Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BREFS ET AUTRES
fantaisies speculatives
24 janvier 2023

PENDANT QUE LE BOEUF CUIT

PENDANT QUE LE BOEUF CUIT

1.
« - Et mon bœuf ?
- Il cuira sans vous.
- Mais il cuira trop !
- Eh bien ! nous mangerons moins. »
(Arthur Bernède, « Belphégor », III,5. [Marie-Jeanne et Chantecoq])

Arthur Bernède, « Belphégor », III,5. « Où l'on voit le bossu et l'homme à la salopette travailler une fois de plus pour Belphégor ». « sonnette fêlée », « bruit de ferraille », la tête à Lüchner. Moi, c'est pareil, je ne sais pas comment Jacques Bellegarde s'en est sorti, j'ai oublié, mais en tout cas, comme dit l'homme à la salopette : « Jacques Bellegarde est vivant. »

Non seulement, Bellegarde est vivant, mais en plus il ne se laisse pas attraper par la police. C'est bien simple, on dirait Belphégor. Préparatifs d'une machine infernale. « Demain soir, à dix heures, poum ! ».

Une invitation. Ce n'est pas une erreur, c'est un piège. Tiens, voilà les employés du gaz. Marie-Jeanne prépare un bœuf-mode. Marie-Jeanne à la lanterne descend à la cave. Machine infernale vous dis-je.

Celui qui n'était pas chez lui, alors qu'il aurait dû y être, sera ce soir là où il ne devrait pas être, surtout vers dix heures.

Bizarre quand même, il y a bien une lettre, mais c'est comme s'il n'y avait personne. Chantecoq veille au grain. Marie-Jeanne s'inquiète pour son bœuf. Tout le monde (ou presque) descend à la cave pour faire la lumière.

La lumière est faite, d'ailleurs « l'électricité est revenue », remarque Marie-Jeanne. Avec tout ça, montage, démontage, bricolage, machinage, démachinage, que va dire la Compagnie du Gaz ?

2.
« Mais la brave fille, à bout de forces, s'écroula sur le parquet, tandis que Belphégor, emportant la morte, fuyait dans les ténèbres. »
(Arthur Bernède, « Belphégor », III, 6)

Arthur Bernède. « Belphégor », III, 6. « Où le Fantôme reparaît ». L'inconnue aux cheveux d'or. Mlle Desroches avait donc une sœur. L'inconnue n'est plus une inconnue ; d'ailleurs, elle s'appelle Mme Mauroy. Juliette n'a pas pu ouvrir la valise. « Mme Mauroy a conservé la clé ».

Arrivée de Ferval, le directeur de la P.J. Il faut autopsier le corps de Simone. En effroi, Mme Mauroy. C'est vrai que dans le genre boucherie charcuterie, une autopsie... Les pages qui suivent dépeignent l'immense chagrin de Mme Mauroy, dont on apprend par un adjectif qu'elle est « jeune ».

Faut-il en croire Juliette ? N'est-on « jamais seul, avec les défunts... Il y a toujours leur âme. » Et qu'appelle-t-on âme ici ? Cet être de l'absence ?

Un « bruissement ». Le silence « plane ». Des roses sur le tapis. Juliette pense que le Fantôme est proche. Dites un peu que c'est impossible qu'il revienne, le revenant, et si les lumières s'éteignent et qu'à la lueur des bougies, la petite porte « au fond du hall » s'ouvre lentement, et bien, c'est que vous voilà dans un fichu suspense. Fantôme apparu, corps disparu. Café bouillu, café foutu. Turlututu, chapeau pointu.

Ce chapitre se clôt sur la réapparition de Belphégor, lequel, d'un « coup de sa terrible matraque », assomme Juliette et emporte le corps de Simone Desroches, au nez et à la barbe qu'elle n'a pas d'Elsa Bergen évanouie. Un détail chiffonne : celui de la clé conservée par Mme Mauroy et qui empêcha Juliette d'ouvrir la valise de l'inconnue aux cheveux d'or.

Et si Mme Mauroy jouait la comédie, et si Mme Mauroy n'était pas Mme Mauroy ? Mais je n'en sais pas plus que vous, découvrant le roman au fur et à mesure que je l'annote.

Du reste, vous noterez que je m'amuse avec sérieux. Je ne prends pas tant que ça à la légère ni Bephégor, ni d'une manière générale, le roman de genre, fût-il populaire, à conditions que j'y trouve un je ne sais quoi de plaisant, bien entendu.

Patrice Houzeau
Malo, le 24 janvier 2023.

Publicité
Publicité
17 janvier 2023

NUL N'EST UN MONDE TOUS SONT AU MONDE

NUL N'EST UN MONDE TOUS SONT AU MONDE

1.
Donc en Italie. Pascal Quignard évoque Dante en proie à la fièvre. Une « cape verte ». Navigation. Vin chaud. Sommeil. Il est parfois nécessaire de se protéger de la lumière. Les gens se protègent du soleil. Ils aimeraient aussi se protéger des moustiques et de la vérité.

Le narrateur ne va pas très bien. Il se sent des flemmes. Il sait que le cercle. C'est comme ça. On ne peut jamais briser son cercle. Croit-on l'avoir brisé, qu'il se reforme, plus serré. Lacet. Charrette.

Les mots ne viennent plus. On demande un pasteur pour le troupeau des mots. Ce pasteur, nous l'appellerons « poète », ou « voyant » ou mon N'est-ce pas assez dans le style Léo Ferré ?

La charrette appelle le chevalier. Lancelot bien sûr. Les chevaliers de la légende arthurienne ne sont-ils pas ceux qui, cherchant la pureté, frôlent l'enfer ?

Auberge. C'est une musique. J'en ai oublié le chanteur. On oublie tant de choses. Travailler, rappeler. Septembre est un mois jaune taché de roux, de rouille, du grouillement des rentrées.

« Tout son visage était couvert d'eau », écrit Pascal Quignard dans « Sordidissimes » à propos de Dante en proie à la fièvre.

2.
Les animaux se souviennent-ils de ce qu'ils ont perdu ? Le petit cherche-t-il sa mère ou la chaleur et la protection de sa mère ? Les animaux se souviennent-ils de « la nuit d'avant la nuit » qu'évoque Pascal Quignard dans « Sordidissimes » (chapitre XXXIV).

Litanie des pertes. Nous laissons. Souvent contraints, parfois par choix.

Pascal Quignard évoque « la nuit de la langue ». Quoi donc ? Ce que masquent les syllabes et qui n'est pourtant que par ce masque.

Pascal Quignard évoque une « nuit qui précède la nuit ». Ce vers de Claude Roy : « Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit ». Du « nom de l'être ».

Les étants, les mots les projettent. Ce sont leurs ombres, que les mots remuent, agissent, fonctionnent, machinent. Et les ombres nous accaparent, nous frappent, nous asphyxient, nous tuent. Entre les ombres et les mots, il y a « le nom de l'être ».

Pascal Quignard évoque une « nuit d'avant la nuit ». La nuit mère. La nuit matrice. La nuit que l'on appelle au moment des trop grandes souffrances. Le soldat éventré qui va mourir.

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine a déchaîné la nuit sur l'Ukraine. Il a souhaité, il souhaite, et maintenant souhaitera jusqu'à ce que la nuit le rattrape, que les Ukrainiens soient rappelés à la nuit. C'est ce désir de nuit, cette volonté de mort, cette fièvre des ténèbres qui le condamne à vaincre ou abdiquer. Il abdiquera.

Nul n'est un monde.
« lisant, aimant, écrivant, parlant, errant,
inquiets des paysages, des lumières, du flot, des ombres, » écrit Pascal Quignard dans « Sordidissimes » (chapitre XXXIV)

Voyageurs aux « ventres nus », écrit l'auteur.
Nul n'est un monde. Tous sont au monde. Nus et reproductifs.

Patrice Houzeau
Malo, le 17 janvier 2023

1 janvier 2023

LA MACHINE A SPECTRES

LA MACHINE A SPECTRES

Notes sur les parties II et III de "L'Homme au Sable", de E.T.A Hoffmann, traduit par Loève-Veimars

« Sie saß der Türe gegenüber, so, daß ich ihr engelschönes Gesicht ganz erblickte. Sie schien mich nicht zu bemerken, und überhaupt hatten ihre Augen etwas Starres, beinahe möcht ich sagen, keine Sehkraft, es war mir so, als schliefe sie mit offnen Augen. »
(E.T.A Hoffmann, « Der Sandmann » [Nathanael an Lothar])

Au clavier, c’est avec « ALT » maintenu appuyé pendant que l’on tape 0 2 2 3 que l’on obtient ß.

« Elle était vis-à-vis de la porte, et je pouvais contempler ainsi son visage angélique. Elle sembla ne pas m’apercevoir, et surtout, ses yeux paraissaient fixes, et je dirai même dépourvus de regard ; c’était comme si elle eût dormi les yeux ouverts ».
(Hoffmann, « L’Homme au sable », traduit d’après Loève-Veimars)

1.
Clara répond à Nathanaël.
Pourquoi un intermédiaire ? (en l’occurrence Lothaire, le frère de Clara).
Vertige de la lecture : « tout semblait tourbillonner devant mes yeux » écrit Clara. La nouvelle « L’Homme au sable » a-t-elle pour véritable sujet la façon dont le réel agit sur notre regard ?

2.
La lettre de Nathanaël a troublé Clara. Coppola en menace fantasmatique.
« Mais, bientôt, dès le lendemain déjà, écrit Clara, tout s’était présenté à ma pensée sous une autre face. » : le regard encore.

Clara est rationnelle et explique à Nathanaël d’où vient sa « hantise ».
La passion de l’alchimie aurait tué le père de Nathanaël et « Coppelius ne saurait en être accusé. »

3.
Clara en psychothérapeute.
Le réel en « surface bariolée ». Une peinture, le réel. Une représentation. Un piège à reflets. Ce dont nous nous réjouissons, « comme un fol enfant à la vue des fruits dont l’écorce dorée cache un venin mortel. »

Le réel est piégé, trappé, et ne se présente jamais comme il est vraiment. Et ce qu’il est vraiment, pouvons-nous le savoir ? Sans doute pouvons-nous le calculer, mais que calculons-nous réellement ?

4.
Clara évoque « le sentiment d’une puissance ennemie qui agit d’une manière funeste ». Le sentiment qui anime ceux qui croient aux complots universels, les anti-vaccins, les sceptiques quant à l’existence du covid, les pro-Poutine, les populistes, ceux qui s’imaginent des sociétés secrètes gouvernant le monde.

Clara débusque l’ennemi : ce n’est pas une « puissance occulte » qui « plonge » en nous « ses griffes ennemies », mais un « ennemi intérieur ». Les complotistes projettent dans le réel ce qui leur mine l’âme et qui dépend de leur mode d’être au monde.

Le complotistes pense que le réel veut le piéger. Il n’a pas tort mais il se trompe sur la nature du piège.

5.
« un principe dévorant qui nous consume ».
« le fantôme de notre propre nous ».
Coppelius et Coppola ne sont que des fantasmes qu’il faut dissiper.
« et de bannir le hideux Coppola par un fou rire » : la dérision ruine les spectres.

6.
De nouveau « Nathanaël à Lothaire ». Des « fantômes » du « moi ». Une machine à sécréter du spectre. Une machine à sécréter de la représentation : le langage. Du reste, parfois, nous disons ça machinalement.

7.
Nathanaël évoque « l’esprit qui scintille de ses yeux clairs et touchants ».

La logique contre les fantômes. Si l’on agite le Tractatus Logico-Philosophicus de Wittgenstein devant un revenant, le fera-t-on reculer comme le crucifix fait reculer le vampire ?

8.
Coppola serait un véritable « mécanicien » italien comme Coppelius serait un véritable avocat allemand. Je viens de voir « Le Roi de cœur » (1966), de Philippe de Broca : jolie fantaisie sur l’échappement au réel implacable, avec musique mélancolico-drolatique de Georges Delerue.

Portrait du professeur de physique Spalanzani : un rond, « pommettes saillantes », nez pointu, yeux perçants. Hoffmann indique, via Nathanaël, sa source d’inspiration : « le portrait de Cagliostro, gravé par Chodowiecki ».

La fiction, soulignant par l’exemple sa référence au réel, est renforcée dans sa fonction mimétique.

9.
Nathanaël écrit « J’ignore moi-même comme je vins à regarder à travers la glace. » Acte manqué. Expression de l’inconscient.

Le spectacle de la femme mystérieuse. « figure ravissante ». « ses yeux paraissaient fixes », « comme si elle avait dormi les yeux ouverts ».

La fille derrière le rideau, puis derrière la glace, la vitre.  Un miroir sans tain ? Spectacle, songe, malaise de ce que l’on n’aurait pas dû voir, et que l’on voit pourtant : la fille du professeur de physique, la très réservée Olimpia.
Chez un spéculatif comme Nathanaël, la fascination guette.

Patrice Houzeau
Malo, le 1er janvier 2023.

30 décembre 2022

ON APPELLE CELA UN FANTÔME JE CROIS

ON APPELLE CELA UN FANTÔME JE CROIS

Notes sur la première partie de « L’Homme au Sable », de Hoffmann, traduit par Loève-Veimars.

« Je croyais apercevoir tout autour de lui des figures humaines, mais sans yeux. Des cavités noires, profondes et souillées en tenaient la place. – Des yeux ! des yeux ! s’écriait Coppelius d’une voix sourde et menaçante. »
(Hoffmann traduit par Loève-Veimars, « L’Homme au Sable » [Nathanaël])

1.
Nathanaël écrit qu’il pense à sa Clara.
Nous pensons toujours à quelqu’un d’inaccessible.
Nous pensons toujours à quelqu’un qui n’existe que pour nous et qui a pourtant un référent dans le réel.
On appelle cela un fantôme, je crois.

Parfois, les marchands de baromètres qui entrent dans votre chambre, vous avez comme une envie de les « précipiter du haut de l’escalier ».
En écrivant, j’écoute des chansons d’Angèle. Je sais bien que c’est juste de la variété, mais c’est comme le rock n’ roll, I like it. (reste à déterminer à quel point la plastique nordico-wallonne de la chanteuse, dont je dévore les clips, m’influence).


Le rôle des chanteurs de variétés est d’incarner quelqu’un qui n’existe que pour nous.
La société du spectacle nous fournit nos fantômes.
Le consumérisme a réussi ce tour de force : faire du fantôme une marchandise.

2.
Nathanaël écrit qu’il va raconter des « aventures » de son enfance.
On comprend que l’œil de Sigmund Freud s’ouvrit à la lecture de ce passage.
Il est ensuite question du père de Nathanaël, des « histoires merveilleuses » du père, de la pipe du père, des silences du père.
L’heure de « l’Homme au Sable ».
l’expression me fait penser aux sabliers, aux montres, aux horloges, aux emplois du temps.
Les autres nous rappellent sans cesse sans cesse sans cesse que le temps nous est compté.
« l’Homme au sable ». Nathanaël prend au pied de la lettre l’expression de sa mère.
A prendre le réel au pied de la lettre, on finit parfois dans une fiction, ou dans un livre composé par un psychanalyste lettré,

 
«… comme si l’on vous avait jeté du sable dans les yeux. »
C’est ce que fait le réel : nous jeter du sable dans les yeux, à tel point que nous finissons par penser que le réel n’est jamais que ce sable qui nous brouille la vue, que ce vent le long de la digue qui nous fait détourner la tête, alors la mer, qui n’est juste qu’une illusion, comme le dit Art Mengo dans une chanson fameuse, « n’existe pas ».

« La mer n’existe pas
Parfois nous la croyons
Mais elle n’existe pas
Ce n’est qu’une illusion »
(« La mer n’existe pas », Michel Armengot, Patrice Guirao).

3.
Les évocations fantastiques de la « vieille servante » confortent Nathanaël dans sa vision fantasmatique du visiteur du soir. Les fictions nous forgent un réel que nos yeux acceptent ou pas (à en devenir fou).

L’Homme au Sable, cet inconnu, cet invisible qui, certains soirs, rend visite à son père, obsède l’enfant Nathanaël.

Visites imprévisibles pour l’enfant ; autant de mauvaises surprises.

« la vapeur odorante et singulière » : l’expression me plaît. Elle n’évoque ni un parfum, ni une odeur. Elle rappelle ces odeurs fantômes qui reviennent parfois du passé, provoquant un subtil, décalage avec le réel où nous existons encore.

L’enfant Nathanaël se fait espion et découvre qui est « l’Homme au sable ». C’est un être repoussant dont ses parents semblent être obligés de supporter les visites.

C’est un avocat, il faut donc l’appeler « Maître ».

Le père et Coppelius en alchimistes ? En sorciers ? « Des yeux ! des yeux ! ».

L’espion émotif se fait prendre.
Le père sauve les yeux de son fils.
De qui parle Maître Coppelius quand il dit : « le vieux de là-haut a parfaitement compris cela ! » ?
Evanouissement de Nathanaël. Fièvre de Nathanaël. « il n’en faut pas accuser mes yeux ».
Disparition et retour de Coppelius.
« Les larmes s’échappèrent des yeux de ma mère ».
« les yeux étincelants » de Coppelius.

Mort du père. Disparition de « l’infernal Coppelius ».
Réapparition en marchand de baromètres sous le nom de Giuseppe Coppola. Le réel se travestit, et comme tout est toujours travesti, masqué, le réel devient pour nous la suite des masques que nous prenons les uns pour les autres.

Trumpistes et poutinistes appellent cela « vérité alternative » et prétendent nous faire prendre leurs masques pour la réalité. Que l’on tente d’ôter leurs masques et de révéler quels coppelius, quels trafiquants de regards ils sont, ils rentrent en furie, nous menaçant de ruine et d’apocalypse nucléaire.

Patrice Houzeau
Malo, le 30 décembre 2022.

26 décembre 2022

LA MACHINE QUEL MACHIN TOUT DE MÊME

LA MACHINE QUEL MACHIN TOUT DE MÊME

Nietzsche traduit par Henri Albert revu par Kremer-Marietti. « Réaction contre la civilisation des machines. » in « Le Voyageur et son ombre ». La « machine », « produit de la plus haute capacité intellectuelle ». La machine, quel machin tout de même, qu'on en machine à tour de bras.

La machine ne met pas forcément « en mouvement » le meilleur de l'humain. Exemple : Internet, outil fabuleux de connaissance et terrain de manœuvres des pires complotismes.

La machine ne serait-elle jamais qu'au service de « forces inférieures et irréfléchies » ? (« die niederen, gedankenlosen Kräfte »).

« Une somme de forces énormes » écrit Nietzsche à propos de l'influence, de l'action, du travail sur le réel qu'opèrent les machines. Une somme qui, sans la machine, « demeurerait endormie », où n’existerait pas, ou resterait à la marge.

Nietzsche, dans ce fragment (le 220 de « Le Voyageur et son ombre ») oppose l'artiste, l'humain se réalisant, à la machine qui met à notre disposition une réalité performante.

Cette réalité efficace, comme toutes les réalités dont nous ne sommes pas les créateurs, finit par produire un « ennui désespéré ». Elle contamine « l'âme », en fait la proie d'une « oisiveté mouvementée ». « Mouvementée » est bien le mot, comme le montre l’exemple des périls encourus par les utilisateurs imprudents des réseaux sociaux.

Le vingt-et-unième siècle sera machinal. Ce qu'a tenté Daech, et ce que tente maintenant Poutine dans sa sale guerre en Ukraine : faire des âmes des machines à tuer. Pour cela, il faut les programmer, les convaincre que la haine est préférable à la bienveillance, que la guerre est préférable à la paix, et que si les agressés résistent, c'est que ce sont eux les vrais fauteurs de guerre.

Le vingt-et-unième siècle sera machinal. La production sera automatisée et les personnels au service de l'automatisation, de la connexion universelle, du contrôle permanent de tous par tous. Pour cela, il faut convaincre que la machine protège l'humain, alors qu'elle l'étouffe dans le même mouvement qu'elle le libère des tâches ingrates, des travaux périlleux, et lui fait miroiter l'accès infini à l'arbre de la connaissance.

Nietzsche. « Der Wanderer und sein Schatten ». 220.

« Reaktion gegen die Maschinen-Kultur. - Die Maschine, selber ein Erzeugnis der höchsten Denkkräfte, setzt bei den Personen, welche sie bedienen, fast nur die niederen, gedankenlosen Kräfte in Bewegung. Sie entfesselt dabei eine Unmasse Kraft überhaupt, die sonst schlafen läge, das ist wahr, aber sie gibt nicht den Antrieb zum Höhersteigen, zum Bessermachen, zum Künstlerwerden. Sie macht tätig und einförmig – das erzeugt aber auf die Dauer eine Gegenwirkung, eine verzweifelte langeweile der Seele, welche durch sie nach wechselvollem Müssiggange dürsten lernt. »
(Nietzsche, « Der Wanderer und sein Schatten », 220).

Patrice Houzeau
Malo, le 26 décembre 2022.

Publicité
Publicité
26 décembre 2022

A QUOI SERT LA VIRTUOSITE BAUDELAIRIENNE ?

A QUOI SERT LA VIRTUOSITE BAUDELAIRIENNE ?

Notes sur le sonnet « La cloche fêlée », de Baudelaire.

1.
Baudelaire, « La cloche fêlée », 1er quatrain. L'hiver, faut avoir des consolations. L'amertume mêlée à la douceur, qu'il revendique le narrateur baudelairien. « Revendique » est-il bien le mot ? Comment l'auteur de « Parfum exotique » et de « A une dame créole » supportait-il l'hiver et ses « froides ténèbres » ? Le « feu » déclenche l'allitération « f » et la palpitation ternaire. Des « carillons » qui « chantent dans la brume » : étrange paysage sonore, masqué, au rythme régulier (2/4/2/4) d'une partition. La mémoire puise dans ses lointains. Où « s'élèvent-ils » « lentement » qu'on dirait des esprits suscités par les flammes (sont-ce les ombres sur les murs ?), ces « souvenirs lointains » ? Sinon dans sa propre hantise, où donc ? « Cloche fêlée » ? Sans doute : y a comme un « bruit » dans ce qui « chante » : la rime « hiver / s'élever ».

« Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume. »
(Baudelaire, « La cloche fêlée », 1er quatrain).

2.
Baudelaire, « La cloche fêlée », second quatrain. Les occlusives [k] et [g] rythment le vers 5 du sonnet. La séquence « gosier vigoureux » est efficace, résonnant comme les deux coups de cloche d'un rituel. Assonance « o » qui accompagne la métaphore cloche/être humain : « cloche », « gosier vigoureux », « bien portante », « soldat ». Eloge de la vieille fidélité de la cloche, assimilée à une sentinelle. Parallèle « vieillesse de la cloche / vieux soldat ». Assonance « i » dont la résolution se trouve dans le mot « cri » et qui apparaît tantôt assourdie (« Bienheureuse », « gosier », « vieillesse », « religieux », « vieux », « veille »), tantôt sonore, éclatante (« vigoureux », « Qui », « fidèlement », « cri religieux », « Ainsi »). Le son « i » : quel drôle de son pour une cloche ! Plus humain que métal, ce « cri ».

« Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente ! »
(Baudelaire, « La cloche fêlée », second quatrain)

3.
Baudelaire. « La cloche fêlée », les deux tercets. Rupture : irruption du « Moi » après l'éloge dans les quatrains du « bruit des carillons qui chantent dans la brume ». Opposition de l'occlusive [m] (« Moi, mon âme ») et de la constrictive [f] (« est fêlée »). Echo de cette « fêlure » dans le dernier mot du premier tercet : « affaiblie ». Moi, mon âme défois elle rame. Retour du son « i » à la rime. Plaintif le « i » quand il n'évoque pas le rire. Le verbe « peupler » suggère une humanité que la forme « veut » prétend affirmer.

Hyperbole du second tercet : l'âme devient un « blessé qu'on oublie / Au bord d'un lac de sang ». Reprise macabre de l'image du « vieux soldat ». Il « râle », le camarade laissé pour mort et qui ne s'appelle pourtant pas Guttu. Le sonnet a commencé par un tableau mélancolique et finit sur une vision d'horreur. Et ça, c'est parce que le narrateur baudelairien s’exagère. Le « chant » est devenu une « voix affaiblie » puis un « râle ». Virtuosité baudelairienne : le 13ème vers du sonnet est monosyllabique. Le poème se termine sur une accentuation ternaire et les sons « eur » et « or » ( « bord », « meurt », « morts », « efforts ») corrompant la netteté du chant de la « cloche au gosier vigoureux ». A quoi sert la virtuosité baudelairienne ? A mettre une distance entre le « moi, mon âme est fêlée » et le « blessé qu'on oublie ».

« Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie 

Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts. »
(Baudelaire, « La cloche fêlée « )

Patrice Houzeau
Malo, le 26 décembre 2022.

23 décembre 2022

L'INTELLIGENCE PLURIELLE DU MONDE

L'INTELLIGENCE PLURIELLE DU MONDE

Notes sur le sonnet « Correspondances », de Baudelaire.

1.
Baudelaire, « Correspondances ». Si la « Nature » est un « temple », à qui ce temple est-il dédié ? Quelle sacralisation, dis ! Personnifiée, immuable par la grâce de l'être, « temple ». C'est que qui quoi dont où, cette immanence ?

Des « vivants piliers » aux « confuses paroles . Des sibylles ? Le bruissement des feuillages ? De quoi s'imaginer des chœurs étonnants. Des rythmes hermétiques.

La « Nature » fourmillerait de « symboles », à en dresser des « forêts », seul mot de la première strophe se référant explicitement à la nature. Que « l'homme y passe » n'est guère étonnant, l'espèce humaine n'étant jamais qu'un passage dans on ne sait quoi d'ailleurs.

Ces « forêts » ont des yeux. Je pense que s'il y eut jamais quelqu'un qui revint d'une promenade dans une forêt à yeux, ce fut pour rentrer dans un asile d'aliénés, ou alors l'histoire des faits divers. Ce n'est pas l'humain qui contemple la Nature, mais la nature qui garde un œil sur le bipède qu'elle connaît aussi bien que si elle l'avait fait.

« La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers. »
(Baudelaire, « Correspondances », premier quatrain)

2.
L'assonance [on] et le mot « échos » au centre du vers. L'assonance [on] plonge le cercle du o dans la confusion. Echos, en effet : « profonde », « comme », « sons se répondent ».

Identité des contraires « nuit » et « clarté ». Evocation ternaire de la synesthésie : odorat, vue et ouïe ; différents sens participent à une même « unité », celle du monde sensible, du monde tel qu'il se présente.

« Parfums, couleurs, sons » : le champ lexical de la culture domine. Des mots éclatants, aux sonorités différentes, contrastant, aux référents précis, en opposition avec la confusion des échos lointains.

Baudelaire a-t-il voulu que son art rivalisât avec la musique ? Si dans la nature cette unité préexiste, « ténébreuse » et « profonde », c'est l'art qui lui donne son sens.

« Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comma la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
(Baudelaire, « Correspondances », second quatrain)

3.
Baudelaire prend l’exemple des parfums. Certains de ces parfums ont la douceur du son des hautbois, la fraîcheur des enfants et du vert des prairies.

Le « mot » prairies » et les mot « forêts » sont les seuls mots du sonnet se référant réellement à la nature. Ambiguïté des parfums « corrompus », puissance et richesse d'un monde infiniment divers et irréductible. « expansion » : diérèse précieuse. Le dernier vers traduit l'union de « l'esprit et des sens », du corps et de l'intelligence dans l’exaltation et la synesthésie des parfums chantants.

« Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants, 

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens. »
(Baudelaire, les deux tercets du sonnet « Correspondances »)

Note : Je vois dans le sonnet des « Voyelles », de Rimbaud, un écho au sonnet des « Correspondances ». Baudelaire éclaire, démontre, illustre. Rimbaud, en associant sons et couleurs en une suite d'images originales, rappelle que le monde n'en reste pas moins étonnamment hermétique, étrange, bizarre, aléatoire. La fascination n'en reste pas moins.

Patrice Houzeau
Malo, le 23 décembre 2022.

15 décembre 2022

EN RENTRANT CHEZ SES FETICHES

EN RENTRANT CHEZ SES FETICHES

Notes sur le poème « Zone », de Guillaume Apollinaire.

1.

Le recueil « Alcools » (1913), de Guillaume Apollinaire commence par le grand poème « Zone ». Le narrateur avoue sa lassitude du « monde ancien », qu'il voit partout, y compris dans les « automobiles ». Le grand moderne serait le « Christianisme ».

Pour ce qui est du christianisme, il me semble aussi que le catholicisme, bien que les scandales de pédophilie y pullulent, a parfois de ces accents modernes que les autres religions n'ont pas.

A noter cependant ces deux vers qui indiquent une certaine prise de distance du narrateur apollinarien :

« Et toi que les fenêtres observent la honte te retient

D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin »

(Apollinaire, « Zone »)

Peut-être bien que la veille, il en avait pris une sévère, dis, l'Apollinaire.

2.

Le narrateur fait l'éloge de la littérature de rue (« prospectus catalogues affiches journaux », fascicules divers), puis évoque une « jolie rue », une « industrielle », avec « directeurs ouvriers et belles sténo-dactylographes ».

Apollinaire avait-il ce goût qu'avouait aussi Baudelaire pour les rues passantes ? Poésie de la ville en tout cas.

3.

La rue auquel il songe (et dont il a « oublié le nom ») en rappelle une autre, où il n'était « encore qu'un petit enfant ». Prières clandestines « dans la chapelle du collège ». Personnellement, je n'y crois guère et j'aurais préféré un Apollinaire version « Chiche-capon » des « Disparus de Saint-Agil », de Pierre Véry : une bande de gosses qui se réunissent la nuit dans la salle de sciences naturelles « où veille le squelette Martin » comme dit un résumé, ce qui m'enchante.

Prières clandestines donc et anaphore qui se termine par ceci, qui est plaisant :

« C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs

Il détient le record du monde pour la hauteur »

(Apollinaire, « Zone »)

Qui rappelle les réflexions de Blaise Cendrars sur les moines lévites dans « Le Lotissement du ciel ».

4.

Apollinaire est très bon quand il s'amuse avec les mots et les sons :

« Ils crient qu'il sait voler qu'on l'appelle voleur

Les anges voltigent autour du joli voltigeur »

Ce sont les « diables dans les abîmes » qui « lèvent la tête » pour regarder Jésus monte-en-l'air.

5.

L'évocation de l'ascension christique entraîne un cortège de noms d’oiseaux : hirondelles, corbeaux, faucons, hiboux, ibis, flamants, marabouts (d'ficelle), « l'oiseau Roc » (n'roll), aigle, colibri, pihis « longs et souples », colombe, oiseau-lyre, « paon ocellé », phénix, sirènes (j'ignorais qu'elles volassent).

6.

Le narrateur se décrit seul et angoissé. « comme le  feu de l'Enfer ton rire pétille ». Evocations de « flammes ferventes », de « Notre-Dame de Chartres » et du « Sacré-Cœur ». Ça flamboie sec : Est-ce pour cela que les femmes que le narrateur croise dans Paris sont « ensanglantées » ?

7.

Le narrateur dépayse sa lyre « au bord de la Méditerranée ». Les « poulpes des profondeurs » effrayent les spectateurs. Ayant la bougeotte, la strophe suivante évoque les « environs de Prague » et entre autres, « tavernes » et « chansons tchèques ».

Puis, ce sont Marseille et les pastèques.

Puis un hôtel à Coblence.

Puis Rome et un « néflier du Japon ».

Puis Amsterdam et Gouda (J'aime bien le gouda. D'une manière générale, j'aime les fromages. Ça me fait penser que je vais les passer sobres, ces fêtes de fin d'année 2022 : il semble quand même que la crise que nous connaissons depuis 1973 (eh oui) s'accélère et s'aggrave singulièrement : faut garder ses sous, moi je crois).

Puis Paris : case prison (l'affaire du vol de La Joconde).

8.

Tous ces voyages et péripéties mélancolisent le narrateur. Il s'apitoie sur lui-même (« à tous moments je voudrais sangloter ») puis s'apitoie sur les « pauvres émigrants » de la gare Saint-Lazare.

Puis, tout mélancolique, il prend un café dans un « bar crapuleux ».

9.

Parfois, le narrateur est dans un « grand restaurant ».

Parfois, il est avec une fille, « une pauvre fille au rire horrible ».

Parfois, il compare la nuit à une « belle Métive » (comprenez ici « métisse »).

Parfois, il évoque des prostituées.

Et comme il ne boit pas que du café, voilà « cet alcool brûlant comme ta vie » et l'occasion d'un chiasme :

« Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie

Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie »

(Apollinaire, « Zone »)

10.

Enfin, bien fatigué du tout ci tout ça dont il cause, il rentre chez ses fétiches qu'il compare à des « Christs d'une autre forme » (il n'a pas tort) et voit dans le soleil une tête tranchée (« Soleil cou coupé » : c'est célèbre et c'est beau).

Patrice Houzeau

Malo, le 15 décembre 2022.

14 décembre 2022

UNE VICTOIRE ENIGMATIQUE

UNE VICTOIRE ENIGMATIQUE

Notes sur la Préface de « Humain, trop humain », de Nietzsche traduit par Desrousseaux et Albert (le Livre de Poche, « Les Classiques de la Philosophie »).

1.
« Des lacs et des rets pour les oiseaux imprudents » : c'est ainsi que Nietzsche lui-même dans sa préface à « Humain, trop humain », qualifie les pièges que peuvent devenir ses arguments pour des esprits qui exerceraient leurs critiques en volant de travers.

2.

« Une école du soupçon » ; la « vie » vit-elle de la « tromperie » ; vivre, est-ce tromper autant que se tromper ? Les « esprits libres » sont-ils une invention ? De l'utilité des « compagnons et fantômes » de fiction que l'on fréquente et que l'on révoque à son aise.

Poutine, en persistant dans sa sale guerre en Ukraine, sait-il qu'il se trompe tout autant qu'il trompe les Russes ? Je crains la révélation qu'il pourrait se faire à lui-même. Poutine sera-t-il assez fort pour supporter soudain de comprendre, ou restera-t-il dans le déni, prolongeant horreur et bêtise ?

3.

Une « victoire énigmatique », celle sur ses déterminismes que l'on ne peut pourtant pas complètement annihiler, quand bien même on ferait de la philosophie une logique imperturbable, objective, implacable, catégorique et tendant à l'efficacité d'un système administratif.

De là sans doute le goût des pouvoirs totalitaires pour les dogmes « démontrés », le goût des partis extrémistes pour les gouvernances qui fondent l'individu dans la masse des citoyens obéissants, soumis à une norme d'autant plus rigide qu'elle est présentée comme morale, salutaire, verticale, transcendante.

4;
« Tout peut-il être faux en dernière analyse ? » se demande le narrateur nietzschéen, replongeant le lecteur dans le vertige du paradoxe du menteur.

5.

De la « santé débordante » de « l'esprit libre » qui ne peut se passer de la « maladie » puisque cette « santé » est d'autant plus éclatante et renforcée qu'elle se gagne par une victoire sur la « maladie ». Notons qu'il s'agit d'une victoire sur soi-même, et non un appel à éradiquer. Réfléchir n'est pas tuer.

6.

Éloge du lieu d'être : « Qui comprend, comme lui, le bonheur qu'il y a dans l'hiver, dans les taches de soleil sur la muraille ! » Lisant Nietzsche, j'y crois parfois entendre des échos du Rimbaud des «illuminations ».

7.

Des « vertus » non comme des « maîtresses », mais comme des « instruments ». Des contraintes dont on se fait des aubaines, des outils, des armes. Y aurait-il une virtuosité du vrai ? Être authentique, est-ce être virtuose, à la manière d'un danseur, d'un musicien, d'un peintre et d'un poète ?

8.

L'esprit face à « l'énigme de sa libération ». La « vocation » nous voue à ce que « nous ne connaissons pas encore » : nous agissons en vertu d'un avenir que nous ignorons ; « c'est l'avenir qui dicte sa règle à notre présent » écrit Nietzsche.

Une autre lecture, plus positiviste, dirait que c'est en fonction de l'avenir que nous agissons et que donc, les nécessités du futur, nous obligeant à la prévoyance et aux préparatifs, conditionnent le présent. Morale de carriériste, de militant, d'individu responsable, d’expérimentateur, de citoyen modèle, de professeur, de stratège.

9.

« surtout que, dans certains cas, comme l'indique le proverbe, on ne reste philosophe qu'en gardant le silence. »

(Nietzsche, « Humain, trop humain », Préface, 1886).

Se taire, est-ce snober le réel, le désavouer, l'envoyer paître avec tous ses bavards ?

 

Patrice Houzeau

Malo, le 14 décembre 2022.

11 décembre 2022

EN ATTENDANT LA NEIGE ET LE RETOUR DU COVID

EN ATTENDANT LA NEIGE ET LE RETOUR DU COVID

1.

Peut-on demander au diable d’emporter tout et n’importe quoi au risque de se voir soi-même rayé du réel ? En attendant la neige. Ça pourrait être l’air des « Trois Souris », ou un autre, on ne peut pas aller vérifier puisque c’est dans une fiction, sans compter que, si ça se trouve, le suspect ne sait pas siffler.

2.
On ouvre. Un O comme une « bulle ». J’ai regardé hier soir la moitié d’un drôle de film : « Ema », de Pablo Larrain, sorti en 2019. La moitié seulement, parce qu’au bout d’un moment, mais ce que j’en ai vu n’est pas si mal. Un film typique de ciné-club, intelligent, humaniste, un peu trop long, bref qui prend la tête, vu que les tourments d’une danseuse contemporaine et de son julot chorégraphe à propos d’un gosse adopté qui a fait une grosse bêtise, personnellement, je m’en contrefiche, mais le fil rouge autour du feu m’a stylistiquement bien plu.

3.
Deux jeunes gens entreprenants. Molly veut élever des « poules et des canards » ; Giles part acheter du grillage.

Une « demeure isolée », bien sûr, et pleine de conserves, rapport à la fatalité de la neige. L’inconnu n’est pas un inconnu, mais moi je me dis qu’un inconnu, même s’il n’est pas un inconnu, est tout de même un inconnu, toujours, c’est bien connu.

4.
Pas de grillage pour l’instant. Conjectures sur la clientèle. Evocation d’une « fondue galloise » usurpée. De l’importance de la radio en milieu isolé (surtout par temps de neige).

Ce matin, je ne peux pas m’empêcher de penser à la nouvelle et une fois de plus prétendument salutaire et définitive (menteurs !) réforme des retraites voulue par Macron, qui ne semble pas avoir bien compris qu’il a été réélu par défaut, le personnel politique français étant, malgré ses coûteuses grandes écoles, aussi déplorable qu’ailleurs où il n’y a pas de coûteuses grandes écoles.

5.
Les gens dans les films font des choses que l’on ne fait pas dans le réel. C’est pour ça que c’est du cinéma : de la blague talentueuse (« talentueuse », enfin, pas toujours). Les gens dans le réel font parfois des choses qu’on n’imaginerait pas au cinéma. C’est pour ça que c’est le réel, et qu’il est redoutable, pervers, vicieux.

6.

En écrivant ces lignes, je regarde vaguement le film « Enfants de salaud », de Tonie Marshall (France, 1996), avec l’immense Jean Yanne et les formidables Nathalie Baye, Anémone, Vincent Cluzet. Je les aime bien, ces acteurs. L’histoire, je m’en fiche, quoique, évidemment, s’il n’y avait pas d’histoire, les acteurs ne sauraient pas quoi jouer et ne seraient pas si épatants.

Au cinéma, l’histoire doit donc être assez soignée, composée, bâtie, pensée, réfléchie, rythmée, vraisemblablement vraisemblable pour que les acteurs puissent y exceller.

Et puis, il vaut mieux une histoire à la « Enfants de salaud », un peu perchée et sympatoche plutôt qu’une de ces saloperies hyper-violentes dont le cinéma américain, et hélas de plus en plus souvent aussi le cinéma français, nous abreuve, avec parfois l’alibi désastreux d’une soi-disant dénonciation des dysfonctionnements sociaux.

7.

Un inspecteur me dit un jour : « Les élèves ont besoin de vous, monsieur ». Non. Les élèves des LP ont besoin qu’on les prépare rapidement et efficacement à un métier, pas à suivre des cours sur les « itinéraires romanesques », et vue la suite macabre Covid-crise énergétique-sale guerre de Poutine en Ukraine-récession, cette nécessité d’une réelle formation professionnelle se fait de plus en plus aigüe.

L’autonomie des jeunes adultes de demain matin passe donc par l’apprentissage et non par les salons où l’on cause démocratisation de l’enseignement supérieur et autres hypocrisies pédagogistes.

8.
Les mauvaises nouvelles de la radio. Un meurtre à Londres. Avec la neige, le premier pensionnaire. Un jeune homme et un flot de paroles. Evocation de Dickens, questions indiscrètes et considérations sur l’ameublement.

9.
« Alors, je ne tiens pas à les entendre ; de surcroît, nous recommander encore des économies de combustible ! Qu’espèrent-ils donc ? Que nous nous résignions à geler sur place ? »
(Agatha Christie traduit par Maurice-Bernard Endrèbe, « Trois souris… » [Molly])

La pièce d’Agatha Christie « la Souricière » date de 1950. Nous sommes en 2022, et nous nous interrogeons partout en Europe sur d’éventuelles coupures d’électricité, sur le prix des carburants et celui des produits de consommation courante.

10.

Il continue de neiger (sinon, les personnages pourraient s’enfuir, et le mystère s’évanouirait dans la nature déneigée). Arrivée d’une nouvelle pensionnaire. Aura-t-on encore du pain dans les prochains jours ?

Patrice Houzeau
Malo, le 11 décembre 2022.

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 > >>
BREFS ET AUTRES
  • Blogs de brefs, ça cause humeur du jour, ironie et politique, littérature parfois, un peu de tout en fait en tirant la langue aux grands pompeux et à leurs mots trombones, et puis zut alors!
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité