FANTAISIES DIVAGATURES ET ELUCUBRANCES EN LISANT CLIGES
(En parcourant « Cligès » de Chrétin de Troyes traduit par Charles Méla et Olivier Collet)
1.
Les débuts du Cligès de Chrétien de Troyes : « d'un jeune homme qui vivait en Grèce [et] qui était du lignage du roi Arthur », laquelle Grèce « fut, en chevalerie et en savoir renommée la première. » Des fondations mythiques de notre Occident.
N'y voyez pas critique : ce sont les symboles (dont celui de l'argent qui fixe les prix de la valeur échange), les symboles et les mythes qui nous gouvernent et pas les algorithmes. L'administration rationnelle du moindre de nos gestes n'est pas pour demain.
2.
« Alexandre le beau » « va parler à son père », l'empereur et lui signifier qu'il veut quitter cet empire de Grèce dont il est l'héritier pour « servir le roi Arthur ». V'là qui sonne façon pôle magnétique. Que veut dire réellement « servir le roi Arthur » ?
3.
« Souvent elle [Soredamor] pâlit, toute en sueur, malgré elle, il lui faut aimer. »
(Chrétien de Troyes, « Cligès », traduit par Charles Mélla et Olivier Collet)
Soredamor est la très belle qui méprise l'amour. Trop belle pour aimer ? Mais humaine, elle ne saurait échapper au tourment. #PoilAuxDents
4.
« Mais l’œil ne regarde vers nulle chose si le cœur ne le veut et n'y incline. »
(Chrétien de Troyes [Soredamor])
Le réel n'est vraiment intéressant et n'est vraiment visible que s'il est hanté.
5.
« mais il est le miroir du cœur, et c'est par ce miroir que passe, sans l'abîmer ni le briser, le sentiment dont le cœur s'enflamme. »
(Chrétien de Troyes [Alexandre])
« dont le cœur s'enflamme » : Que l'on remplace le mot « sentiment » par le mot « fantôme » et c'est une image façon Jean Cocteau qui impose sa magie à l'esprit. Je songe aussi à cet homme qui prend feu sur la pochette de « Wish You Were Here » de Pink Floyd.
6.
« Je pensais avoir trois amis, mon cœur ainsi que mes deux yeux, mais ils me haïssent, je crois. »
(Chrétien de Troyes, « Cligès » [Alexandre])
Je mange du veau pas content défois et je
Pensais biscornu passque j'aime bien penser biscornu en écoutant The Residents aussi je pensais
Avoir le temps mais le temps me grignote souris dans le fromage et
Trois fois suis-je sot aussi sot que les trissotins que je moque Mes
Amis je les ai mangés mes amours je les mangées mes fantômes je les ai mangés mais je ne les digère pas (j'ai de l’ectoplasme plein la lippe)
Mon œil çui-là que j'ai en dedans il voit tout oblique, pis mon
Cœur est tout bavant, débordant, moussant de poésie teigne
Ainsi que le monde tourne j'ai la tête qui itou me tourne
Que le grand Haddock me croque
Mes amis je les ai, pis mes amours, aussi mes fantômes bouffis-bouffas, œufs sur le « plat, et me sens tout nauséeux comme si Zemmour était élu et mes
Deux que j'ai pour voir ce qui n’existe pas, mes
Yeux coulent sur ma chemise Je n'aurais pas dû prendre ces yeux-là sont à peine croyables
Mais trève des confiseurs,
Ils sont tout bouffis - Quoi donc ? mes spectraux dindons tiens que
Me voilà toussant crachant des crapauds asthmatiques s'arrachent de mes poumons et haïssent
Haïssent haïssent haïssent c'est bien simple on dirait des gens
Je suis pas content je
Crois que je vas un peu vous vomir dessus.
7.
« … dans l'intention de vérifier s'il se pourrait trouver quelqu’un qui sût les distinguer l'un de l'autre de si près qu'il les regardât, car autant, sinon plus que l'or, brillait et rougeoyait le cheveu. »
(Chrétien de Troyes, « Cligès »)
C'est que Soredamor a « entrecroisé un de ses cheveux avec l'or des fils ». L'amour ne pourrait-il tenir qu'à un cheveu ? Marrant, la forme « rougeoyait » me fait voir une Soredamor rousse. Remarquez qu'on est quand même en Grande-Bretagne là.
8.
Donc, Alexandre du château qu'il est sorti, même que le roi « s'en réjouit et il lui a livré le comte ». Y a des louanges. Le roi offre « une coupe en or de quinze marcs », ça doit faire des sous, ça. Alexandre (il est content) la reçoit, et tergiverse sur Soredamor.
9.
Chrétien de Troyes pour évoquer les noces de Soredamor et d’Alexandre utilise l'image du jeu d'échecs : « La plus grande joie fut la troisième, quand son amie devint la reine de l'échiquier dont il était le roi. » Ce qui me fait songer que l'on dit souvent que la vie est un jeu. Un jeu certes, mais de quel genre, un jeu de stratégie ? de hasard ? Ou des deux combinés, à la grande consternation des malchanceux.
10;
Quelques pages plus tard, l'empereur de Grèce Alis, le frère d’Alexandre, veut rester empereur cependant que je ne sais qui vient lui demander la couronne et qu’Alexandre parti en Bretagne désormais gouverne sur Constantinople.
11.
Mais tout s'arrange car après qu’Alexandre se soit pointé à dada à Athènes (là où ils s'atteignirent), les royaux frangins s'la topent là et Alis reste empereur à condition de ne point se marier afin que Cligès, le fils d’Alexandre puisse à sont tour impérialiser.
12
Bon après, il est question d'une certaine Fénice, qu'il plaît à Chrétien de Troyes de la comparer à l'oiseau appelé Phénix, qui est un drôle d'oiseau et « qu'il ne peut y avoir qu'un à la fois », de même qu'il n'y a qu'un grand Zôtre.
13.
Le narrateur du « Cligès », de Chrétien de Troyes fait remarquer qu'on ne peut « donner son cœur » et il dit : « Je ne tiendrai pas le langage de ceux qui en un corps associent deux cœurs ». Cet anti-lyrisme médiéval m'enchante.
14.
La gouvernante de Fénice s'appelle Thessala, « experte en magie », magicienne donc, « et on l'appelait Thessala parce qu'elle était née en Thessalie, où les maléfices sont pratiqués, enseignés et bien établis ». C'était, bien entendu, dans la nuit des temps antiques.
En ce début 2022, on trouve encore sur Internet l'idée que la sorcellerie est née en Thessalie. Cela nous viendrait de Lucain et de Pline, lequel évoquerait une pièce de Ménandre « La Thessalienne », dans laquelle, écrit Jacques Cazeaux en 1975, des femmes de Thessalie feraient « descendre la lune ».
15.
Ça s'complique : l'empereur Alis veut épouser Fénice, mais Fénice est amoureuse du neveu Cligès. Thessala lui propose le secours de la vieille magie de sa Thessalie natale où, nous dit le narrateur, « les femmes de ce pays jettent des sorts et exercent des charmes. » Y a des lunes.
16.
Un peu plus tard, Thessala demande à Cligès de verser à boire à l'empereur une rare boisson, avec « dans l'air tout autour la bonne odeur de ses épices ». Quel tour prépare donc la servante magicienne ? (Moi, je le sais car j'ai lu le roman) #SurpriseSurprise
17.
De cette rare boisson dont seul l'empereur se régala, il en tirera, nous dit Chrétien de Troyes une ivresse singulière qui fera « qu'il croira en dormant être éveillé ». C'est donc un philtre d'illusion, un dédoubleur de réel. (Il est quand même bien confiant, le Cligès).
Patrice Houzeau
Malo, le 8 janvier 2022.