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BREFS ET AUTRES
fantaisies speculatives
26 novembre 2022

LA CULTURE EST DANS LE RASOIR

LA CULTURE EST DANS LE RASOIR

« Moi qui vous cause, j'ai bien souvent gambergé à ces problèmes tandis que vêtu d'un tutu je montre à des caves de votre espèce mes cuisses naturellement assez poilues il faut le dire mais professionnellement épilées. »

(Raymond Queneau, « Zazie dans le métro », chapitre 11 [Gabriel])

1.

C'est parce que vous dites « moi qui vous cause » que vous êtes tout de même un autre.

2.

Ce n'est pas parce que vous avez « souvent gambergé à ces problèmes », que « ces problèmes » ont « gambergé » sur vous.

Les problèmes ne vous calculent pas, sauf s'ils ont une conscience susceptible de vous calculer.

Si en plus, ils portent le chapeau, vous pouvez toujours penser au tutu.

3.

L'oncle de Zazie a « souvent gambergé à ces problèmes ».

Peut-on dire que la fiction gamberge ?

Peut-on dire que la fiction gamberge et que nous n'y comprenons rien.

4.

Ce n'est pas parce que le Gabriel de Queneau est parfois « vêtu d'un tutu » qu'il n'a pas de vertu.

5.

Que le Gabriel de Queneau portât parfois un tutu (après tout, il peut mentir ; pour ma part, je n'ai jamais vu Gabriel en tutu, il est vrai que je ne fréquente guère Paris, qu'il fût de Queneau ou pas), cela ne l'empêche pas de « gamberger ».

Je note que dans « gamberger », il y a « gambe ».

Mais même si Gabriel ne portait pas de tutu, cela ne l'empêcherait ni de gamberger ni de se raser.

6.

C'est parce que le Gabriel de Queneau porte parfois un tutu, qu'il « montre à des caves de votre espèce [ses] cuisses naturellement assez poilues ».

Toutes les cuisses ne sont pas « naturellement assez poilues ».

Je n'ai pas mangé de poulet hier soir, mais j'aurais pu.

7.

Ce n'est pas parce que ses cuisses sont « naturellement assez poilues » que Gabriel porte un tutu.

Tous ceux qui portent un tutu n'ont pas les « cuisses naturellement assez poilues ».

Mettez un tutu à un abat-jour, celui ne lui fera pas les cuisses « naturellement assez poilues » pour autant.

J'ajoute que si l'on remplace « tous ceux » par « toutes celles », j'ajoute mentalement «  de cheval » mais ça ne se voit pas.

Seuls les initiés savent.

8.

C'est parce qu'il a des « cuisses naturellement assez poilues » que le Gabriel de Queneau dit qu'il faut « le dire ».

Cette franchise honore sa fiction.

Gabriel a raison : il faut le dire, car sans le dire, on resterait muet.

On serait tenu d'apprendre la langue des signes pour demander si la grève du métropolitain parisien est terminée ou pas.

On ne dirait plus de conneries qu'avec les mains.

Ce serait certes moins bruyant mais pas plus malin.

9.

C'est parce que le Gabriel de Queneau a des « cuisses naturellement assez poilues » qu'elles sont « professionnellement épilées ».

Sinon, il ne porterait pas de tutu.

Par contre, il pourrait porter un kilt.

Il pourrait alors jouer de la cornemuse et au lieu de grenadine, il boirait du whisky.

Pourtant, le fait de porter un tutu et d'avoir les cuisses « naturellement assez poilues » n'empêche ni de jouer de la cornemuse ni de boire du whisky.

Tout ça, c'est juste des conventions.

10.

En rappelant que ses « cuisses naturellement assez poilues » sont « professionnellement épilées », le Gabriel de Queneau sous-entend qu'il exerce correctement son métier.

Sinon, je pense que Raymond Queneau l'aurait congédié et l'oncle de Zazie eût été, je ne sais pas moi, peut-être un tonton en kilt, jouant de la cornemuse et que le roman eût été intitulé « Zazie in the subway », si j'ose m’exprimer ainsi.

11.

L'opposition entre les « cuisses naturellement assez poilues » et les cuisses « professionnellement épilées » du Gabriel de Queneau renvoie à l'opposition entre nature et culture et non pas à l'opposition entre kilt et tutu.

12.

Que le Gabriel de Queneau ait des « cuisses naturellement assez poilues » rappelle que le réel nous apparaît sous la forme d'un sensible parfois poilu et parfois glabre. La culture est dans le rasoir.

Patrice Houzeau

Malo, le 26 novembre 2022.

 

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11 novembre 2022

ALORS L'HEURE VINT OU IL N'EUT PLUS DE TEMPS

ALORS L'HEURE VINT OU IL N'EUT PLUS DE TEMPS

1.

« Der Dichter kann sich auch eine Welt erschaffen haben, die, minder phantastisch als die Märchenwelt, sich von der realen doch durch die Aufnahme von höheren geistigen Wesen, Dämonen oder Geistern Verstorbener scheidet. »

(Freud, « Das Unheimliche »)

« L'écrivain peut s'être aussi créé un monde qui, moins fantastique que celui du conte, ne se distingue pas moins du monde réel par l'introduction d'êtres spirituels supérieurs, de démons et de spectres de défunts. »

(Freud traduit par Fernand Cambon)

De telle sorte que Freud, que je cite ici dans le texte parce que, distingue ici le fantastique pur du conte (le merveilleux, l'outil social, la parabole) d'un fantastique subjectif, hanté, psychopathologique (le récit d'épouvante, la sophistication gothique, le « Horla », la possession).

Question : les mythes gothiques de Dracula et de Frankenstein sont-ils plus puissants que les figures archétypales du conte ?

2.

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes :

A noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, »

(Rimbaud, « Voyelles »)

Je ne suis sans doute pas le seul à penser que c'est avec un grand talent, et même une sorte de génie, que Rimbaud s'est moqué du monde. Ce garçon était un punk.

3.

« Les théologiens affirment que si l'attention du Seigneur s'écartait une seule seconde de ma main droite qui écrit, celle-ci retomberait dans le néant, comme foudroyée par un feu sans lumière. »

(Borges, « Deutsches Requiem » [le narrateur])

Cette « attention du Seigneur », sans laquelle le monde retourne au néant, je l'appellerai « Sens ».

4.

« pour ce que c'est le même que si on disait que sa puissance est tout ensemble finie et infinie : finie, puisqu'il y a quelque chose qui n'en dépend point ; et infinie, puisqu'il a pu créer cette chose indépendante. »

(Descartes, «Lettre à Elisabeth », 3 novembre 1645)

Cette dernière partie d'une phrase de Descartes sur le libre-arbitre me plonge dans quelque chose qui s'apparente à la réflexion. Que la puissance de Dieu soit à la fois finie et infinie implique que si Dieu n'est que par sa puissance (le nom de l'être de Dieu étant ainsi « toute puissance »), Dieu lui-même serait à la fois fini et infini : voilà un point de vue d'une grande fécondité.

5.

« Moi qui compatis tant aux gens qu'on fait souffrir

Et ne puis, sans pleurer, voir un poulet mourir ? »

(Molière, « L'Ecole des femmes », [Agnès], II, 5)

De sorte que c'est le spectacle de la souffrance plus que son évocation qui pousse à la compassion. Jusqu'à quel point ? Je me le demande.

6.

Nach meinen Beobachtungen = D'après mes observations

Ouvrant une édition bilingue de « Das Unheimliche », je lis ce début de phrase, et j'éprouve aussitôt l'envie de la noter, peut-être parce qu'il me rappelle l'importance dans la langue de l'observateur, du subjectif.

7.

« J'imaginai ce réseau de tigres, ce brûlant labyrinthe de tigres, répandant l'horreur dans les prés et les troupeaux, pour conserver un dessin. »

(Borges, « L'Ecriture du Dieu » [le narrateur])

Pendant ce temps-là, je vis qu'il était bientôt cinq heures. Comme la marquise n'était pas sortie, je me dis que cette phrase de Borges était lourde de sens quant au « tout fait signe », « signes des temps » et lectures ésotériques. Entendons-nous, j'allumai.

8.

« The first question of course was, how to get dry again : they had a consultation about this, and after a few minutes it seemed quite natural to Alice to find herself talking familiarly with them, as if she had known them all her life. »

(Lewis Carroll, « Alice's Adventures in Wonderland », chapter III)

« Question primordiale, naturellement : comment se sécher : on se consulta là-dessus, et au bout de quelques minutes, il parut tout naturel à Alice de se trouver en conversation familière avec ces créatures comme si elle les connaissait depuis toujours. »

(Lewis Carroll traduit par Magali Merle)

J'aime bien cette phrase de Lewis Carroll, que je cite en anglais parce que. J'aime bien cette phrase parce qu'elle rappelle, à sa manière toute fantaisiste, que la nécessité rapproche parfois des êtres qui n'ont en commun que leur mortelle condition.

9.

« Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,

Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;

I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles

Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; »

(Rimbaud, « Voyelles »)

Rimbaud précurseur de l'association surréaliste des images. Je ne vous dirai pas à quoi ces « vapeurs et ces tentes » me font penser, parce que c'est vulgaire. M'étonnerait pas qu'il y ait du jeu de mots là-dedans.

10.
Il n'a pas regardé l'heure exacte quand il n'a pas rencontré Souvenance et Ramon Lamarne parce que n'ayant plus de bras, sa montre s'était arrêtée.

Note : Souvenance et Ramon Lamarne sont les personnages d'un roman qui existe : « Souvenance pleurait », de Yves Dermèze, Grand Prix du roman d'aventures 1950, et je ne vous dirai pas pourquoi.

Patrice Houzeau

Malo, le 11 novembre 2022.

11 novembre 2022

SI JAMAIS DANS LA TÊTE A POUTINE UN LUTIN FOU

SI JAMAIS DANS LA TÊTE A POUTINE UN LUTIN FOU

1.

Il y a quelques jours encore, certains étaient sceptiques quant à une reprise rapide de Kherson par les Ukrainiens, et l'on disait que les Russes ne quitteraient pas Kherson sans de longs et meurtriers combats... Peut-on se fier à Choïgou quand il dit ordonner le retrait des troupes russes de la ville ?

2.

Pensez-vous que les forces russes auraient été autant en difficulté et dans l'incapacité de progresser, voire même dans la nécessité de reculer (comme à Kherson) sans livraisons d'armes à l'Ukraine ? Non bien sûr. Il faut donc continuer à soutenir les Ukrainiens.

3.

Le 11 novembre 2022 ; j'entends sur France Culture évoquer la question de savoir si les fascistes sont des Italiens comme les autres. D'après ce que je comprends, le terme « fasciste » sert facilement en Italie pour insulter le politique auquel vous vous opposez.

4.

Certains disent que Salvini nest pas fasciste au sens où il ne relève pas d'une tradition fasciste. Il serait plutôt un populiste. Ce qui le différencie, c'est qu'il n'a pas tenté d'user de la violence politique (via des « chemises noires » par exemple, ou l'assassinat).

5.

On ne peut pas imaginer les succès électoraux de Mussolini ou de Hitler sans songer que ces succès ont été préparés certes par une propagande efficace, mais aussi par un charisme évident, une séduction, une maîtrise de l'éloquence.

Ce charisme, cette séduction, cette maîtrise de l'éloquence, on les retrouve chez Poutine. On remarquera que, comme dans les cas de Mussolini et de Hitler, cette séduction et l'efficacité de ses services de propagande sont en fin de compte au service d'un projet mortifère.

6.

Vladimir Poutine aura été le politique qui aura réveillé le spectre de la Troisième Guerre Mondiale et donc relancé le nécessaire réarmement des démocraties.

J'avoue que j'ai du mal à comprendre « démocratie » autrement que « libérale ». Certes, il s'agit d'un libéralisme nécessairement tempéré par l'interventionnisme de l'Etat, mais d'un libéralisme tout de même, tant au niveau de la liberté d'entreprendre et de la défense de la propriété privée qu'au niveau des mœurs et de la tentation fédérale, mondialiste, voire universaliste.

7.

La politique est une manière de gérer la rareté naturelle. Naïvement, nous pensons d'abord que son but est d'abolir cette rareté naturelle, en produisant assez de richesses pour améliorer le sort du monde. Dans les faits, ce but, sans être totalement oublié, passe au second plan, derrière la défense des intérêts des Etats, lesquels dépendent des intérêts de leurs industries respectives.

Où l'on comprend que l'Afrique n'est pas sortie de l'auberge, d'autant que les nouveaux tenanciers russes et chinois ne sont pas plus tendres et moins rapaces que les anciens.

8.

Le fascisme, et le poutinisme tel qu'il s’exprime dans le conflit russo-ukrainien actuel, affiche massivement l'idée que le monde serait moins complexe que les libéraux le disent. Pour la propagande poutinienne, il n'y a que deux sortes d'Etats : les alliés (la Chine, la Biélorussie...) et les ennemis, lesquels sont nécessairement décadents et nazifiés.

A partir du moment où l'on voit le monde comme une division entre Etats favorables à la grande Russie et Etats « nazis et décadents », alors on comprend que le recours à la violence et à la guerre peut paraître nécessaire à bien des têtes faibles, des idiots, ou des salopards.

9.

J'entends sur France Culture que le mot « pour » [« Baraye »] qui est le titre de la chanson en passe de devenir l'hymne de l'opposition à la théocratie des mollahs iraniens, aurait aussi le sens de « parce que ». Cette chanson est donc un exposé des causes de la révolution en cours, et le constat est, en effet, accablant pour le régime des mollahs.

10.

« l'un veut que le meilleur gouvernement soit le plus sévère, l'autre soutient que c'est le plus doux ; celui-ci veut qu'on punisse les crimes, et celui-là qu'on les prévienne ; l'un trouve beau qu'on soit craint des voisins, l'autre aime mieux qu'on en soit ignoré ».

(Rousseau, « Du Contrat social », Livre III, chapitre IX)

Bien des admirateurs de la sévérité et de l'ordre des vaches bien gardées, bien des contempteurs du laxisme judiciaire et de l'angélisme migratoire, sont actuellement en faveur d'une relative neutralité vis-à-vis de la Russie de Poutine, « neutralité » qui, chez certains, ressemble à une fascination soumise. Il est pourtant nécessaire de montrer à Poutine (et à sa meute) que La France n'est pas disposée à laisser Poutine agir comme il le veut au cœur de l'Europe.

Si Poutine n'a pas peur de la France, il doit sans doute se dire que l'OTAN est décidément beaucoup plus forte qu'il le croyait, et s'il n'a pas peur de l'OTAN, peut-être sa propre armée, qui accumule les déboires, lui donne-t-elle parfois des sueurs froides ?

11.

J'entends dire sur France Culture qu'il paraît que certains militaires parlent de l'armée française comme d'une armée « bonsaï », certes efficace et intervenante (la France est championne d'Europe des OPEX), mais ridiculement petite en nombre d'hommes et en matériel.

L'armée française, dit-on, ne serait pas prête à affronter une guerre de haute intensité. Et personne ne sait quel est le lutin fou qui pourrait se mettre à s'agiter dans la caboche à Poutine. Il est donc urgent de réarmer la France, l'Europe, les démocraties.

12.
11 novembre 2022. J'entends un intervenant sur France Culture se poser la question d'une majorité de députés qui ne serait pas disposée à poursuivre ou renforcer le soutien à l'Ukraine contre Poutine. Est-ce pour cette raison que le bruit a récemment couru que le président Macron se teindrait prêt à dissoudre l'Assemblée ?

Patrice Houzeau

Malo, le 11 novembre 2022.

31 octobre 2022

JE N'EST PAS LUI ET LUI JE NE SAIS PAS QUI C'EST

JE N'EST PAS LUI ET LUI JE NE SAIS PAS QUI C'EST

1.

Planche 28 : une des vignettes que la mémoire retient (elle a d'ailleurs en son temps servi de couverture à un numéro du journal Spirou) : à l'abri du regard derrière un pilier, la vampire, une pleine lune dans la nuit mauve, un chat noir, des croix, l'entrée du caveau, Yoko Tsuno.

C'est par la science que Yoko Tsuno et Rudy pensent approcher de la vérité, mais le mystère ne se laisse pas si vite dissiper, et, en fin de compte, il y a bien « violation de sépulture » (cf « La Frontière de la vie », Roger Leloup, pl. 29).

2.

« Le rêve permet à Windsor McCay de donner aux gens et aux choses des dimensions étonnantes, parfois plus vraies que le réel. »

(Pascal Pillegand, « 100 ans de BD », Editions Atlas, 1996, p.16)

Ce qui est « plus vrai que le réel », c'est moins le rêve (qui n'en est que sa représentation subjective), mais la virtuosité du dessinateur qui donne de l'étoffe aux songes. Ce qu'il y a de plus réel dans l'art, c'est l'art de ; le reste n'est que représentation.

3.

« Je serai bientôt aveugle, je le sais, et j'accueillerai ces ténèbres avec reconnaissance, comme une punition infligée par Dieu pour ma lâcheté et mon déshonneur. », écrit à la lueur d'une lampe à huile celui qui a vu agir les meurtriers et qui s'est tu.

(Vance et Van Hamme, XIII, « La Nuit du 3 août », pl. 25)

4.

Du domaine des fantômes et des songes, la synchronie, appelant l'art et la virtuosité. De l'ordre de la raison, de l'enquêteur perspicace, la diachronie. Elle établit la généalogie que masque la synchronie. Mais de ce que je dis, le revenant s'en moque, et Conan Doyle croyait aux tables qui tournent.

On dit que Conan Doyle, le créateur du rationnel, méticuleux, perspicace Sherlock Holmes, fut un fervent spirite et que Lovecraft, dont la prose est littéralement hantée, n'y croyait absolument pas à ses anciens dieux et autres saugrenus à tentacules. Les auteurs ne ressemblent pas à ce qu'ils écrivent. Je n'est pas lui.

5.

Pages 33 et 35, Mortimer se trouve entre féroce chat et chiens féroces.

J'aime bien cette impression de gravure qui imprègne l'atmosphère des planches de l'album « Le Dernier pharaon », de François Schuiten pour le dessin et Laurent Durieux pour les couleurs.

6.

Sur l'édition du journal dont la une affiche la mort de « la belle Romi Romani, célèbre top-modèle italien, tuée par balles », une mouche s'est posée. (Oki, souvenirs d'une jeune fille au pair -1 », de Juszezak et Godard).

A la moitié de l'album, le lecteur distingue un enjeu érotique (Oki quasi séquestrée et abusée), un enjeu énigmatique (que se passe-t-il exactement dans cette maison ?) et peut supposer un enjeu financier, un scénario à la Claude Chabrol.

7.

Jonathan Harker est le missionnaire de la civilisation envoyé au cœur des ténèbres. Il passe d'abord par les superstitions des villageois : « Il me revint à l'esprit que nous étions la veille de la Saint-Georges... Les forces maléfiques, etc. », se dit-il dans la diligence qui l'emmène au col de Borgo.

Planche 26 du « Dracula » de Georges Bess, pleine page noire. Au centre, la figurine blanche de Jonathan Harker s'enfonçant dans la nuit.

Planche 28 : Le fiacre du comte Dracula et sa « course folle » ; case 2, impression de bois gravé.

8.

« Ainsi, à quatre pattes, il s'en fut aux quatre coins de la pièce, reniflant tout, faisant le tour de tout, de tout ce que nous voyions, ce qui était peu de chose, et de tout ce que nous ne voyions pas et qui était, paraît-il, immense. »

(Gaston Leroux, « Le Mystère de la Chambre Jaune » [Sainclair à propos de Rouletabille].

Lire n'est pas lire, c'est regarder passer du sens. Repérer ce que nous ne voyons pas, voilà ce qu'est lire.

9.

« Une manière essentielle dont la vérité s'institue dans l'étant qu'elle a ouvert elle-même, c'est la vérité se mettant elle-même en œuvre. »

(Heidegger traduit par Wolfgang Brockmeier, « L'origine de l’œuvre d'art » in « Chemins qui ne mènent nulle part »)

Ce qui est fait (poème, roman, planche, musique, synchronie) n'est pas seulement une réalisation, c'est la mise en œuvre dans l'étant d'une vérité qui dépasse l’œuvre en la constituant.

10.

« J'ai seul la clé de cette parade sauvage. »

(Rimbaud, « Parade »)

Rimbaud ment et Rimbaud ne ment pas. Scribe, il ment en virtuose, en « drôle très solide », en « Maître jongleur », mais ce « je » et cette « clé » ne lui appartiennent que par leur mise en scène. Le deus ex machina de la langue machine autre chose, tout autre chose.

Patrice Houzeau

Malo, le 30 octobre 2022.

27 octobre 2022

DIEU EST MORT ET LES HUMAINS S'ENTRE-TUENT

DIEU EST MORT ET LES HUMAINS S'ENTRE-TUENT

1.

« Est-ce que le choc de la pioche sur les rochers avait repris là-bas ? »

(Yves Dermèze, « Souvenance pleurait »)

Rythme. Le « est-ce que » précipite le son « choc » auquel fait rapidement écho la séquence labiale + « diphtongue io » + constrictive « ch ». Mais je ne sais pas si « le choc de la pioche sur les rochers avait repris là-bas ».

2.

« Il me semble de plus en plus que le philosophe, étant nécessairement l'homme de demain ou d'après-demain, s'est de tout temps trouvé en contradiction avec le présent ; il a toujours eu pour ennemi l'idéal du jour. »

(Nietzsche traduit par Geneviève Bianquis, « Par-delà le bien et le mal »)

Plutôt que «  de tout temps », je préfère « tout le temps » car que savons-nous de la totalité des temps ? Si ça se trouve, certains nous ont échappé.

Que le philosophe soit « nécessairement l'homme de demain ou d'après-demain », je ne sais pas ; faudrait en parler à Poutine, au parti communiste chinois et aux mollahs iraniens. Il est aussi que la philosophie occidentale est une des meilleures armes de ce que nous appelons « humanité » en ce qu'elle est menacée par la barbarie.

Quant à « l'idéal du jour », ce fatal « ennemi » du philosophe, c'est que cette fatalité est nécessaire puisque le philosophe ne philosophe jamais de façon aussi aiguë que lorsqu'il s'oppose (pour peu qu'il ne soit pas trop sot). Que certains professeurs de philosophie se rangent du côté de Mélenchon, peu importe (c'est une sottise, et ils le savent), mais ce qui importe, c'est la manière dont ils analysent et commentent cette nécessité pour eux de se rallier à l’extrême-gauche. Ils n'en auront pas pour autant raison, mais leur critique, si elle est réellement philosophique, sera intéressante, et sans doute plus essentielle que l'opinion du premier libéral venu qui, s'il a objectivement raison dans son choix politique, n'est parfois libéral que pour des raisons qui laissent songeur quant à la puissance de la subjectivité et des déterminismes.

3.

J'écoute le groupe Magma et ses chants en kobaïen.

Cette langue n’existe pas ; pourtant elle est chantée.

Cette langue n’existe pas et n'a pas, comme il en est pour la musique instrumentale, d'autre référent qu'elle-même.

Cette langue n’existe pas et a, comme il en est de la musique instrumentale, une expressivité qui la rend parfois amusante, ou agressive, ou étrangement virtuose.

Cette langue n’existe pas car elle semble n'avoir qu'une apparence de syntaxe. C'est l'euphonie et le rythme des séquences syllabiques qui l'emportent sur le « sens ».

Cette langue n’existe pas ; pourtant, elle suggère à notre imaginaire d'occidental ignorant (en l'occurrence, moi) des sonorités slaves, nordiques, saxonnes aussi slaves, nordiques et saxonnes que la slavitude, la nordicité et la germanité affichées par certaines énigmes des nouvelles de Borges.

Je note que dans cette langue qui n’existe pas, se détachent parfois des mots de sens plein (« kameraden », « mekanik destruktiw kommandoh ») mais ce sens qui pourrait faire penser à quelque message menaçant, voire crypto-innommable, est désamorcé, - et même nié -, par l'absence de syntaxe, par la musique pure. Les mots ici n'ont pas d'autre agressivité que celle que leur confèrent les possibilités de la musique. Les mots se font art lyrique, et même art tout court.

J'ajoute que dans certains albums récents de Magma, certains chants ont été composés en français. Et c'est bien dommage, car les textes en sont ridicules, emphatiques et parfois beaucoup trop longs.

Maintenant, à mon avis, l'album « Mekanik Destruktiw Kommandoh » (1973) est un chef d’œuvre du rock progressif.

4.

Sur l'édition de poche de « Par-delà le bien et le mal », de Nietzsche, je contemple le visage de l'actrice Dominique Sanda dans le rôle de Lou Andreas Salomé.

Il y a toujours quelque chose qui échappe dans le visage. Quelque chose du bout de la langue. Pour peu, on croit saisir une généalogie, le visage vieillissant d'une mère, la rudesse d'un visage de paysan d'avant la révolution industrielle, une lignée obscure de travaux et de jours, de fiertés et de nécessités... comme c'est fugace... puis l'on se souvient qu'un visage, c'est d'abord de la chair recouvrant une mâchoire et son crâne.

5.

« Cet autre être de l'étant est devenu entre-temps – et c'est ce qui caractérise le début de la Métaphysique moderne – la subjectivité. »

(Heidegger traduit par Wolfgang Brokmeier, « Chemins qui ne mènent nulle part »)

Seul celui qui affirme la conscience de son individualité, et donc sa singularité, peut remettre en doute la légitimité de Dieu jusqu'à le déclarer mort. Les peuples en proie aux dictatures sont tenus de croire soit au dieu garanti par la théocratie, soit à l'homme providentiel qui les dirige. La subjectivité et l’exercice aigu de la conscience sont liés à la libéralisation des sociétés. « Dieu est mort », et les humains s’entre-tuent.

Note : Faut-il avoir cru en Dieu pour le déclarer mort ? Je ne sais pas. Il s'agit peut-être du dieu de nos éducations, du dieu au cœur de la civilisation occidentale, auquel beaucoup croient sans croire.

Patrice Houzeau

Malo, le 26 octobre 2022.

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25 octobre 2022

L'HUMANITE PROGRESSE MAIS AVEC UN ENTONNOIR SUR LA TÊTE

L'HUMANITE PROGRESSE MAIS AVEC UN ENTONNOIR SUR LA TÊTE

1.

« Il y avait seulement ceux qui disaient que c'était vrai et ceux qui disaient que ça n'était pas vrai. »

(Jean Giono, « Un Roi sans divertissement »)

Vérité et non vérité. Chacun y cherche son chat, lequel s'en moque effrontément, félinement, fantastiquement.

Il y a quelques années, la langue, le français, employa l'adjectif « fantastique », de manière hyperbolique, pour signifier l'étonnement dans des structures de type « c'est fantastique, comme tu as du mal à... ». Mon père disait parfois : « C'est quand même formidable, comme... »

2.
«  - Mien, tien. - « Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants ; c'est là ma place au soleil. » Voilà le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre. »

(Pascal, « La Justice et la raison des effets »)

Le « commencement et l'image ». L’événement implique sa représentation. Seul Dieu y échappe. Toute représentation du Créateur étant vaine et mensongère par définition.

3.

« - Je ne veux pas m'en aller, dit le chat, je n'ai pas encore bu mon café. »

(Boulgakov, « Le Maître et Marguerite »)

- Je ne veux pas m'en aller, dit Zut, je n'ai pas encore retrouvé mon ombre.

4.

« - Eh bien !, accordez-moi que c'est une triste chose, lorsque l'amour au lieu de faire la félicité de la vie, en devient la calamité... C'est sans doute ainsi que Dieu nous aime ! »

(André Gide, « Les Faux-monnayeurs » [La Pérouse])

Qui sait de quoi est fait l'amour que Dieu est censé nous prodiguer ? Du reste, pourquoi Dieu serait-il aimant envers ses créatures ? Ne lui suffit-il pas de se consterner au spectacle de notre incommensurable bêtise ?

5.

Parmi les livres que je garderai pour m'accompagner le reste de mes jours, et de mes nuits, je compte « Les Faux-monnayeurs » de Gide et « Un Roi sans divertissement » de Giono. Ces deux textes me fascinent par leur construction et leur lucidité.

Il m'arrive de consulter des recueils de citations. J'aime assez ces collections de fusées, d'éclairs, de flèches de la raison et du style contre la bêtise et la vulgarité. Que ces citations soient commentées ne me gêne pas, au contraire. Pédanterie ? Perhaps.

6.

« Pour obtenir cet effet, suivez-moi, j'invente un personnage de romancier, que je pose en figure centrale ; et le sujet du livre, si vous voulez, c'est précisément la lutte entre ce qui lui offre la réalité et ce que, lui, prétend en faire. »

(André Gide, « Les Faux-monnayeurs » [Édouard])

Le vrai sujet de la littérature : l'énigme de la représentation. Du réel et son double, lequel ne peut être qu'un trompe-l’œil cependant qu'il structure notre regard.

7.
« Quand nous disons donc que les sens nous représentent les objets tels qu'ils nous apparaissent, mais l'entendement tels qu'ils sont, cette dernière manière de s’exprimer est à prendre dans une signification non pas transcendantale, mais simplement empirique »

(Kant traduit par Alain Renaut, « Critique de la raison pure »)

Y a gourance sur l'en-soi, le radicalement inconnu, sans doute inaccessible, quoique les équations pourraient bien en faire tomber quelques masques. Maintenant, ce qu'il y a derrière ce « en », du diable si j'en sais quelque chose !

8.

L'une des œuvres que j'aurai le plus entendue est « Atom Heart Mother » de Pink Floyd. J'en écoute, pour l'heure et sur You Tube, une version enregistrée par les « Pink Tones » en 2014 dans l'amphithéâtre romain de Segobriga (avec un accent sur le o, c'est en Espagne).

9.

« - Et qu'est-ce que tu vas foutre d'un labyrinthe ?

  • Eh bien, qu'est-ce qu'on fait d'un labyrinthe d'habitude ?, me dit-il.

  • Je ne sais pas, lui dis-je, j'ai pas l'habitude de ces trucs-là. Moi je n'en fais rien en tout cas.

  • Eh bien, moi je m'en sers pour me promener, dit-il. »

(Giono, « Un Roi sans divertissement » [Le narrateur et Langlois])

Il y a les amateurs de labyrinthes, qui affirment, avec un brin de forfanterie, que ce sont là leurs promenoirs, et il y a ceux qui ne savent pas quoi en faire. Et bien sûr, ce sont les amateurs de labyrinthes qui approfondissent le réel.

10.

« Tant de formes de la folie y abondent et chaque journée en fait naître tant de nouvelles, que mille Démocrite ne suffiraient pas à s'en moquer, et il y aurait toujours à faire appel à un Démocrite de plus. »

(Erasme traduit par Pierre de Nolhac, « Eloge de la folie »)

La bêtise des uns inspire le talent des autres. La folie inspire la raison, et l'humanité progresse, avec un entonnoir sur la tête.

Patrice Houzeau

Malo, le 25 octobre 2022.

25 octobre 2022

AVEC LA NECESSAIRE INJUSTICE DE NOTRE FRAGILITE

AVEC LA NECESSAIRE INJUSTICE DE NOTRE FRAGILITE

  1. « Jeanne se sert de la prophétie comme d'une arme politique. Elle sait par révélation que les Anglais seront vaincus à Orléans et forcés de quitter le royaume. Dans un avenir écrit, la perte des Anglais est assurée. »

    (Colette Beaune, « Jeanne d'Arc, le mythe revisité » in « Historia », n°689, mai 2004)

    Le politique use et abuse de la prospective, qu'il présente souvent comme une quasi prophétie. Et nos experts de régulièrement nous assurer d'un avenir qui, régulièrement, échappe à leurs prédictions.

  2. « Les athées doivent dire des choses parfaitement claires ; or, il n'est point parfaitement clair que l'âme soit matérielle. »

    (Pascal, « Pensées »)

    Outre qu'un athée puisse hermétiquer aussi bien qu'un scribe d'alchimie, l'âme n'est sans doute qu'une convention, qu'une généricité des valeurs qui permettent de juger d'un autre aussi autre que moi-même.

  3. « Quand tout se remue également, rien ne se remue en apparence, comme en un vaisseau. Quand tous vont vers le débordement, nul ne semble y aller. Celui qui s'arrête fait remarquer l'emportement des autres, comme un point fixe ».

    (Pascal « Pensées »)

    L’événement révèle ce débordement qu'annonce un augure plus ou moins inspiré. Parfois, ça panique.

  4. « Mais mon cher Père, la leçon de la guerre n'a pas porté ! Le monde ne se convertit pas ! etc... etc... » Petit Placide réfléchissait : Et les Bons Pères, est-ce qu'ils se convertissent ! Et Moi ? Ce Moi qui est le seul pays de mission sur lequel j'ai pouvoir, et dont j'aurai à rendre compte. »

    (Geneviève Gallois, « La Vie du petit Saint Placide », Desclée de Brouwer, 1954)

    J'apprends par « Les Cahiers de la BD » d'avril-juin 2019 et un article de Yves Frémion, l’existence d'une religieuse, Geneviève Gallois, qui, dessinatrice, publia en 1954 l'un des premiers romans graphiques français : « La Vie du petit Saint Placide. »

  5. « … dans les dés éternels du temps »...

    (Kordey et Django », « Les Cinq saisons Automne »)

    Jolie formule que ces « dés éternels du temps » qui donnent à songer tous ces possibles hasards, ce jeu dont l'humain est sans doute le seul parieur.

  6. « Si j'avais vu un miracle, disent-ils, je me convertirais. » Comment assurent-ils qu'ils feraient ce qu'ils ignorent ? »

    (Pascal, « Pensées »)

    Médias et conversations se font régulièrement l'écho de ce qui paraît relever du paranormal. Dernièrement, quelqu'un m'a affirmé avoir été le témoin qu'un leveur de feu avait opéré avec succès à distance (par téléphone). Etrange.

    Ceux qui y croient se convertissent à l'invisible ; ceux qui n'y croient pas persistent à douter. J'ai moi-même été le témoin de quelques bizarreries spectrales, tout en restant sceptique, et me dis que le réel est infiniment complexe et nos savants infiniment ignorants.

  7. « De là vient que, dans le concept de l'entendement pur, la matière précède la forme, et c'est la raison pour laquelle Leibniz admit d'abord des choses (des monades) et, à l'intérieur de celles-ci, une faculté de représentation »

    (Kant traduit par Alain Renaut, « Critique de la raison pure »)

    Cette faculté de représentation est d'autant plus riche que le langage qui la permet est riche. C'est la complexité des langues qui fonde la complexité du réel.

  8. J'entends dire qu'un énième chauffard conduisant sans permis, ni assurance, a grièvement blessé quelqu'un. La déresponsabilisation qui consiste à sanctionner insuffisamment ce genre de délit, ne servant pas d’exemple, fait courir des risques à la population.

  9. « On ne passe point dans le monde pour se connaître en vers, si l'on n'a mis l'enseigne de poète, de mathématicien, etc. Mais les gens universels ne veulent point d'enseigne, et ne mettent guère de différence entre le métier de poète et celui de brodeur. »

    (Pascal, « Pensées »)

    Les « gens universels » de Pascal ont raison. Ce n'est que par convention que l'on attribue aux artistes une importance telle que l'on feint de trouver intéressant ce qui est ennuyeux et que l'on loue des sottises pourvu qu'elles rapportassent piastres et pépètes.

  10. « Entre nous, et l'enfer ou le ciel, il n'y a que la vie entre deux, qui est la chose du monde la plus fragile. »

    (Pascal, « Pensées »)

    Et comme il n'y a pas plus d'enfer que de ciel, ni que de démocratie en Chine communiste, nous restons seul avec la nécessaire injustice de notre fragilité.

    Patrice Houzeau

    Malo, le 23 octobre 2022.

22 octobre 2022

L'HUMAIN EST L'ANIMAL QUI SE REVE HUMAIN

L'HUMAIN EST L'ANIMAL QUI SE REVE HUMAIN

  1. « Il consacra treize ans à ces efforts hétérogènes, mais la main d'un étranger l'assassina et son roman était insensé et personne ne trouva le labyrinthe. »

    (Borges, « Le jardin aux sentiers qui bifurquent »)

    Le labyrinthe étant introuvable, le roman n'en eut pas plus de sens.

  2. « Ma particularité, ainsi que celle des autres, n'est absolument un droit que si je suis un être libre. »

    (Hegel traduit par André Kaan, « Principes de la philosophie du droit »)

    La liberté n'ayant d’existence que si elle est conditionnée, c'est par la reconnaissance de la liberté du particulier par l'Etat qu'elle peut réellement s’exercer.

  3. La Chine utilise le capitalisme comme un moyen d'arriver à une fin, laquelle est la pérennisation ad æternam du pouvoir sans partage du parti communiste chinois. La liberté en Chine n'est qu'un chausse-trappe.

  4. « Hé quoi ? Cela ne revient-il pas à dire, en termes vulgaires : « Dieu est réfuté, le diable non ? » - Au contraire, amis, au contraire. Et qui diable vous oblige à parler en termes vulgaires ? »

    (Nietzsche traduit par Geneviève Bianquis, « Par-delà le bien et le mal »)

    On doute des causes et des motivations du Bien cependant que l'on accorde au Mal la toute-puissance des empires.

    C'est ainsi que, par inversion maligne, on conteste à Volodymyr Zelensky et aux Ukrainiens le droit de se battre pour la souveraineté de leur pays cependant que l'on pare Poutine de vertus quasi messianiques.

  5. « Cette « bête féroce » n'a pas été abattue, loin de là, elle vit, elle prospère, elle s'est seulement divinisée. »

    (Nietzsche, « Par delà le bien et le mal »)

    De la théocratie en Amérique. Et ailleurs, et redoutable, et mortifère.

  6. « Mais la fortune du roi change lorsqu'il prétend conquérir des régions de l'Autre Monde. »

    (Jean-Pierre Foucher, préface aux « Romans de la Table Ronde », de Chrétien de Troyes).

    On ne s'attaque pas impunément à l'invisible. Tant que les forces de l'attaquant sont visibles, il ne peut espérer vaincre qu'un aussi visible que lui. L'invisible tue à coup sûr.

  7. « … des hommes qui n'étaient pas assez nobles pour discerner les degrés vertigineux et les abîmes qui séparent l'homme de l'homme... »

    (Nietzsche, « Par-delà le bien et le mal »)

    La lucidité serait-elle une noblesse ?

  8. « Les romans arthuriens de Chrétien de Troyes représentent un moment de la tentative dont l'histoire est toute l'histoire de l'homme. »

    (Jean-Pierre Foucher, Préface aux « Romans de la Table Ronde »)

    C'est peut-être parce que l'humain tend à s'échapper du déterminisme de son histoire, de sa généalogie, que l'humanité se définit par sa tentative.

    Et quand il prétend s'inscrire dans cette généalogie qui serait son histoire, il s'enferme dans une synchronie qui le mène à des impasses, comme on le voit avec la sale guerre de Poutine en Ukraine menée au nom d'une Grande Russie révolue.

  9. « On embauche les flammes pour la destruction des édifices. On embauche la bassesse humaine pour la destruction des fiertés. On embauche la bêtise et la veulerie dans un immense et composite outil. »

    (Henri Michaux, « la marche dans le tunnel »)

    La guerre est un utilitarisme. Elle « embauche ». Elle fabrique « le temps des assassins ». La guerre est une industrie.

  10. « Il comprit que l'entreprise de modeler la matière incohérente et vertigineuse dont se composent les rêves est la plus ardue à laquelle puisse s'attaquer un homme »

    (Borges, « Les ruines circulaires »)

    C'est cependant en vertu de sa faculté des songes que l'humain agit, produit, innove sans cesse. L'humain est l'animal qui se rêve humain.

    Patrice Houzeau

    Malo, le 22 octobre 2022.

18 octobre 2022

LIBRE DETERMINÉ VACCINÉ MASSIFIÉ

LIBRE DETERMINÉ VACCINÉ MASSIFIÉ

1.

« L'homme est à la fois libre et déterminé. Cette contradiction ne peut être surmontée qu'à la condition de situer la liberté dans un autre monde que celui des phénomènes. »

(Note 61 de Pierrette Bonnet sur les « Fondements de la métaphysique des mœurs », de Kant, Nathan, 1992)

C'est impressionnant comme nous ne pouvons nous passer de l'idée d'un « autre monde ».

N’existons-nous jamais qu'en fonction d'un autre monde, ce fantôme efficace ?

Que l'autre monde soit efficace n'implique pas qu'il soit moral.

Les pro-Poutine occidentaux actuels fantasment un autre monde : celui d'une tradition figée, d'un ordre social efficace et pérenne. Que ce monde ancien n’existe que dans la propagande d'une extrême-droite étrangement tournée vers l'eurasisme remet en cause et leur patriotisme et leur nationalisme puisque, que je sache, la République française doit plus à la philosophie des Lumières qu'à je ne sais quel courant de pensée métaphysico-totalitaire.

2.

« Mais la prétention légitime qu'a la raison humaine, même la plus commune, à la liberté de la volonté, se fonde sur la conscience et sur la supposition admise de l'indépendance de la raison »

(Kant traduit par Victor Delbos, « Fondements de la métaphysique des mœurs »)

Il y a-t-il indépendance de la raison comme il y a rareté naturelle ?

La République a-t-elle pour but de rendre efficace cette indépendance de la raison en la soumettant à la nécessité de l'utilité comme le productivisme rend efficace la nature en la forçant à être toujours plus rentable ?

3.

- Mais ce n'est pas une rue fantôme ?

- Ce n'est pas une rue fantôme. D'ailleurs, elle n’existe plus.

4.

« Or, à coup sûr, l'humanité pourrait subsister, si personne ne contribuait en rien au bonheur d'autrui, tout en s'abstenant d'y porter atteinte de propos délibéré »

(Kant traduit par Victor Delbos, « Fondements de la métaphysique des mœurs »)

Que l'humanité puisse « subsister » sans « atteinte de propos délibéré » à autrui est une vue de l'esprit. L'humain n'étant ni naturellement bon, ni naturellement mauvais, la rareté naturelle en fait nécessairement un concurrent redoutable et potentiellement dangereux pour son semblable.

Ne soyons pas hypocrites : la démocratie est une manière élégante de faire en sorte que les concurrences nécessaires entre les individus ne fassent de la société une guerre civile permanente ; l'ordre dictatorial poursuit le même but, mais de façon moins élégante, et avec beaucoup moins de succès comme on le voit avec la catastrophique sale guerre de Poutine en Ukraine et les désillusions de l'économie chinoise.

A chaque fois que j'évoque la Chine, je pense à Jean-Pierre Raffarin. Ceci dit, franchement, je m'en fous de Raffarin. Quand je l'entends à la radio, je change de station ou je vais sur You Tube écouter du Gentle Giant.

5.

« La volonté est conçue comme une faculté de se déterminer soi-même à agir conformément à la représentation de certaines lois. »

(Kant traduit par Victor Delbos, « Fondements de la métaphysique des mœurs »)

On obéit. Et on laisse à l'Etat le soin de nous expliquer pourquoi on doit obéir. C'est à ça que servent les politiques, les technocrates, les sociologues et la désastreuse massification de l'enseignement supérieur. C'est parfois contre-productif.

Patrice Houzeau

Malo, le 18 octobre 2022.

15 septembre 2022

AH TIENS JE VAIS MANGER UN CORNICHON

AH TIENS JE VAIS MANGER UN CORNICHON

1.

« Ce toit tranquille, où marchent des colombes,

Entre les pins palpite, entre les tombes ;

Midi le juste y compose de feux

La mer, la mer, toujours recommencée ! »

(Paul Valéry, « Le cimetière marin »)

 

A midi, les élèves aiment bien quand il y a des frites à la cantine.

Ce qui ne les pousse heureusement pas à ramener leurs fraises et leurs frites sur les toits, et pas plus entre les tombes, que les pins palpitent ou pas.

Du reste, il est strictement interdit de manger des frites entre les tombes.

Un film américain, dans le genre horrifique, raconte ce qui arriva à un groupe d'adolescents (deux filles, trois garçons) qui, adorateurs des démons Mayo, Ketchop et Potato, allèrent sacrifier à leur culte en dévorant quelques paquets de frites au bord d'une tombe. Ils eurent beaucoup d'ennuis.

Avec la police d'abord. Avec leurs parents ensuite.

Quant à la mer, c'est un disque rayé.

2.

« J'observe toujours, en cherchant une question de Géométrie, que les lignes, dont je me sers pour la trouver, soient parallèles, ou s'entrecoupent à angles droits, le plus qu'il est possible ; »

(Descartes, « Lettre à Elisabeth », novembre 1643)

 

La Géométrie ne fume pas la pipe, sauf dans le cubisme.

Le surréalisme a montré, grâce à Magritte, que « ceci n'est pas une pipe ».

Maintenant, une accumulation de pipes pourrait constituer une œuvre d'art conceptuelle, une installation, comme on dit chez les installateurs.

Ce qui aurait l'avantage de faire travailler les producteurs de pipes.

Popeye est un marin de dessin animé américain qui mange des épinards. Sa fiancée s'appelle Olive. Popeye fume la pipe.

Popeye, à ma connaissance, ne s'est pas intéressé à la Géométrie. Descartes ne connaissait pas Popeye. Descartes fumait-il la pipe ? Je n'en sais fumeusement rien.

3.

« La Pythie exhalant la flamme

De naseaux durcis par l'encens,

Haletante, ivre, hurle !... l'âme

Affreuse, et les flancs mugissants ! »

(Paul Valéry, « La Pythie »)

 

Peut-on faire une âme ? Peut-on forger une âme ?

Chaque humain passe-t-il son existence à se forger l'âme ?

Je ne pense pas que l'on puisse faire une âme comme on prépare un plat de spaghettis.

 

Peut-on défaire une âme ?

Intuitivement, je répondrai que oui et que les rues sont pleines d'âmes défaites qui passent, grelots agités dans des carcasses éphémères.

 

La philosophie peut-elle aider à se forger l'âme ?

La philosophie peut-elle aider à se forger l'âme sans jamais y parvenir tout à fait, comme il en est de bien des projets philosophiques dont l'accomplissement est dans le chemin lui-même et dont le but semble toujours étrangement reculer.

On n'est même pas sorti de l'auberge, que le château déjà s'estompe, s'efface, s'effrite.

 

Je ne pense pas que l'âme survive au corps. Que voulez-vous que l'invisible en fasse ? A moins que le dieu qui, dit-on, nous a bricolés, soit un collectionneur d'âmes.

Sommes-nous les alambics qu'un dieu créa pour y distiller une infinie variété d'âmes ?

4.

« Car il n'y a que la seule irrésolution qui cause les regrets et les repentirs. »

(Descartes, « Lettre à Elisabeth », 15 septembre 1645)

Lorsque j'hésite entre prendre des frites dans une baraque à, ou me faire des œufs sur le plat, je ne dois tergiverser trop longtemps : les frites pourraient m'en vouloir et les œufs sur le plat s'envoler pour d'autres espaces.

Le mieux c'est d'acheter des patates, en faire des bâtonnets que je mettrai à frire, puis de me faire des œufs sur le plat que je mangerai après le deuxième passage des frites.

Je n'ai pas de friteuse. Donc, c'est décidé, je vais prendre un sandwich au thon, et toute la journée, je penserai que j'aurais dû prendre une omelette-frites, avec une bière.

Lorsque j'hésite entre trahir un ami ou aller manger une choucroute, en général, assez rapidement, je n'ai plus faim.

5.

Ah tiens, je vais manger un cornichon. Ça va me renvoyer à ma condition, sinon à ma solitude.

6.

« Quelle, et si fine, et si mortelle,

Que soit ta pointe, blonde abeille,

Je n'ai, sur ma tendre corbeille,

Jeté qu'un songe de dentelle. »

(Paul Valéry, « L'abeille »)

 

Je me demande ce que peut-être un « songe de dentelle ».

Les dentellières de l'invisible nous brodent-elles de ces songes de dentelle qui nous adoucissent les nuits et réjouissent l'adolescent ?

Je me demande quel est le rapport entre la « blonde abeille » et le songe de dentelle ?

Paul Valéry décrit-il quelque pièce de broderie fine qui parerait la poitrine, la « tendre corbeille » aux gourdes belles (comme il écrit, Valéry, quand il écrit : « Pique du sein la gourde belle »), à moins que la « gourde » soit la fille toute entière, mais je ne crois pas, quoique.

7.

« Pour l'admiration, encore qu'elle ait son origine dans le cerveau, et ainsi que le seul tempérament du sang ne la puisse causer, comme il peut souvent causer la joie ou la tristesse,... »

(Descartes, « Lettre à Elisabeth », mai 1646)

Le cerveau voit, entend, comprend beaucoup de choses que nous ne pouvons croire, ni admettre.

Le cerveau se promène sur nos deux jambes et garde pour lui ce qui ne devrait pas nous inquiéter, ou nous concerner.

La plupart du temps, le cerveau évanouit les fantômes. Il arrive pourtant qu'il les suscite. Et vlan, nous v'là plongés dans l'grand guignol à fantasmes menaçants, avec couteaux et grotesques gueules de macabres.

Puis il y a les choses dont on se fait un plat qu'on finit par se noyer dans un verre d'eau.

C'est exactement le genre de considérations que je cultive à chaque fois que je croise un éléphant, en particulier s'il est effervescent.

Patrice Houzeau

Malo, le 15 septembre 2022.

 

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