UN OS DIS LA FILLE DE MINOS ET DE PASIPHAE RIS PAS OH
UN OS DIS LA FILLE DE MINOS ET DE PASIPHAE RIS PAS OH
Notes et amusettes sur les vers 1 à 36 de « Phèdre », de Racine.
1.
Hippolyte quitte Trézène. Honte de lui-même, Hippolyte. Un « doute mortel » et des dentales pour rythmer. Où est passé son royal daron ? Où est passé le roi d'Athènes ? Où est passée « une tête si chère » ? Faudrait peut-être le savoir, - c'est la « tête », c'est donc capital -, pis quand faut y aller, faut y aller ; ce qui a permis à Racine de composer les sept premiers alexandrins de son « Phèdre » :
« Le dessein en est pris, je pars, cher Théramène,
Et quitte le séjour de l'aimable Trézène,
Dans le doute mortel dont je suis agité
Je commence à rougir de mon oisiveté.
Depuis plus d'un six mois éloigné de mon père
J'ignore le destin d'une tête si chère.
J'ignore jusqu’aux lieux qui le peuvent cacher. »
(Racine, « Phèdre », I,1, v.1-7 [Hippolyte])
2.
Théramène s'interroge. Où chercher, dans quel état errer, car si dans cet état j'erre, et que ne le trouve point dans cet état, pis que dans cet état, de guerre lasse, je déprime, alors hein. Théramène a beaucoup cherché, et en courant encore ! Dans la mer Egée et la Ionienne, il est allé, ah oui, puis jusqu’aux abords de la demeure des morts ; ailleurs aussi qu'il a poussé ses aléas. Thésée veut-il qu'on lui fiche une paix royale ? « Qui sait même, qui sait » ?
Qui sait même, qui sait si encore je t'aime
Ou si je préfère, ah, oui ! la tarte à la crème
Avec des abricots ? Qui sait même, qui sait
Où qu'elle est où donc hein la deuxième chaussette
Et si j'aime mieux le tambour à la trompette ?
J'te demande Qui c'est-y qui sait ? Hein ? Qui sait ?
Car, si ça se trouve, il prend du bon temps, Thésée.
« Et dans quels lieux, Seigneur, l'allez-vous donc chercher ?
Déjà pour satisfaire à votre juste crainte,
J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe.
J'ai demandé Thésée aux peuples de ces bords
Où l'on voit l'Achéron se perdre chez les morts.
J'ai visité l'Elide, et laissant le Ténare,
Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare.
Sur quel espoir nouveau, dans quels heureux climats
Croyez-vous découvrir la trace de ses pas ?
Qui sait même, qui sait si le roi votre père
Veut que de son absence on sache le mystère ?
Et si lorsque avec vous nous tremblons pour ses jours,
Tranquille, et nous cachant de nouvelles amours,
Ce héros n'attend point qu'une amante abusée... »
(Racine, « Phèdre », I,1, v.8-21 [Théramène])
3.
Respect à Thésée. Thésée n'est plus le déluré qu'il fut. Phèdre (c'est sa légitime) n'est point cocue. Hippolyte tient à l'honneur de la famille (c'est qu'on n'est pas chez Molière) . Hippolyte « n'ose plus voir ». Déni, ou, au contraire, lucidité et discrétion ? Où ai-je lu que René Char se référait souvent à l'art racinien ? Il est vrai qu'avec des formules comme « Ce héros n'attend point qu'une amante abusée... » ou « Et fixant de ses vœux l'inconstance fatale », on peut faire dans le genre : Il n'attend ni l'amante abusée, ni l’équarrisseur fourmillant. Il sait depuis l'éclat de l'aube, prendre la pointe pour fixer de ses vœux la fatalité aux allures d'inconstante, et si c'est du riz, alors j'aime ça.
« Cher Théramène, arrête, et respecte Thésée.
De ses jeunes erreurs désormais revenu,
Par un indigne obstacle il n'est point retenu.
Et fixant de ses vœux l'inconstance fatale,
Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.
Enfin en le cherchant je suivrai mon devoir,
Et je fuirai ces lieux que je n'ose plus voir. »
(Racine, « Phèdre », I,1, v. 22-28 [Hippolyte])
4.
Théramène s'interroge encore (c'est un spéculatif s't'homme-là). Hippolyte fuit-il le bonheur avant qu'il ne finisse la salade de fruits ? Théramène, perspicace, subodore du « péril » ou « plutôt » du « chagrin » (il est psychologue, s't'homme-là).
« Hé depuis quand, Seigneur, craignez-vous la présence
De ces paisibles lieux, si chers à votre enfance,
Et dont je vous ai vu préférer le séjour
Au tumulte pompeux d'Athènes, de la cour ?
Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ? »
(Racine, « Phèdre », I,1, v.29-33 [Théramène])
5.
Hippolyte ne prononce pas le nom de celle dont la présence a « changé la face » de tout, et, à la place, balance une périphrase qui vaut son pesant de fatalité.
« Cet heureux temps n'est plus. Tout a changé de face
Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé. »
(Racine, « Phèdre », I,1, v. 34-36 [Hippolyte])
Patrice Houzeau
Malo, le 17 décembre 2022.