IPHIGENIE EST-ELLE UNE TRUITE UNE VACHE UN ANDROGYNE ?
IPHIGENIE EST-ELLE UNE TRUITE UNE VACHE UN ANDROGYNE ?
1.
Lacome et Marcelé. « Iphigénie » in « Un Après-midi au cirque » (Dargaud, coll. Pilote, 1982). C'est une histoire courte, 21 planches.
C'est de la sorcellerie, et ce n'en est pas puisque c'est de la bande dessinée. Des vaches, du gris, des ombres, des trognes, et « là... il y avait une drôle de dame !... » Y a le « bon dieu » des jurons et le « diable » des mauvaises choses, des qu'on n’explique pas ; il y a le crucifix dans la chambre à coucher, et « Par sainte Eulalie, faites que je ne sois pas prise ».
Il y a des mots qu'on n'entend pas dans nos villes hyper-connectées, en voie de macronisation : on parle de vaches « amouillantes », de « guérisseux », de « panseux », de « désempommeux », de « désensorceleuse », toutes activités qui existent toujours, en dépit de la zététique. Et jusque dans les centres de nos villes que ça magnétise, que ça hypnotise...
Ça n'empêche pas les drôles de dames.
Que faire quand tout commence à aller mal : les vaches ne donnent plus de lait, la maladie frappe les bêtes comme les gens. « C'est de l'eau, de la terre et de la lune... c'est de la nuit ! », dit la vieille femme.
Alors quoi, le couteau planté dans le cœur de bœuf ?
Ça n'empêche pas les drôles de dames et la sécheresse.
Il faut donc avoir recours à « l'homme de la vallée », celui dont on ne dit pas le nom.
Trognes, trognes et chat, le chat qui renverse le bol. Les dames dansent.
Viendra l'épreuve ultime. Iphigénie est-elle une truite ou une vache ? » du vivant va passer et tout rentrera dans l'ordre. « C'est rien... c'est des vérités qu'on sait... ».
D'ailleurs, on ne voit plus les drôles de dames.
2.
Avec la deuxième histoire de l'album, « Un après-midi au cirque », le dessinateur Marcelé passe à la couleur qu'on dirait bien du pinceau. Les trois premières planches en sont superbes, parade fantasque d'un cirque en ville : nains à tambourins, attelage à bœuf monté par une écuyère rousse, longues femmes dédaigneuses montrant parfois un sein, basse-cour, cochon rose, tête de bélier, bêtes d'une élégance de fable folle, parées de guirlandes et de plumes, escargot.
Ce n'est pas tout à fait un cirque, c'est un bordel, un bordel ambulant, avec son nain mystique qui cite les Écritures et s'appelle Gabriel. Trognes et monstruosités. On pense aux tableaux et affiches de Toulouse-Lautrec, version féroce, lorgnant sur le grotesque de James Ensor. Il y en a pour tous les goûts, il y en a pour tous les vices.
Au milieu de tout ça, il y a Marie, l'hermaphrodite (« L'ange pur, la toujours vierge, la Marie-Janus ! », clame la mère maquerelle), Marie qui rêve d'avoir un enfant... Impossible, et pourtant... mais chut... Le miracle aura peut-être lieu, mais comme tout est truqué, évidemment. D'autant que le nain Gabriel avait prévenu : « Marie, tu seras mère, mais que de douleurs... Oh ! Non, la douleur, c'est plus tard... Tu recevras et tu perdras... »
Restent les hommes, les hommes et leur mépris, les hommes, les singes et les porcs.
Patrice Houzeau
Malo, le 29 juillet 2023.