PASSAGE DE LA MEDUSE
PASSAGE DE LA MEDUSE
1. « Sombre. Mais l'espace plus vaste.
Moins de gens. Le sentier dans l'obscurité
mène-t-il vers une solitude plus vraie ? »
(Jean-Paul de Dadelsen, « Dépassé. Provisoirement »)
2. Elle se demandait si l'enquête du mélancolique inspecteur progressait. Elle aussi avait entendu parler de ces formes ressemblant à des visages humains cruellement décharnés. Mais après tout, ce n'est pas lui qui avait ouvert le gaz.
3. Je ne m'écoute pas s'ouvrir mon espace intérieur. Je n'ai pas d'espace intérieur. Parmi toutes ces viscères, ces organes, toute cette biologie transitoire, comment voulez-vous que j'installe un espace intérieur ? Et puis qu'est ce que j'y mettrais ?
4.« Dieu créa l'homme à son image,
à l'image de Dieu il le créa,
homme et femme il les créa. »
(Genèse 1.27)
C'est là le sens de l'infini car l'humain étant plutôt gratiné dans le genre n'importe quoi, s'il est à l'image de Dieu, c'est que l'est pas fini l'Eternel, mais il y travaille infiniment.
Jean-Paul de Dadelsen en était arrivé à la conclusion que c'est l'homme qui n'existe pas. Au sens où l'humain serait toujours à conquérir, où l'humain est l'être en quête de l'humain, on peut dire, en effet, que nous n'existons pas encore.
5. « Et dans l'arbre qui dort sans rêves »
(Jean-Paul de Dadelsen, « Un chant de Salomon »)
C'est vrai qu'il ne me semble pas dans la nature des arbres de rêver. Par contre, je ne vois pas pourquoi « la brise » y chuchoterait « le nom de la patrie spirituelle ». Non, elle fait comme tout le monde, la brise, elle reste chez elle à se faire cuire des œufs.
6. « L'ange apparut comme je languissais à la nuit sur le toit »
(Jean-Paul de Dadelsen)
C'est sûr qu'à force des confins là, va y avoir crise de lune dans les cafetières, qu'ça va languir pis gémir sur les toits qu'la nuée, va y neiger de l'ange ou d'la flying saucer...
7. « Dieu nous traverse / Comme la mer une méduse »
(Jean-Paul de Dadelsen, « Bach en automne »)
J'vois ça assez torpille d'la révélation, l'épiphanie fusante, mais c'est plutôt comme une pulsation qu'il nous renseigne Dadelsen, « d'un même mouvement qui tour à tour se gonfle / Et se creuse ».
Baladeuse lenteur, la méduse, noble et sentimentale comme la valse qu'c'est pas la vraie alors, qu'c'est que le fantôme de la méduse qui me plane dans la songeuse.
8. « Les religieuses à grosses joues
rouges, à gros mollets, à gros
derrière le dimanche descendent chez
l'oncle vigneron manger la tarte aux prunes. »
(Jean-Paul de Dadelsen, « Femmes de la plaine »)
Voilà du poétique, qu'il me plaît : du concret, un brin grotesque, burlesque même, farcesque. Le bref, le croquis et foin des trombones Amour, Eternité, Infini, Résilience et tout l'hermétique toutim.
9. « Le docteur a prescrit un tonique pour le cœur
pour faire durer l'agonisante jusqu'à l'arrivée d'une fille distraite
d'un fils longtemps aimé de loin. »
(Jean-Paul de Dadelsen, « Mort de la femme du percepteur »)
On dirait le résumé d'une page de Simenon, une de ces rapides notes explicatives par lesquelles le grand Georges savait si bien nous mettre dans l'ambiance des quotidiennetés où il promenait son commissaire à pipe.
10. « ce qui l'intéresse, c'est ce bout de chanson transfiguré et l'espace autour » (Jean-Paul de Dadelsen, « La fin du jour »)
C'est dans un passage sur le vieux Ludwig qu'on peut comprendre que c'est Beethoven « à fredonner pour lui seul » de la mélodie que plus tard il va vous la transcender, la chanson, en vous en fiche épatance et frisson, qu'ça va vous remplir d'un coup l'espace du tout seul.
11. Bon, allez, à mes copies : Sainte Syntaxe, Sainte Orthographe, Saint Style, pardonnez leur leurs offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui commencent quand même à nous les casser.
Patrice Houzeau
Les Confins, le 2 mai 2020.