L'HUMANITE PROGRESSE MAIS AVEC UN ENTONNOIR SUR LA TÊTE
L'HUMANITE PROGRESSE MAIS AVEC UN ENTONNOIR SUR LA TÊTE
1.
« Il y avait seulement ceux qui disaient que c'était vrai et ceux qui disaient que ça n'était pas vrai. »
(Jean Giono, « Un Roi sans divertissement »)
Vérité et non vérité. Chacun y cherche son chat, lequel s'en moque effrontément, félinement, fantastiquement.
Il y a quelques années, la langue, le français, employa l'adjectif « fantastique », de manière hyperbolique, pour signifier l'étonnement dans des structures de type « c'est fantastique, comme tu as du mal à... ». Mon père disait parfois : « C'est quand même formidable, comme... »
2.
« - Mien, tien. - « Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants ; c'est là ma place au soleil. » Voilà le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre. »
(Pascal, « La Justice et la raison des effets »)
Le « commencement et l'image ». L’événement implique sa représentation. Seul Dieu y échappe. Toute représentation du Créateur étant vaine et mensongère par définition.
3.
« - Je ne veux pas m'en aller, dit le chat, je n'ai pas encore bu mon café. »
(Boulgakov, « Le Maître et Marguerite »)
- Je ne veux pas m'en aller, dit Zut, je n'ai pas encore retrouvé mon ombre.
4.
« - Eh bien !, accordez-moi que c'est une triste chose, lorsque l'amour au lieu de faire la félicité de la vie, en devient la calamité... C'est sans doute ainsi que Dieu nous aime ! »
(André Gide, « Les Faux-monnayeurs » [La Pérouse])
Qui sait de quoi est fait l'amour que Dieu est censé nous prodiguer ? Du reste, pourquoi Dieu serait-il aimant envers ses créatures ? Ne lui suffit-il pas de se consterner au spectacle de notre incommensurable bêtise ?
5.
Parmi les livres que je garderai pour m'accompagner le reste de mes jours, et de mes nuits, je compte « Les Faux-monnayeurs » de Gide et « Un Roi sans divertissement » de Giono. Ces deux textes me fascinent par leur construction et leur lucidité.
Il m'arrive de consulter des recueils de citations. J'aime assez ces collections de fusées, d'éclairs, de flèches de la raison et du style contre la bêtise et la vulgarité. Que ces citations soient commentées ne me gêne pas, au contraire. Pédanterie ? Perhaps.
6.
« Pour obtenir cet effet, suivez-moi, j'invente un personnage de romancier, que je pose en figure centrale ; et le sujet du livre, si vous voulez, c'est précisément la lutte entre ce qui lui offre la réalité et ce que, lui, prétend en faire. »
(André Gide, « Les Faux-monnayeurs » [Édouard])
Le vrai sujet de la littérature : l'énigme de la représentation. Du réel et son double, lequel ne peut être qu'un trompe-l’œil cependant qu'il structure notre regard.
7.
« Quand nous disons donc que les sens nous représentent les objets tels qu'ils nous apparaissent, mais l'entendement tels qu'ils sont, cette dernière manière de s’exprimer est à prendre dans une signification non pas transcendantale, mais simplement empirique »
(Kant traduit par Alain Renaut, « Critique de la raison pure »)
Y a gourance sur l'en-soi, le radicalement inconnu, sans doute inaccessible, quoique les équations pourraient bien en faire tomber quelques masques. Maintenant, ce qu'il y a derrière ce « en », du diable si j'en sais quelque chose !
8.
L'une des œuvres que j'aurai le plus entendue est « Atom Heart Mother » de Pink Floyd. J'en écoute, pour l'heure et sur You Tube, une version enregistrée par les « Pink Tones » en 2014 dans l'amphithéâtre romain de Segobriga (avec un accent sur le o, c'est en Espagne).
9.
« - Et qu'est-ce que tu vas foutre d'un labyrinthe ?
-
Eh bien, qu'est-ce qu'on fait d'un labyrinthe d'habitude ?, me dit-il.
-
Je ne sais pas, lui dis-je, j'ai pas l'habitude de ces trucs-là. Moi je n'en fais rien en tout cas.
-
Eh bien, moi je m'en sers pour me promener, dit-il. »
(Giono, « Un Roi sans divertissement » [Le narrateur et Langlois])
Il y a les amateurs de labyrinthes, qui affirment, avec un brin de forfanterie, que ce sont là leurs promenoirs, et il y a ceux qui ne savent pas quoi en faire. Et bien sûr, ce sont les amateurs de labyrinthes qui approfondissent le réel.
10.
« Tant de formes de la folie y abondent et chaque journée en fait naître tant de nouvelles, que mille Démocrite ne suffiraient pas à s'en moquer, et il y aurait toujours à faire appel à un Démocrite de plus. »
(Erasme traduit par Pierre de Nolhac, « Eloge de la folie »)
La bêtise des uns inspire le talent des autres. La folie inspire la raison, et l'humanité progresse, avec un entonnoir sur la tête.
Patrice Houzeau
Malo, le 25 octobre 2022.