QUOI DONC A FAIT POUSSER NOS MAINS ?
QUOI DONC A FAIT POUSSER NOS MAINS ?
1.
« Car celui qui est plus fort que lui-même serait le même de quelque manière que celui qui est plus faible que lui-même, et celui qui serait plus faible serait aussi le même que celui qui est plus fort.
(Platon traduit par Georges Leroux, « La République »)
Quand je dis « c'est plus fort que moi », à quoi est-ce que je me réfère ? A moi ? A quelle force en-dehors de moi et qui pourtant est moi ? Le réel est-il une suite de « c'est plus fort que moi » ? Quel sens alors à « plus fort que soi » ?
Qu'est-ce donc qui amuse, ou fascine, jeu de miroirs, mélodie, échos, reflets, fantôme d'une mélodie (pourquoi ai-je d'abord écrit maladie?) dans une suite platonicienne ?
2.
« Agnelet feuillets d'or ciel innocence
Pies et poules blanches de l'enfance. »
(Georges-Emmanuel Clancier, « Chanson du mouton »)
Quel est le rapport entre « agnelet », « feuillets d'or » ; entre « ciel » et « innocence » ? Pourquoi y pressentir du religieux ? Du missel ? Les anges sont-ils innocents ? que signifie l'innocence des anges ? La perfection n'est-elle que de l'autre monde ?
Le ciel est-il innocent ? Voyageons-nous dans l'espace à la recherche de la neutralité de la pureté ? Pourquoi l'idée que l'infini serait infiniment peuplé semble-t-elle à la fois logique et d'une sottise infinie ? Et si l'espace n'était jamais que mur et illusion télescopique ?
Les « pies » et les « poules » disparaissent-elles une fois que l'enfance s'évanouit ? Dans notre monde de cités violentes et de chiens d'attaque, quel sens peut-on donner à un vers comme « pies et poules blanches de l'enfance » ?
3.
« S'il n'est de fumée sans feu
S'il n'est de panier sans anse »
(Georges-Emmanuel Clancier, « Chanson du mouton »)
« S'il n'est de fumée sans feu », quoi donc a flanqué le feu ? « S'il n'est de panier sans anse », quoi donc a fait pousser nos mains ? Un dimanche peut-il se résumer à une poignée « d'enluminures bleues » ? La poésie est-elle une fieffée jolie menteuse ?
4.
« Le médiéval nous balance
Un dimanche d'enluminures bleues. »
(Georges-Emmanuel Clancier, « Chanson du mouton »)
Qu'est-ce que le médiéval ? Le médiéval est-il à nos portes ? Vais-je tomber sur un dragon en ouvrant ma porte ? Et même si je ne tombe sur aucun dragon en ouvrant ma porte, cela signifie-t-il qu'il n'y a jamais aucun dragon devant aucune porte ?
A quoi sert le cinéma ? Donne-t-il à voir ce que l'on ne peut voir ? Qui est la licorne du film « Black Moon », de Louis Malle ? Pourquoi tant d'artistes ? Pourquoi cette multiplication des œuvres ? L'humain est-il avant tout ouvrier, artisan, artiste ?
5.
« Ou bien nous demeurons encore trop vivants pour être morts, ou bien nous sommes trop morts pour être encore en vie. »
(Ghelderode, « La Balade du Grand Macabre » [Videbolle])
Pourquoi suis-je si sûr que Ghelderode a existé et a réellement composé les féeries que nous lisons ? Dans 300 ans, quelqu'un remettra-t-il en cause l’existence de Ghelderode comme nous doutons d'Homère et de Shakespeare ?
Peut-on être « trop vivant pour être mort » ? Pas assez cadavre qui marche ? Peut-on être « trop mort pour être encore en vie » ? Zombies ? Sommes-nous les illusions du vivant ? Marionnettes ? Apparences ? Agitations nerveuses ?
6.
« - Je m'appelle Alice, n'en déplaise à Votre Majesté », répondit Alice très poliment ; mais elle ajouta, à part soi : « C'est vrai, ces gens-là ne sont, après tout, qu'un jeu de cartes. Je n'ai pas besoin d'avoir peur d’eux. »
(Lewis Carroll traduit par Magali Merle)
Pourquoi Alice s'appelle-t-elle Alice et pas « poisson rouge », « Albertine disparue », « Hercule Poirot » ? Avons-nous besoin de l'assentiment des autres pour... ? Si les Autres ne sont jamais qu'un « jeu de cartes », quelle valeur peut-on leur donner ?
Vivons-nous comme si les Autres n'étaient qu'un « jeu de cartes » ? Vivons-nous comme si les Autres n'étaient pas seulement qu'un jeu de cartes ? Nous méfions-nous des « jeux de cartes » ? Sont-ils fatalement truqués ? Pourquoi et à quoi jouons-nous ?
Le merveilleux est-il notre consolation de n'être jamais que dans le réel malheureux ? Le réel est-il une suite de manques, de lacunes, de trous, de petits cercles à la fois ouverts et fermés dans lesquels nous... ? Qu'y faisons-nous d'ailleurs ?
Patrice Houzeau
Malo, le 14 septembre 2021.