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20 décembre 2023

L'ETRANGE BEAUTÉ DE LEUR MYSTERE

L'ETRANGE BEAUTÉ DE LEUR MYSTERE

« Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l'évidence de leurs raisons, mais je ne remarquais point encore leur vrai usage, et, pensant qu'elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m'étonnais de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n'avait rien bâti dessus de plus relevé. Comme au contraire je comparais les écrits des anciens païens qui traitent des mœurs à des palais fort superbes et fort magnifiques, qui n'étaient bâtis que sur du sable et de la boue ; ils élèvent fort haut les vertus, et les font paraître estimables parmi toutes les choses qui sont au monde, mais ils n'enseignent pas assez à les connaître, et souvent ce qu'ils appellent d'un si beau nom n'est qu'une insensibilité, ou un orgueil, ou un désespoir, ou un parricide. »
(Descartes, « Discours de la méthode », Première partie, Le Livre de poche n°2593, p.98).

Lorsque Descartes commence un paragraphe du « Discours de la méthode » par « je me plaisais surtout aux mathématiques », ce ne sont pas les goûts et les couleurs du philosophe qui importent mais l'intérêt qu'il porte à la « certitude » et à « l'évidence de la raison » que les raisonnements logico-mathématiques révèlent.
Ce n'est pas ses goûts qu'il met en évidence mais le fait de s'être trompé sur leur vraie nature, « pensant qu'elles ne servaient qu’aux arts mécaniques », et ne sachant pas que les mathématiques recèlent dans le vertige des équations des univers qui nous restent concrètement invisibles, soit qu'ils n’existent pas (les équations sont pleines d'êtres efficaces que nous appellerions peut-être d'autres dieux dans le tissu d'illusions qui constitue notre réel), soit qu'ils existent mais que nous sommes insuffisants à les percevoir.
Nulle transcendance, en apparence, dans les mathématiques appliquées cependant que le philosophe s'étonne «  de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n'avait rien bâti dessus de plus relevé. »
Cela lui permet une comparaison et de passer de l'abstraction chiffrée à l'humanité des « mœurs » telles qu'elles furent décrites par les « écrits des anciens païens » : « des palais fort superbes et fort magnifiques » dit-il, mais, considérant que leurs fondations sont si peu solides – du « sable et de la boue » -, on ne peut donc s'y fier, pas plus qu'on ne se fie au seul temps qui passe pour nous révéler des vérités fondamentales et que l'ordinaire des humains, trop humains est souvent bien plus près de la « boue » que du ciel des idées.
Ces « écrits des anciens païens » n'insultent pourtant pas les « vertus » et au contraire les « élèvent fort haut, et les font paraître estimables parmi toutes les choses qui sont au monde », mais d'une manière si artificielle, soit qu'elles ne sont jamais qu'une somme de préceptes, soit qu'elles se complaisent dans l'arbitraire des dogmes et l'illusion des traditions, que « souvent ce qu'ils [les écrits des anciens païens] appellent d'un si beau nom n'est qu'une insensibilité, ou un orgueil, ou un désespoir, ou un parricide. » Ces derniers mots me sont des énigmes. Je ne doute pas que doctes commentateurs et savants spécialistes ont su depuis longtemps expliquer la signification de cette « insensibilité », de cet « orgueil », de ce « désespoir » et de ce « parricide ». Pour ma part, je ne me les explique pas, et m'en tiens à l'étrange beauté de leur mystère.

Patrice Houzeau
Malo, le 20 décembre 2023.

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