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14 avril 2024

LE CROQUE-MORT EST UN BON VIVANT

LE CROQUE-MORT EST UN BON VIVANT

(Notes sur « La Caravane », de Morris et Goscinny)

 

Dès la première planche de « La Caravane », de Morris et Goscinny, 24ème album des aventures de Lucky Luke (dupuis, 1964), Lucky Luke apparaît comme l'homme « qui tire plus vite que son ombre ». Paisible (il semble dormir) et efficace.

 

Lucky Luke boit de la « limonade glacée ». C'est qu'il est quasi abstinent (c'est « rarement » qu'il boit de l'alcool). C'est que l'alcool pourrait nuire à la qualité de son tir et que les aventures de Lucky Luke furent d'abord destinées à la jeunesse. Lucky Luke fume. Et sa sempiternelle cigarette à la lèvre est même légendaire, et puis, un jour, politiquement correct oblige, elle disparut, son éternelle clope à Lucky.

 

Rouquins mômes (Thelma et ses fleurs ; Phinéas qui ne veut pas y aller, refuse de jouer le rôle de l’enfant gentil, charmant, obéissant, se veut têtu, farceur, moqueur et va servir d'élément comique tout au long de l’album). L'enfant boudeur va cependant jusqu'au bout du rôle qu'on l'oblige à jouer , jusqu’à l'exagération, jusqu'au pathos grotesque : il s’agit de convaincre Lucky Luke, lequel se rit du théâtre qu'on lui joue.

 

Humour tranquille des stéréotypes : Miss Littletown, institutrice à lunettes ; M. Pierre, coiffeur français, galant et courtois ; Soufflerie Johns, le clairon siffloteur ; Ugly Barrow, muletier au langage de muletier.

Un inventeur farfelu, Zacharie Martins, façon professeur Tournesol dans l'Ouest (à l'Ouest, toujours plus à l'Ouest, que selon son pendule, qu'il fallait aller disait le professeur Tournesol, dans « Le Trésor de Rackham le Rouge », de Hergé).

 

Vaches, chevaux et mules. La conquête de l'ouest, c'est aussi une histoire d’animaux. L'Histoire, celle avec la grande hache des mots d'esprit, s'est faite aussi avec des animaux, dans un rapport utilitaire entre l’humain et l’animal. Sommes-nous sortis de cet utilitarisme spéciste ? - Non. Du reste, sans notre goût pour la viande, aurait-on tant développé l'élevage, la cuisine et les garçons bouchers ? J'aime bien le coq au vin.

 

Il y a un croque-mort avec son corbillard et son cheval noir. Je me demande s'il existe un album de Lucky Luke sans croque-mort. L'humour n'oublie pas la mort. Évoquer la mort en se moquant puisqu’elle nous rappelle que tout finit par le néant et est donc radicalement dérisoire.

 

Le muletier Ugly Barrow ne s’exprime que par signes onomatopéiques (nuage noir, éclair, spirale des tempêtes, vertige des colères, tête de mort).

Détente, musique (guitare, country music déjà), concours de tir (le far west nécessitait de porter une arme ; les États-Unis s'en souviennent encore), cuisine.

 

Nouvelle invention et comique catastrophe ; le projet tombe à l'eau. Un « garnement » dans les bandes dessinées comiques classiques, ça s'attrape par l'oreille, puis le garnement ouine, évidemment. Le sabotage est bien plus grave que la blague de sale môme.

 

Le croque-mort est un bon vivant. Sabotage. C'est qu’il y a aventure puisque nous lisons un album des aventures de Lucky Luke ; il faut donc que le réel soit faussé, saboté, menaçant, aventureux.

 

Pendant ce temps là, l'inventeur saugrenu poursuit son idée fixe : inventer. La bande dessinée humoristique illustre souvent l'idée qu'il faut de tout pour faire un monde. Les Dalton ne meurent pas : méchants, stupides, malfaisants, le comique les ridiculise et ainsi les pérennise.

 

Aux portes du désert, « le Saloon de la Dernière Chance ». Avant le désert, ce n'est pas encore le désert, puisque l’humain y réside. Aventure. La caravane arrivant aux portes du désert, les tonneaux furent percés et l'eau vint à manquer.

 

Désert. Soif. Il faut rattraper le coiffeur que la soif hallucine. Cela rappelle les hallucinations du capitaine Haddock dans « Le crabe aux pinces d'or ». Hergé dessinait les hallucinations, Morris non.

 

Lorsque la nuit tombe, la case se fait « noire comme de l'encre d'imprimerie », dit le texte.

Traversée des climats. Après le désert et la soif qu’on dira dévorante par amour des clichés, voilà l'herbe et la pluie.

Le corbillard est transformé en fusée ; une croix verte dans le ciel jaune.

« Crazy Town », saloon, saloon, saloon. Effet de surprise : le réel est déjoué par la surprise et en fait toute une histoire. Les femmes se manifestent. L'humour comme dynamitage symbolique du réel ; la rhétorique de l'humour est une des armes du langage.

 

Un étroit défilé ; une hypothèse improbable. La fiction affectionne les hypothèses improbables.

Lucky Luke sort de la caravane pour parer au plus pressé et pendant qu'il pare, il arrive quelque chose à la caravane. Explosion.

Le croque-mort apprécie la sonnerie aux morts (il n'y est pas obligé). Le cheval noir du corbillard se moque des humains, lesquels se mouillent par amour du progrès et nécessité de faire rire le lecteur.

 

Comme le dit si bien Lucky Luke en ses aventures : quand les Sioux ne sont pas loin, il ne faut pas faire de feu, sinon, « ça va fumer » (il ne le dit pas comme ça, mais l'essentiel y est). « La fumée à l'horizon » dit qu’il y a de la fumée à l'horizon » : le réel se dédouble, renvoie à son écho. Fascinant, toute cette fumée à l'horizon qui me rappelle un des brefs de l’excellente série Kaamelott, d’Alexandre Astier (mais je ne vais pas vous le raconter, car je n'en ai pas envie). Les fumées à l'horizon, ce sont les signes qui signalent qu’il y a des signes. Ainsi en est-il de l'ontologie qui ne cesse de signaler qu’il y a de l'être qui renvoie à l’existant qui lui-même renvoie à l'être etc... jusqu’à ce qu’on ait fini d'y songer et que l'on va s'coucher tiens.

 

L'Indien trop longtemps immobile ne voit pas le Lucky Luke arriver derrière lui : proverbe qui ne se vérifie qu'à la planche 31 de l’album « La Caravane », de Morris et Goscinny, album 24 des aventures de Lucky Luke (éditions Dupuis, 1964, je sais je l'ai déjà dit).

 

L’onomatopée TACATAC TACATAC TACATAC signale « un cheval ! un cheval qui galope » ; c'est Luky Luke qui nous l’indique car sinon on aurait pu penser qu’il s'agissait d'un appareil volant au moteur excentrique, ou d'une mitrailleuse dans un album des aventures de Buck Danny (mais je ne sais pas si les mitrailleuses des aventures de Buck Danny font TACATAC TACATAC TACATAC).

 

La nuit prépare « d’étranges attelages ». Cercle des Indiens à cheval, cercle des chariots ; au centre, « les femmes, les enfants et les bêtes ». Inversion : d'un cercle l’autre. L'imaginaire inverse, renverse l'ordre des choses, bouscule les traditions (comme le fait remarquer Lucky Luke : les personnages de fiction semblent en savoir long sur le réel).

 

Parfois, Lucky Luke fait penser à un acteur italien (surtout quand il boxe), ou à un rocker ; c'est que sa frange brune et bleue rappelle la banane au Lucien de Frank Margerin.

Postiches et perruques peuvent-ils être des succédanés de scalps ?

La nuit multiplie les bêtes et le jour les ramène.

 

La grand-mère a disparu mais la grand-mère était-elle la grand-mère ? Et puisque la grand-mère n'est pas la grand-mère, c'est que se prépare le duel au soleil fatal qui termine les westerns. Le héros ne meurt pas car la grand-mère qui n'est pas la grand-mère a perdu la main. A force de jouer le même rôle, le même rôle finit par ne plus vous lâcher.

 

Après avoir échappé à la mort, la caravane danse et musique. Nouvelle inversion : c'est le muletier au langage de muletier qui chante une bluette de sa composition. Les gens ne sont pas toujours comme on les représente.

 

Péripéties et incidents favorisent la fuite de Luky Luke qui ne tient pas tant que ça aux honneurs et préfère repartir dans sa dernière case, celle qui le conduit vers une autre aventure ; d’ailleurs il chante : « I'm a poor lonesome cowboy and a long way from home... ».

 

Patrice Houzeau

Malo, le 14 avril 2024.

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