c'est qu'il fait jeu de la langue, qu'il en multiplie tellement les usages que nul dieu n'y retrouve ses créatures.

  9. Le politique court après la complexité de l'humain, et pour cela ne cesse d'inventer de nouveaux mots, lesquels font rire, quand ils ne font pas pleurer.

Patrice Houzeau
Malo, le 24 juin 2020

 

 

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21 juin 2020

AU-DELA DES EXEMPLES

AU-DELA DES EXEMPLES

 

 

  1. « Il y aura la mort tu le sais mon amour
    Il y aura le malheur et les tout derniers jours »
    (Michel Houellebecq, « Derniers temps »)

  2. Il y eut tant de il y eut et donc tant de il y a, qu'il y a fort à parier qu'il y en aura, des il y a qui seront comme des gouttes d'eau semblables à bien des il y eut là.

  3. Il y aura des gares et des ports, des hangars, de petits et grands trésors, du saindoux et des côtes de porc, des camarades, des amours, la camarde, mon amour.

  4. Il y aura des clés et des sorts, histoires, rires et chansons, pleurs et malheurs, petits et grands romans, du coq au vin, des couteaux, des amours, des tombeaux, mon amour.

  5. « L'enseignement qui veut en rester aux exemples donnés se distingue de celui qui « désigne ce qui est au-delà » des exemples. »
    (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques », 208)

  6. Qu'il y a-t-il « au-delà des exemples ? » - Une règle, une loi, que les exemples indiquent, mais ne prouvent pas. L'exemple renvoyant sans cesse au contre-exemple, une vie exemplaire ne prouve pas qu'il y ait universalité du Bien.

  7. La folle horloge qui désire ne pas sonner toutes les heures n'est pas la sœur de celle qui sonne la dernière de nos heures. Autrement dit, il ne faut pas confondre toquante qui déménage et exactitude de la fatale.

  8. « celle-ci [la société civile] réussit souvent à s'auto-organiser pour prévenir l'apparition d'un Etat qui prétend s'ériger en pouvoir absolu. »
    (Bertrand Badie, Pierre Birnbaum, « Sociologie de l'Etat »)

    La politique a pour but d'empêcher que la puissance publique n'en vienne à exercer un pouvoir quasi absolu sur l'ensemble de la société civile, tout en veillant à ce que la nécessaire liberté individuelle de chacun ne finisse par mettre en péril la continuité de l'Etat.

  9. Empêcher le roi de mettre son peuple en esclavage et empêcher le peuple de trancher la tête de son souverain est tout l'art du législateur. L'Histoire oscille sans cesse entre le fouet et la hache.

  10. Sous la Vème République, le pouvoir présidentiel est tel que, d'une certaine manière, le roi est nu. Parce qu'elle se présente comme incontestable, l'autorité du président est nécessairement contestée. C'est ainsi que, paradoxalement, un pouvoir qui se veut fort tend aisément le bâton pour se faire battre.

  11. La modernité a fait de l'administratif et de l'économique deux redoutables instruments de pouvoir. C'est ainsi que depuis quelques décennies, nous assistons à la promotion d'une nouvelle caste dominante que nous désignons par le nom peu flatteur de technocratie.

  12. Lorsque l'administratif prend le pas sur l'économie (centralisme bureaucratique de type soviétique), ou lorsque le monde économique bafoue les règles de l'administration d'Etat (néo-libéralisme), il se produit un déséquilibre qui, en cas de crise, peut être fatal et pour l'économie et pour la puissance publique. La démocratie sociale européenne tend à jouer le rôle de trait d'union entre ces deux monstres en puissance : le monde de la libre entreprise et le monde des règles et des lois.

  13. Dans les pays ultra-libéraux, la tentation du néo-conservatisme, du « politiquement correct » et de la judiciarisation à outrance est une manière de palier la violence des rapports sociaux induite par des écarts de richesse de plus en plus importants et ressentis comme injustes.

  14. Les pays où l'Etat se veut tout puissant (comme la Chine actuelle) s'appuient sur l'armée, la police, la censure et le parti unique pour faire régner un ordre menacé, lui aussi, comme aux Etats-Unis, par des écarts de richesse de plus en plus évidents.

  15. Pays ultra-libéraux et Etats tout puissants sont devant le même problème : l'hypertrophie possible de leurs appareils de production, de leurs complexes militaro-industriels, de leurs bureaucraties. Ils s'enrichissent d'autant plus vite qu'ils se fragilisent, se concurrencent et, comme nous l'avons vu récemment avec la crise du Covid-19, se déconsidèrent et perdent en crédibilité.

Patrice Houzeau
Malo, le 21 juin 2020.

17 juin 2020

LES MOTS PERMETTENT TOUT

LES MOTS PERMETTENT TOUT

 

 

  1. Franche occasion de rigolade que cette session du baccalauréat 2020 que je résumerai ainsi : foutaise, foutaise et technologie. Zêtes pas d'accord ? Zavez raison.

  2. Mélancolie en songeant à tous ces spécialistes de philosophie politique ou de littérature médiévale sommés par l'administration de remplir le bordereau xyz avant telle date « impérativement » pour que des « apprenants » plus ou moins crédibles obtiennent un diplôme dont la valeur est de jour en jour plus relative.

  3. « Par exemple, dans l'état de nature (tous les Etats sont dans l'état de nature, les uns au regard des autres),... » (Locke traduit par David Mazel, « Traité du gouvernement civil »)
    En effet, malgré tous nos beaux discours, le droit du plus fort est toujours en vigueur dans nos décidément pénibles relations internationales.

  4. « Mais les mots permettent tout. » (Alain, « De la connaissance discursive »).
    Le politique a bien compris cette leçon qui ne cesse d'utiliser « éléments de langage », éditorialistes zélés et mensonges par omissions, brefs ce que l'on appelle la propagande.

  5. « J'y ai trouvé cette remarque d'importance que l'imagination peut lier toutes les images n'importe comment, ce qui écarte les petits systèmes du modèle anglais où la machine produit des chaînes de pensées à l'image de l'univers. » (Alain, « De la connaissance discursive »)

  6. 1) Tous les êtres humains sont égaux en droit.
    2) Le nombre d'êtres humains ne cesse de croître en dépit de la rareté naturelle.
    3) Le libéralisme non seulement économique, mais aussi politique (c'est-à-dire basé sur la liberté individuelle) est le seul rempart contre les dictatures de gauche et de droite qui s'annoncent.
    4) Ne jamais considérer qu'une prise de pouvoir par l'armée est impossible. Les militaires sont des gens qui réfléchissent.

  7. Le plus difficile est de reconnaître non seulement ses erreurs, mais aussi ses faiblesses. Pour moi, j'avoue que la lucidité me montre assurément des défaillances, auxquelles je suis souvent empêché de remédier par la faute d'un orgueil dont ma mère disait qu'il était « mal placé ».

  8. Ai été hier encore l'objet d'une tentative de manipulation de la part d'un collègue très respecté. C'est que, s'il est bien mieux vu que moi, il est cependant assez intelligent pour se rendre compte de ce que je suis et qui est tout mon orgueil.

  9. Qu'ils quittent leur travail, et ils ne seront plus rien. Ma seule limite est dans mes faiblesses. Mon travail n'est que l'une de mes activités, et bien entendu, je n'ai pas été aussi sot qu'eux qui mettent leur peu de dignité dans leur progéniture.

  10. « Si nous connaissons la machine, n'importe quoi d'autre, à savoir les mouvements qu'elle fera, paraît être déjà entièrement déterminé. »
    (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques »)

    C'est ce que je pense de l'Etat bureaucratique vers lequel, inéluctablement, nous allons. Le seul antidote réside dans le singulier (voilà pourquoi Céline, Rimbaud, De Gaulle et « The Man On The Moon » nous sont si précieux).

  11. La bureaucratie n'a pas besoin de gens comme moi. La légitimité, oui. Je dois être le seul professeur de Lettres de LP à dire que la plupart des cours (hors ceux donnés en enseignement professionnel) sont inutiles et contre-productifs. Cela me rend mélancolique et contre tous.

  12. Attention à la dernière lubie de Blanquer : Les « vacances apprenantes », outre que ça va coûter bonbon, m'apparaissent comme une tentative de plus pour infuser dans l'opinion les éléments d'une idéologie du « vivre ensemble » aussi dangereuse qu'illusoire.

    Patrice Houzeau
    Malo, le 17 juin 2020.

13 juin 2020

DONC QUI VEUT DIRE QUELQUE CHOSE

DONC QUI VEUT DIRE QUELQUE CHOSE

 

 

  1. « Donc qui veut dire quelque chose, doit aussi posséder une langue ; et pourtant il est clair que le fait de vouloir parler ne l'oblige pas de parler. »
    (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques », 338)

  2. Le réel signifie par ce que l'humain veut dire.

  3. L'univers est un malentendu. Les dieux sont trop loin. Ils n'entendent que des échos, qu'ils prennent pour des prières, alors que ce sont des imprécations.

  4. « Il y avait certaines habitudes qui constituaient la vie et voilà qu'il n'y a plus rien du tout »
    (Michel Houellebecq, « Les insectes courent entre les pierres »)

  5. Apprendre à vivre revient-il à donner du sens, malgré tout, à une suite d'habitudes ?

  6. La publication est une habitude. Chaque rentrée littéraire apporte son lot de livres qui n'ont qu'un seul but : affirmer que la littérature n'est pas morte et que l'humain est donc toujours aussi habile dans l'art de se raconter des histoires.

  7. Le langage donne raison et affole, et l'esprit devient ce qu'il est : une toupie.

  8. « Je n'entends pas que dans le cas de l'expression de l'intention « j'absorberai des comprimés » la prédiction soit la cause et son accomplissement l'effet. »
    (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques », 632)

  9. La prédiction n'est pas la cause mais un commentaire de la cause. Parler, c'est enquêter sur le réel.

  10. Le livre en ce qu'il raconte une histoire est un mensonge. La vérité est dans le style. Je me fiche de Julien Sorel tandis que la rapidité stendhalienne renvoie à la nécessaire rapidité du monde.

  11. Les habiles scénarios de Tarantino ne seraient rien sans sa virtuosité de cinéaste. La construction scénaristique n'est pas au service d'une vérité de l'histoire (ce ne sont que des bêtises) mais au service d'une vérité du style. Tarantino nous est donc très précieux qui ne prétend pas révéler on ne sait quelle vérité profonde de l'histoire du monde, mais nous rappelle que le style fascine.

  12. A contrario, les auteurs engagés tissent des leurres qui prétendent nous apprendre quelque chose mais ne font jamais que nous engluer dans le politique.

  13. La littérature ? Un malentendu : les gens croient lire des histoires alors qu'ils ne lisent que du style.

  14. Lorsque les gens se rendent compte à quel point les livres leur mentent, leur racontent des histoires, il arrive qu'alors l'imprimé les déprime.

  15. Le professeur qui affirme que « Le Rouge et le Noir » apprend aux élèves quelque chose sur l'amour est soit un sot, soit un menteur.

  16. Il y a derrière chaque toile narrative une araignée téléologique : lisez ce roman et vous comprendrez pourquoi la peine de mort, c'est pas bien. Fichaise. J'aime beaucoup « L'Etranger » de Camus et je suis pour la peine de mort.

  17. La littérature n'apprend rien que sur la fascination. En ce sens, « Don Quichotte » est un chef d’œuvre : si vous prenez pour argent comptant ce que racontent les romans, les ailes des moulins à vent vous perdront.

  18. La politique est sans doute la plus dangereuse des fictions, à laquelle nous sommes contraints d'adhérer sous peine de chuter dans le réel.

  19. « Kill Bill » de Tarantino est en effet très précieux : par quoi exactement sommes-nous fascinés lorsque nous contemplons cette suite de combats au sabre, cette hécatombe chorégraphiée ?

  20. La parodie, la dérision, l'hyperbole sont autant de manières de déjouer les pièges de la littérature engagée. Rire à San-Antonio peut éviter de niaiser avec Hugo.

    Patrice Houzeau
    Malo, le 13 juin 2020.

6 juin 2020

NUL MATIN NE REVIENT

NUL MATIN NE REVIENT

 

 

  1. « D'autres illusions viennent de divers côtés se rattacher à celle, particulière, dont il est question ici. La pensée, le langage, nous apparaissent comme la corrélation unique du monde, comme son image. »
    (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques », 96)

  2. Que la pensée et le langage dont elle procède soient considérés « comme la corrélation unique du monde » n'implique pas que le langage soit « l'image » du monde.

  3. Le langage, parce qu'il permet à l'humain de penser le réel, est créateur du monde. C'est en cela qu'en effet, comme le dit saint Jean, « au commencement était le Verbe ».

  4. Le monde est un jeu de mots, un « malentendu » : « Par un malentendu il nous semble que la proposition fasse quelque chose de singulier. » (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski , « Investigations philosophiques », 93).

  5. Le réel en soi est indicible tant que le langage n'a pas fait l'inventaire de ce qui est là et qui, faute de mots, nous reste invisible.

  6. Le langage est un miroir qui invente son spectre, son imprévisible spectre. Que ce miroir soit sans tain est une affaire de croyance.

  7. Notre langue nous paraît logique car elle procède de la raison. Le monde que le langage induit nous semble donc intelligible. Cependant l'on voit bien que quelque chose cloche et que le monde est aussi absurde que le discours de celui qui se prend pour un autre.

  8. Comment se fait-il que l'apparente perfection de la grammaire ne nous donne jamais qu'un monde au mieux imparfait, au pire fou furieux ?

  9. L'humain finit toujours par se lasser de ses trésors. Le grand et beau style des XVII et XVIIIème siècles a cédé la place à une langue de plus en plus pauvre, bureaucratique, anglo-fonctionnelle et d'une pitoyable vulgarité.

  10. Quand ma mère est morte, j'ai pensé à la jeune fille d'il y a longtemps qui est morte avec elle.

    « Merlin guettait la vie et l'éternelle cause
    Qui fait mourir et puis renaître l'univers »
    (Apollinaire, « merlin et la vieille femme »)

    Quand ma mère est morte, j'ai pensé que cette jeune fille et tous ses désirs, et toutes ses illusions, ne reviendrait jamais.

  11. Merlin a beau guetter, nul matin ne revient.

 

Patrice Houzeau
Malo, le 6 juin 2020.

1 juin 2020

CE QUI NE PEUT ETRE SANS QUE CELA SOIT

CE QUI NE PEUT ETRE SANS QUE CELA SOIT

 

  1. Le ciel est bleu ; la plouze est verte et les gens blancs ;
    Y a un tueur dans l'air et nous sommes masqués.
    Tout est normal, prévu, voulu, tenu, o.k.
    Le monde continue d'tourner, évidemment.

  2. Que nous ne soyons que très peu capables de changer de modèle de croissance n'implique pas que ce changement ne se fera pas. Et ce que nous ne ferons pas de nous-mêmes nous sera imposé par l'horreur des circonstances.

  3. Ce n'est jamais que devant l'horreur qu'une civilisation consent à se réformer en profondeur. Il a fallu deux guerres mondiales et la Shoah pour que l'Europe se mette enfin à songer sérieusement à la paix.

  4. « Et si nous la retenons, elle surgit donc devant notre œil spirituel, dès que nous en prononçons le nom. Elle doit donc être indestructible en soi, si la possibilité doit exister de nous en souvenir à tout moment. »
    (Wittgenstein traduit par Pierre Klossowski, « Investigations philosophiques », 56)

  5. Ce dont nous nous souvenons et que la conscience convoque, est en soi en ce sens que cela signifie toujours quelque chose pour quelqu'un. Les êtres, imaginaires ou pas, échappent à notre durée, et y sont radicalement indifférents.

  6. Conan Doyle est mort en 1930 mais nous cherchons toujours à définir « Sherlock Holmes » cependant que nous nous attachons à produire des biographies toujours plus exactes de son créateur.

  7. Ce qui est « indestructible en soi », c'est autant une qualité (par exemple, une couleur) que ce qui ne peut être sans que cela soit, ici la conscience de cette qualité. Ce qui ne peut être sans que cela soit est le nom de l'être.

  8. L'arbitraire des signes relativise toute qualité (chaque langue invente un monde, etc...), mais il n'en reste pas moins que le langage ne peut être sans que cela soit. Dès que je parle, je mets en œuvre une langue qui n'a pas d'autre justification que le fait que je m'en empare.

  9. Ce ne sont jamais que des mots que nous avons en mémoire. Ce dont nous nous souvenons et que nous croyons si réellement vrai n'est qu'habitude de langage, voire abus, idiosyncrasie. Il n'en reste pas moins que l'habitude est la chose du monde la mieux partagée.

  10. « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.
    Il était au commencement en Dieu.
    Tout par lui a été fait, et sans lui a été fait rien de ce qui existe. »
    (Prologue de l'Evangile selon saint Jean, traduit par Augustin Crampon)

  11. L'univers suppose un créateur. Ce créateur ne peut être qu'étant nommé cependant que nous ne pouvons le définir qu'en le désignant par ce « Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut » qui signifie à la fois Dieu et le Verbe, ce qui ne peut être sans que cela soit. « Muss es sein ? Es muss sein. »

Patrice Houzeau
Malo, le 1er juin 2020.

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