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28 mai 2023

VERS LE CHÂTEAU

VERS LE CHÂTEAU

Kafka traduit par Alexandre Vialatte, « Le Château », folio n°284. Livre extraordinaire et inachevé (ce qui lui donne une fin abrupte et qui donne à penser sur l'avenir de l'arpenteur K. et sur ses relations avec l'hôtelière). Compte-rendu subtil des pensées, des paradoxes, des interrogations, soumissions et désarrois qui animent les têtes à propos des moindres choses dès lors qu'une transcendance est supposée y avoir part. Ici, la transcendance, c'est le « Château », lieu des décisions et des administrations, lieu du secret et des protocoles, lieu des tout puissants et inaccessibles Secrétaires du Château.

Le « Château » est la justification de tout, puisqu'il en est l'administration (c'est comme dans l'éducation nationale : la réforme Blanquer est fort sotte, mais comme c'est justement le « Château » - comprenez ici, le ministère - qui met cette réforme en œuvre, elle est donc forcément justifiée).

Kafka, avec une acuité et une clarté de philosophe, ou d'entomologiste, décrit un univers où l'administration a tellement étendu son empire que les mœurs et l'organisation de la vie sociale des villageois en découlent, à tel point que ce n'est plus l’existence qui précède l'essence mais la gestion administrative de votre présence sur terre. L'arpenteur K. en fait les frais qui, mandé dans un village de nulle part dans le Comté de Westwest, ne se voit confier aucune mission et se retrouve flanqué de deux aides aussi inutiles que potaches, cependant que l'ombre d'un des fonctionnaires du Château, l'invisible et étrange Klamm, ne cesse de se manifester jusque dans la vie affective de K.

On reconnaîtra dans cette prose aussi précise et scrupuleuse qu'un article du Code, dans ces longs dialogues argumentatifs, explicatifs, démonstratifs, toute l'intelligence humaine à rationaliser l'absurde. Intelligence fort utile aux dictatures et qui fait que, contre l'évidence, des gens qui ne sont ni fous, ni stupides, prennent le parti de soutenir les politiques les plus inhumaines.

« Le Château » a été publié en 1926 (à titre posthume et à l'initiative de Max Brod) et décrit une bureaucratie invisible et omnipotente. On dit que cette bureaucratie s'est concrétisée plus tard dans le monde soviétique. Il est possible aussi que l'à venir « Village global », comme disaient naguère certains zélés zozos de la mondialisation, et les milliards d’existences qui y grouillent et machinent, soit, tôt ou tard, administré, jusque dans ses moindres détails, par une bureaucratie aussi invisible, aussi toute puissante et toujours plus efficace (technologie et hyper-connectivité obligent).

Citation :
« Tout est service de contrôle au Château ! Je ne dis pas que ces services soient faits pour retrouver des erreurs au sens grossier du mot, car il ne se produit pas d'erreurs, et même, s'il en survient une, comme dans votre cas, qui a le droit de dire une fois pour toutes que c'en soit une ? »
(Le maire à K., p.100, chapitre V)

« Es gibt nur Kontrollbehörden. Freilich, sie sind nicht dazu bestimmt, Fehler im groben Wortsinn herauszufinden, denn Fehler kommen ja nicht vor, und selbst, wenn einmal ein Fehler vorkommt, wie in ihrem Fall, wer darf denn endgültig sagen, daß es ein Fehler ist. »
(Kafka, «  Das Schloß », « Das fünfte Kapitel » [der Vorsteher])

Dans ses postfaces aux éditions du « Château » Max Brod a donné une dimension quasi rabbinique à l’œuvre de Franz Kafka. Le dialogue de K. avec la transcendance qui règle et ordonne peut aussi être lu comme essentiellement politique.

Patrice Houzeau
Malo, le 28 mai 2023.

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