RESTE L'ENIGME ET C'EST TANT MIEUX
RESTE L'ENIGME ET C'EST TANT MIEUX
Peu importe qu'après tant d'années, je ne puisse pas proposer un sens exact au poème « Mémoire » de Rimbaud. Je l'aurai souvent lu. Fascination pour la beauté des énigmes, pour « L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes ».
« L'eau claire ; comme le sel des larmes d'enfance,
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes »
Parfois mis en boucle dans ma caboche, ces deux vers de Rimbaud.
L'ironie de la mémoire. Les sifflantes. L'été. Zut qui siffle.
« la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la défense »
L'Oriflamme, c'est d'abord l'étendard de Charlemagne dans la « Chanson de Roland ». Du latin « aurea flamma » : « flamme d'or », nous castagnette Wikipédia.
L'Oriflamme, c'est aussi l'étendard de Saint-Denis et celui des Rois de France. Est-ce pour éviter de porter l'Oriflamme sans pitié (il signifiait aussi : pas de quartier et était appelé, nous sonducorne Wikipédia, « l'oriflamme de la mort ») que Jeanne eut son propre étendard ?
Tableau de bataille. Ou d'ordre de bataille. Ou de ville libérée, ou défendue par « quelque pucelle ». On pense à Jeanne d'Arc, à cause des mots « lys pur » et « pucelle ». Mais pourquoi commencer par « l'eau claire » ?
Les sons, bien sûr : « le sel ; enfance ; l'assaut au soleil ; la soie ; lys ; sous ; défense ; pucelle ; sous les murs ». Rythme binaire, ternaire aussi : « L'assaut / au soleil / des blancheurs / des corps / de femmes ».
Les sons : « lys pur » / « pucelle ». Renversement. Il y a le « s ». Il y a aussi le « f » : « enfance ; femmes ; foule ; oriflammes ; défense ». La poésie renvoie aux musiques de la langue. D'où les comédiens et l'art classique des nuances.
Cela fait mouvement, remous, ce rythme appuyé sur le « f » de « foule » puis le « p » de « pur » : « en foule et de lys pur », la troisième syllabe, muette entraînée par la première de la mesure suivante.
« l'ébat des anges ; - Non... le courant d'or en marche,
meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. »
Y avait-il des anges sur l'étendard de Jeanne d'Arc ? De l'or ? Des lys d'or ? Jeanne sur les cartes. Les bras des fleuves. Les herbes foulées, relevées.
Est-ce un « ébat des anges » écrit Rimbaud. Le poème donne la réponse : « Non... ». Le texte comme un débat, un compte-rendu des interrogations du spectateur. Il voit un « courant d'or en marche », des « bras, noirs, et lourds ». Le mouvement importe, la « marche ».
« Elle
sombre, avant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle
pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche. »
Le « ciel-de-lit », ce sont les ornements et les rideaux qui baldaquinent au dessus d'un lit. Une mort annoncée ? Celle qui sombre appelle l'ombre.
On songe aux vieilles royautés catholiques. Le « lys pur » et ce « Ciel bleu » d'où viendraient les « anges », ou les « bras noirs », ou « l'or » des visions, des apparitions ; « la colline », « l'arche », l'appel. Ce « Ciel bleu », c'est son « ciel-de-lit ». Qui est-Elle, qui sombre et appelle ?
Peu importe que le sens exact du poème échappe. C'est ainsi que l'auteur retient l'attention de l'amateur de mystères. Sans doute l'université a retrouvé trace du tableau, du catalogue. Fort utile pour un cours, une thèse. Reste l'énigme, l'être du poème.
Patrice Houzeau
Malo, le 20 avril 2023.