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BREFS ET AUTRES
15 décembre 2022

EN RENTRANT CHEZ SES FETICHES

EN RENTRANT CHEZ SES FETICHES

Notes sur le poème « Zone », de Guillaume Apollinaire.

1.

Le recueil « Alcools » (1913), de Guillaume Apollinaire commence par le grand poème « Zone ». Le narrateur avoue sa lassitude du « monde ancien », qu'il voit partout, y compris dans les « automobiles ». Le grand moderne serait le « Christianisme ».

Pour ce qui est du christianisme, il me semble aussi que le catholicisme, bien que les scandales de pédophilie y pullulent, a parfois de ces accents modernes que les autres religions n'ont pas.

A noter cependant ces deux vers qui indiquent une certaine prise de distance du narrateur apollinarien :

« Et toi que les fenêtres observent la honte te retient

D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin »

(Apollinaire, « Zone »)

Peut-être bien que la veille, il en avait pris une sévère, dis, l'Apollinaire.

2.

Le narrateur fait l'éloge de la littérature de rue (« prospectus catalogues affiches journaux », fascicules divers), puis évoque une « jolie rue », une « industrielle », avec « directeurs ouvriers et belles sténo-dactylographes ».

Apollinaire avait-il ce goût qu'avouait aussi Baudelaire pour les rues passantes ? Poésie de la ville en tout cas.

3.

La rue auquel il songe (et dont il a « oublié le nom ») en rappelle une autre, où il n'était « encore qu'un petit enfant ». Prières clandestines « dans la chapelle du collège ». Personnellement, je n'y crois guère et j'aurais préféré un Apollinaire version « Chiche-capon » des « Disparus de Saint-Agil », de Pierre Véry : une bande de gosses qui se réunissent la nuit dans la salle de sciences naturelles « où veille le squelette Martin » comme dit un résumé, ce qui m'enchante.

Prières clandestines donc et anaphore qui se termine par ceci, qui est plaisant :

« C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs

Il détient le record du monde pour la hauteur »

(Apollinaire, « Zone »)

Qui rappelle les réflexions de Blaise Cendrars sur les moines lévites dans « Le Lotissement du ciel ».

4.

Apollinaire est très bon quand il s'amuse avec les mots et les sons :

« Ils crient qu'il sait voler qu'on l'appelle voleur

Les anges voltigent autour du joli voltigeur »

Ce sont les « diables dans les abîmes » qui « lèvent la tête » pour regarder Jésus monte-en-l'air.

5.

L'évocation de l'ascension christique entraîne un cortège de noms d’oiseaux : hirondelles, corbeaux, faucons, hiboux, ibis, flamants, marabouts (d'ficelle), « l'oiseau Roc » (n'roll), aigle, colibri, pihis « longs et souples », colombe, oiseau-lyre, « paon ocellé », phénix, sirènes (j'ignorais qu'elles volassent).

6.

Le narrateur se décrit seul et angoissé. « comme le  feu de l'Enfer ton rire pétille ». Evocations de « flammes ferventes », de « Notre-Dame de Chartres » et du « Sacré-Cœur ». Ça flamboie sec : Est-ce pour cela que les femmes que le narrateur croise dans Paris sont « ensanglantées » ?

7.

Le narrateur dépayse sa lyre « au bord de la Méditerranée ». Les « poulpes des profondeurs » effrayent les spectateurs. Ayant la bougeotte, la strophe suivante évoque les « environs de Prague » et entre autres, « tavernes » et « chansons tchèques ».

Puis, ce sont Marseille et les pastèques.

Puis un hôtel à Coblence.

Puis Rome et un « néflier du Japon ».

Puis Amsterdam et Gouda (J'aime bien le gouda. D'une manière générale, j'aime les fromages. Ça me fait penser que je vais les passer sobres, ces fêtes de fin d'année 2022 : il semble quand même que la crise que nous connaissons depuis 1973 (eh oui) s'accélère et s'aggrave singulièrement : faut garder ses sous, moi je crois).

Puis Paris : case prison (l'affaire du vol de La Joconde).

8.

Tous ces voyages et péripéties mélancolisent le narrateur. Il s'apitoie sur lui-même (« à tous moments je voudrais sangloter ») puis s'apitoie sur les « pauvres émigrants » de la gare Saint-Lazare.

Puis, tout mélancolique, il prend un café dans un « bar crapuleux ».

9.

Parfois, le narrateur est dans un « grand restaurant ».

Parfois, il est avec une fille, « une pauvre fille au rire horrible ».

Parfois, il compare la nuit à une « belle Métive » (comprenez ici « métisse »).

Parfois, il évoque des prostituées.

Et comme il ne boit pas que du café, voilà « cet alcool brûlant comme ta vie » et l'occasion d'un chiasme :

« Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie »

(Apollinaire, « Zone »)

10.

Enfin, bien fatigué du tout ci tout ça dont il cause, il rentre chez ses fétiches qu'il compare à des « Christs d'une autre forme » (il n'a pas tort) et voit dans le soleil une tête tranchée (« Soleil cou coupé » : c'est célèbre et c'est beau).

Patrice Houzeau

Malo, le 15 décembre 2022.

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